L. 976.  >
À André Falconet,
le 8 mars 1670

Monsieur, [a][1]

Je vous envoyai, avec ma dernière du 28e de février, une excellente thèse [2] de balneo aquæ tepidæ in variolis ægre erumpentibus[1] Monsieur votre fils [3] ne saurait mieux faire que de la lire et d’en profiter, il y a longtemps qu’on n’en a fait de meilleure. La savante famille des Piètre [4] est finie avec tout son mérite, et leurs belles thèses aussi : per me sit eorum memoria in benedictione[2] Le cinquième tome de l’Histoire de l’Université de Paris, faite par M. Du Boulay, [3][5] était sous la presse. Quelques docteurs de Sorbonne [6] malcontents de cet ouvrage ont présenté requête au Conseil du roi et lui en ont fait défendre la continuation jusqu’à ce que Sa Majesté [7] en ait autrement ordonné. Je ne voudrais pas dire que ces docteurs de Sorbonne aient tort, mais j’en connais quelques-uns qui se persuadent que tout ce qu’ils veulent est juste, et qui seraient fâchés de rien déférer au sentiment d’autrui. Les prêtres n’aiment pas assez le bien public, j’en suis persuadé, et ils sont plus attachés à leur particulier que nous autres, gens du monde et mariés. [8]

Le roi a ordonné que le chevalier de Lorraine [9] n’aille pas plus loin que Marseille, [10] et qu’il ait la ville pour prison. [4] On se loue fort des libéralités que le roi a faites depuis peu à Monsieur [11] et à Madame, [12] d’autant plus qu’elles sont des marques certaines de la bonne intelligence de la Maison royale et qu’elles confondent certain gazetier napolitain qui avait injurieusement écrit que le roi était Bourbon, et par conséquent avare. Je viens d’apprendre la mort de M. Tubeuf, [13] président de la Chambre des comptes[5]

J’ai aujourd’hui parlé à notre médecin Cressé. [14] Il m’a dit qu’il était satisfait entièrement de son barbier Griselle, [15] qui lui avait pardonné, et qu’il avait quitté toutes les procédures judiciaires ; ô le bon chrétien ! [6] Je consultai hier pour la seconde fois avec MM. Brayer [16][17] et Bourgaud [18] pour un jeune homme de Lyon nommé Hervieux. Il est fort mal, son poumon souffre cruellement ; enfin, il est en grand danger, nous y ferons ce que nous pourrons. Le P. Annat [19] quitte la cour, les jésuites [20] ont mis en sa place le P. Ferrier [21] de Toulouse. [7][22] Les jésuites de ce pays y eussent bien voulu mettre le P. Deschamps, [23] mais ils n’ont pas eu assez de crédit. Notre comes archiatron [24] est mal, [8] on me vient de dire qu’il n’ira pas loin et qu’il mourra bientôt. Sa charge regarde M. Brayer ; le Saint-Esprit l’a dit, Habenti dabitur[9][25][26][27] Je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 8e de mars 1670.


a.

Bulderen, no dix (tome iii, pages 356‑358) ; Reveillé-Parise, no dccci (tome iii, pages 731‑732).

1.

« du bain d’eau tiède dans la variole dont l’éruption peine à sortir ».

La thèse cardinale de Jean Robert, natif de Paris, disputée le 27 février 1670 (reçu licencié la même année, puis docteur régent à la fin de l’année suivante), sous la présidence de Jacques Regnault (docteur régent en 1631), porte le titre complet de An variolis, a fuso largiter sanguine, ægre, minusve erumpentibus, balneum ? [Par le copieux afflux de sang qu’il provoque, le bain est-il utile dans la variole dont l’éruption peine ou tarde à sortir ?] (conclusion affirmative).

La lettre de Guy Patin à André Falconet, datée du 28 février 1670, a été perdue.

2.

« qu’à travers moi leur mémoire soit bénie » : la dynastie médicale des Piètre, vénérée par Guy Patin, s’était éteinte à tout jamais avec la mort de Jean Piètre en janvier 1666.

3.

V. note [30], lettre 642, pour ce monumental ouvrage de César Egasse Du Boulay dont Guy Patin ne put voir le dernier des six volumes (Paris, 1665-1673).

4.

Philippe de Lorraine-Armagnac (1645-1702), dit le chevalier de Lorraine, était le fils cadet de Henri de Lorraine comte d’Harcourt (v. note [4], lettre 29) ; son frère aîné, Louis, était Monsieur le Grand (v. note [18], lettre 312). Officier de valeur au service du roi depuis 1658, le chevalier de Lorraine était surtout le favori et amant de Monsieur, Philippe d’Orléans, frère cadet de Louis xiv. La duchesse d’Orléans, Henriette d’Angleterre, manœuvrait sans relâche pour obtenir du roi qu’il fît éloigner l’importun courtisan de son volage mari (v. note [1], lettre 972).

La Grande Mademoiselle (Mlle de Montpensier, Mémoires, seconde partie, chapitre ix, pages 85‑88) a conté son exil à Marseille (dont le roi atténuait alors la rigueur) :

« Le roi fit arrêter le chevalier de Lorraine. J’étais à Paris ce jour-là. {a} On me vint dire le matin : “ Monsieur est arrivé la nuit, et Madame ; ils s’en vont à Villers-Cotterêts ; le chevalier de Lorraine est arrêté. ” J’allai au Palais-Royal. Je trouvai Monsieur fort fâché, se plaignant de son malheur : ayant toujours vécu avec le roi comme il avait fait, être assez malheureux pour en avoir un si mauvais traitement ; qu’il s’en allait à Villers-Cotterêts, ne pouvant demeurer après cela à la cour. Madame était fâchée de voir Monsieur fâché. Elle disait : “ Je n’ai pas sujet d’être fâchée du chevalier de Lorraine ; nous n’étions pas bien ensemble, mais il me fait pitié. ” Elle faisait très bonne mine et je crois qu’elle était fort aise car le chevalier et elle étaient fort mal ensemble, et elle était fort bien avec le roi. Ainsi on eut peine à détromper le public qu’elle n’eût pas contribué à sa disgrâce. Monsieur vint l’après-dînée me dire adieu ; le soir je retournai chez lui, où on rit assez.

Il y avait longtemps que le chevalier n’était pas bien avec Madame ; que ses manières ne plaisaient pas, à ce que l’on disait, au roi qui avait trouvé mauvais que Monsieur se fût plaint de quoi on ne lui avait pas donné le gouvernement du Languedoc ; que le chevalier de Lorraine avait parlé là-dessus ; < et > d’autres choses encore, dont le roi avait témoigné à Monsieur le trouver mauvais. Voilà ce que le monde disait.

Voici ce que je sais, je l’ai ouï dire au roi : le chevalier de Lorraine voulut avoir un éclaircissement avec lui sur beaucoup de choses ; le roi lui donna audience ; après beaucoup de discours, le chevalier dit au roi “ Sire, Monsieur est un bon homme, il aime Votre Majesté ; assurément il ne fera jamais rien qui vous déplaise et j’en serai garant. Prenez-vous-en à moi s’il fait quelque chose. ” Le roi reprit : “ M’en répondez-vous ? — Oui, sire. ” Le roi dit : “ J’en suis bien aise. ” À peu de jours de là, l’évêque de Langres {b} mourut, qui avait plusieurs abbayes dans l’apanage de Monsieur, {c} que feu Monsieur {d} lui avait données, et comme les fils de France présentent au roi et que c’est sur les nominations du roi que le pape pourvoit, Monsieur donna Saint-Benoît-sur-Loire au chevalier. Tout le monde lui en fit compliment. Le chevalier alla au secrétaire d’État en mois, {e} qui dit que le roi ne le voulait pas. Je pense, si je m’en souviens bien, que Monsieur en parla au roi, qui dit à Monsieur qu’il ne le voulait pas. Monsieur bouda, alla chez lui, envoya Madame au roi. Le soir comme le chevalier de Lorraine sortait de la chambre de Monsieur au château-neuf, {f} le comte d’Ayen, capitaine des gardes en quartier, l’arrêta. On le mena au vieux-château, puis coucher au bourg et le lendemain, droit au château d’If. » {g}


  1. Le 30 janvier 1670.

  2. L’abbé de La Rivière, ancien favori de feu Monsieur, Gaston d’Orléans.

  3. Philippe d’Orléans.

  4. Gaston d’Orléans.

  5. En charge ce mois-là.

  6. De Saint-Germain.

  7. Le chevalier de Lorraine quitta plus tard Marseille pour Rome, d’où il ne revint qu’après la mort de Madame (30 juin 1670).

Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome ii, pages 581‑584) :

« Le jeudi 30 janvier, il se passa à Saint-Germain une histoire fort importante : la nouvelle y étant venue de la mort de M. l’évêque de Langres, M. le duc d’Orléans, qui avait promis au chevalier de Lorraine les deux abbayes que M. de Langres avait dans son apanage, fut demander au roi qu’il lui plût agréer son choix. Le roi lui ayant dit qu’il ne le pouvait en conscience et nonobstant toutes ses instances, l’ayant refusé, Monsieur se retira fâché et commanda qu’on démeublât son appartement pour quitter la cour. Le roi cependant étant allé à Versailles, {a} M. Le Tellier fut parler à Monsieur pour le détourner de son dessein, mais il ne le put et Monsieur lui dit que, s’il avait une maison à mille lieues, il irait. Le roi en étant averti et étant revenu de Versailles, crut que c’était M. le chevalier de Lorraine qui excitait la colère de Monsieur ; il commanda qu’on l’arrêtât prisonnier. Les gardes du corps furent redoublés autour de l’appartement de Monsieur, où était le chevalier de Lorraine. M. Le Tellier fut dire à Monsieur la résolution du roi, et le chevalier de Lorraine, après que Monsieur l’eut embrassé et lui eut témoigné beaucoup d’amitié, sortit ; et au sortir de la chambre de Monsieur, il trouva le capitaine des gardes qui l’arrêta prisonnier et il fut mené sur le chemin de Lyon pour être conduit à Montpellier. Monsieur partit à minuit de Saint-Germain avec Madame, vint à Paris où il a demeuré un jour, et personne ne l’a été voir sinon M. le Prince et M. le Duc {b} qui, ne l’ayant pas trouvé chez lui, le furent chercher à Luxembourg. {c} Il est parti pour Villers-Cotterêts. […]

Le lundi 3 mars, M. le duc d’Orléans, avec Madame, revint de Villers-Cotterêts coucher à Saint-Germain où ils furent reçus avec la plus grande joie du monde. L’on prétendit qu’il était revenu sans condition, sur la parole de M. Colbert qu’étant à la cour, il obtiendrait du roi toutes choses. D’autres disaient que les deux abbayes se donnaient au frère du chevalier de Lorraine, et à lui une pension de dix mille écus. Le temps fera connaître le vrai ; mais ce qui est certain est qu’il est parti un courrier porter les ordres de laisser le chevalier de Lorraine dans Marseille et de lui donner la ville pour prison, au lieu de le mener au château d’If où on le conduisait. »


  1. Du 25 au 30 décembre 1669.

  2. Le duc d’Enghien.

  3. Au palais du Luxembourg, à Paris.

5.

Jacques Tubeuf (v. note [1], lettre 233) mourait âgé de 64 ans.

6.

On lit dans les Comment. F.M.P. (tome xv, pages 397‑398) la Copie de l’accord fait entre Maître Pierre Cressé, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris et entre Séraphin Grisel barbier étuviste en cette ville de Paris :

« Aujourd’hui 4e jour de février 1670, quatre heures de relevée, par devant les notaires garde-notes du roi notre sire au Châtelet de Paris, soussignés, est comparu en la maison de noble homme Maître Pierre Cressé, docteur en médecine de la Faculté de Paris, sise rue Bardubecq, paroisse Saint-Médéric, Séraphin Grisel, barbier étuviste, demeurant rue de la Verrerie, paroisse Saint-Jean-en-Grève, lequel en présence de Messire Nicolas de Blampignon, docteur en théologie de ladite paroisse de Saint-Médéric, Maître Nicolas Cocquelin, docteur de Sorbonne, conseiller et aumônier du roi, < du sieur > Nicolas Sucquet, sire de Senonville, conseiller du roi en la Cour de Parlement, de messire Hucques Betaud, conseiller du roi en ses Conseils, et président en sa Chambre des comptes de Bourgogne, Messire René d’Espinay, seigneur de Launy, conseiller du roi en ses Conseils et ci-devant lieutenant général de la prévôté de l’Hôtel et grand < prévôt > de France, {a} noble homme Jean Garbe, docteur en médecine de la Faculté de Paris et doyen d’icelle Faculté, Jacques Prison, conseiller du roi, Maison et Couronne de France et de ses finances, noble homme, Nicolas Souplet, bourgeois et ancien échevin de cette ville de Paris, Maître Jean Le Caron, ci-devant notaire et garde-notes du roi au Châtelet de Paris, Maître Jean de Martin, bourgeois de Paris, et Robert de Nanteuil, désignateur et graveur ordinaire de Sa Majesté, présents et comparants, a dit et déclaré qu’il tenait ledit sieur Cressé pour homme de bien et d’honneur, et incapable d’aucune des choses dont il l’avait injustement soupçonné à l’égard de la dame sa femme, et lui a demandé pardon, et à la Faculté de médecine, tant desdits soupçons que des violences et voies de fait commises en sa personne par ledit Grisel le 26 octobre dernier, le suppliant très humblement, comme tous les docteurs de la Faculté, de vouloir les lui pardonner et oublier les mauvais traitements qu’il lui a faits en sa maison, où il l’avait attiré sous le faux prétexte d’y voir un gentilhomme supposé malade ; et qu’il s’est transporté audit jour chez ledit sieur Cressé pour lui en faire satisfaction. En conséquence de laquelle, ledit sieur Cressé, comme aussi le doyen de la Faculté, aurait pardonné et pardonne audit Grisel tout ce qu’il a dit contre son honneur et l’innocence de ses déportements, comme aussi le mauvais traitement qu’il lui a fait ; l’a déchargé et décharge par ces présentes de toutes les procédures contre lui faites, tant au Châtelet qu’au Parlement, et de tous dommages et intérêts, déclarant ledit Grisel de sa part qu’il se désiste de sa plainte récriminatoire {b} qu’il avait calomnieusement intentée contre ledit sieur Crent éteint et assoupi, et comme non avenu ; ledit sieur Cressé remettant audit Grisel {c} tous les dommages et intérêts qu’il pourrait prétendre à cet égard ; et quant aux dépenses faites par ledit sieur Cressé, ledit Grisel les payera selon qu’ils sont dus, et conformément au mémoire de noble homme Étienne Galiot, conseiller du roi et de la Ville, commissaire examinateur dudit Châtelet, etc. »


  1. Aussi nommé grand prévôt de l’Hôtel : « juge d’épée qui a juridiction dans la Maison du roi ,et sur les officiers commensaux et privilégiés, qui a soin de la police et du taux des vivres à la suite de la cour, qui a un lieutenant de robe qui tient ses audiences au-dessous du grand Conseil. On l’a appelé autrefois roi des ribauds [soldats] » (Furetière).

  2. Qui accuse son accusateur.

  3. Exonérant ledit Grisel de.

7.

Jean Ferrier (1614-1674), jésuite, était recteur de la maison professe de Toulouse. Il demeura confesseur du roi jusqu’en 1674.

8.

Antoine Vallot était toujours « comte des archiatres » : premier médecin du roi et chef de sa Maison médicale.

9.

« on donnera à celui qui a » (paroles des Évangiles : v. note [12], lettre 340).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 8 mars 1670

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(Consulté le 27/04/2024)

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