L. latine 60.  >
À un médecin anonyme,
sans date

[Ms BIU Santé no 2007, fo 46 vo | LAT | IMG]

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je crains que ma consultation, [2] que je vous envoie bien tard, ne vous semble tout à fait maladroite et importune, et pour ainsi dire, ne vous parvienne que comme artillerie après la bataille. Je m’exécuterai néanmoins, puisque vous me l’avez ainsi demandé ; mais tenez ceci pour un aveu médical d’égarement.

Si je conjecture bien, mon cher Galien, [1] c’est la malignité de trois remarquables et importants symptômes qui tourmente votre jeune fille, savoir une corruption de l’œil, une enflure phlegmoneuse [3] du coude et une éruption au visage. Puisque tous ces signes viennent d’une seule et même source, et ont le même fondement, qui est une variole évoluée, [4] il n’y a pas de quoi nous attarder plus longtemps à chercher leur cause. Outre certains symptômes graves, dont parfois les malades meurent, la variole (maladie aiguë et maligne) en possède aussi d’autres, à première vue moins dangereux ; il faut pourtant les tenir pour funestes parce qu’ils envahissent la substance solide des parties et la corrompent considérablement. Ces trois pour lesquels nous consultons mènent la famille de tels signes (si vous y ôtez la corruption du poumon). J’exposerai en peu de mots ce que j’en pense. J’affirme une fois pour toutes que cette ophtalmie est de traitement très difficile, comme il est naturel de ce qui, succédant à une maladie maligne et provenant d’une matière maligne refoulée dans l’œil, menace de perte cette partie très précieuse, en y créant un ulcère, contre lequel n’existe presque aucun, voire absolument aucun remède valable ; [5] mais je ne pense pas qu’il faille entièrement s’abstenir de tout traitement car pourtant parfois, dans les corps robustes, on peut faire dominer la chaleur native sur la maladie. Qu’on lave donc, souvent chaque jour, la partie affectée et qu’on l’irrigue en y versant goutte à goutte de l’eau tiède ou une décoction d’eufraise, [2][6] de verveine ou de plantain, [7][8] mais en s’abstenant de toute poudre ; qu’on mette un pyrotique sur le bras du même côté ; [9] et même, si le corps est catarrheux et le cerveau très humide, qu’on l’applique aussi entre la première et la deuxième vertèbre cervicale, ainsi que devant l’oreille ; que deux fois par semaine, on purge avec 3 onces de séné dans une décoction de chicorée avec une once de sirop de roses, et d’autres substances de cette catégorie ; [10][11][12][13] que l’enflure du bras soit menée à la suppuration par l’artifice qu’on voudra ; et dans toute la mesure du possible, qu’on protège de tout délabrement l’os sous-jacent, afin que, comme il arrive souvent dans les affections malignes de ce genre, l’os corrompu n’aille infecter le membre tout entier et qu’à la fin ne survienne un délabrement irrémédiable. Quant à la corruption du visage, si elle est profonde, nul ne l’effacera entièrement ; du moins n’y ai-je jamais rien expérimenté de plus efficace que l’huile d’amande lavée et adoucie en parties égales d’eau de plantain, puis tiédie et employée un jour sur deux. [14] Qu’on lui prescrive un régime alimentaire qui soutienne ses forces sans les surmener, [15] qui la rafraîchisse et humidifie, avec des bouillons, des œufs gobés, de la tisane ordinaire, [16] sans vin. Qu’on purge encore et encore. [3] Mais je passe la mesure : pardonnez à une plume qui court et à un écrivain pressé.

Entièrement prêt à vous servir,

Patin. [4]

[Ms BIU Santé no 2007, fo 46 ro | FRA | IMG]

Monsieur, je vous donne à dire que trois heures après votre absence, cette méchante fièvre m’a repris et m’a continué jusqu’à 2 heures du matin, et elle ne me tient autre lieu qu’alentour des veines et des cuisses.

Monsieur, si c’était votre bon plaisir de me pouvoir donner quelque allègement, je serais obligé à prier Dieu pour vous jusqu’au dernier instant de ma vie.

J’ai pris ce jourd’hui la petite médecine que vous me composâtes hier.

Votre serviteur, Jacques Duperoy.


a.

Brouillon autographe non daté d’une lettre que Guy Patin a écrite à un médecin anonyme, ms BIU Santé no 2007, fo 46 vo.

Le destinataire le plus plausible me semble être François Rassyne, médecin de Gisors qui, dans cette période, sollicitait les avis de Patin sur des malades : v. les lettres de Rassyne datées des 27 décembre 1656 et 10 janvier 1657, sur une remarquable observation d’embolie pulmonaire après un accouchement. Bien que sans rapport avec ce diagnostic, celle-ci pourrait alors être la seule de Patin à Rassyne qui ait survécu aux siècles.

1.

Cette référence à Galien, mi Galene, est probablement une facétie de Guy Patin visant à flatter le confrère auquel il écrivait sa consultation. Contrairement à ceux d’autres héros médicaux antiques (Esculape, Machaon, Hippocrate), le nom de Galien n’est jamais passé dans la langue courante, pour honorer (ou brocarder) un homme de l’art. Ce qu’en dit le Dictionnaire de Trévoux n’en est pas moins curieux :

« L’usage qui a formé ce nom du latin {a} a ajouté l’i, et veut qu’on dise Galien, et non pas Galen, ou Galene. Le nom de Galien, ce fameux médecin, diffère pourtant de celui de l’empereur Gallien, {b} en ce que celui-ci a deux l, comme en latin, Gallienus ; mais dans la prononciation, c’est la même chose. Au reste, quoiqu’on dise Galien, on dit galéniste et galénique, et non pas galiéniste et galiénique. »


  1. Galenus.

  2. V. notule {d}, note [54] du Grotiana 2.

J’ai exploré sans succès l’idée qu’il pût s’agir d’un médecin apparenté au Galien (ou Gallien ?), conseiller de Troyes, que Patin a mentionné au début de sa lettre du 18‑22 août 1647 à Claude ii Belin.

2.

Eufraise,Euphrasia officinalis (Trévoux) :

« petite plante annuelle qui ne paraît qu’en été et dans l’automne. On en fait cas pour les maladies des yeux, et surtout pour les faiblesses de vue. Son eau distillée est bonne pour les inflammations {a} et rougeurs des yeux. {b} Toute la plante, ou en poudre, ou infusée dans du vin, ou prise en guise de thé, soulage ceux à qui la vue commence à diminuer et qui sont fatigués à la moindre lecture. »


  1. V. note [6], lettre latine 412.

  2. Ophtalmie, v. note [10], lettre 271.

3.

Une surprise dans cette ordonnance : l’absence de la saignée.

4.

Ce qui suit n’est pas un post-scriptum, mais un billet rédigé en français par un M. Jacques Duperoy, malade, à l’intention de Guy Patin, qui en a utilisé le verso pour écrire le brouillon de sa lettre.

Avec beaucoup d’imagination, l’allusion aux veines et aux cuisses peut mener à penser que le malade était en proie à une crise hémorroïdaire (v. note [11], lettre 253).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 46 vo.

Vereor, vir clar. ne consilium meum seriùs adveniens transmissum tibi prorsus
se ineptum videatur atque intempestivum, et ut ita dicam, tanquam
machina post bellum tibi adveniat : faciam tamen, quia sic requiris :
tu v. effice ut erranti sit medica confessio.

Tria sunt 2 præcipua et in usum 1 insignia symptomata si bene conijcio, mi Galene, quorum maligni-
tate divexatur tuus juvenis : nimirum oculi perversio, cubiti tu-
mor phlegmonodes, et faciei defœdatio : quæ quia singula ab
uno et eodem fonte fluunt, idémque principium habent, nimirum
prægressas variolas, non est quod in eorum causis pervestigandis diutiùs
immoremur. Variolæ (morbus acutus et malignus,) præter acu-
tissime perniciosæ
gravia quædam symptomata, quibus interdum ægri è medio rapiun-
tur, alia quoque habent prima fronte quidem minùs periculosa, sed
quæ tamen quia solidam partium substantiam invadunt, eámque ut plurimùm
corrumpunt, perniciosa debent haberi : In ijs (si pulmonis corruptelam
eximas) familiam ducunt ea tria illa de quibus consulimus : de quibus
ut paucis exponam quid de illis sentio, semel affirmo, morbum affectum hunc
oculo insidentem esse difficilimæ curationis, utpote qui maligno morbo suc-
cedens, et à maligna materia in oculo impacta subnascens illius partis
pretiosissimæ detrimentum minetur, eam ulcerando, cui ulceri vix ac nevix quidem
ullum prostat αξιολογον remedium : quia tamen in validis corporibus quandoque
factum est ut calor nativus morbo superior factus sit, neque ab omne prorsus
remedio abstinendum censeo : abluatur itaque sæpius per diem et foveatur pars
affecta ex tepida aqua stillatitia vel decocto euphrasiæ, verbenæ aut plan-
taginis, sine ullo pulvere : apponiatur pyroticum brachio ejusdem lateris ;
imò si fuerit corpus rheumaticum, et cerebrum humidius, imò ipsi ad-
moveatur inter 1. et 2. verteb. cervicis, necnon etiam præ aurem : bis
per hebd. repurgetur ex ℥iij. fol. Orient. in decoct. cichocar. cum
sirupi diarhodon ℥j. et cæt. ejusmodi. Brachii tumor ad suppuratum
quavis arte deducatur, et quantum erit in positum, ab omni
labe vindicatur os subditum, ne ut plerumque fit in ejusmodi malignis
affectibus, corruptum os partem integram inficiat, tandémque succe-
dat labes irremediabilis. faciei de fœdationem quod spectat ; si profunda
fuerit, nemo sanè eam deleverit : sin minus, nihil ad eam validius
unquam expertus sum oleo amygdalino loto, et aquæ plantag. par-
tibus æquibus temperato, tepidόque per vices admoto. Eam servet quæ
victus rationem, servet quæ vires foveat, non opprimat ; quæ refrigeret,
humectet, ex jusculis, ovis sorbilib. ptisana vulgari, sine vino. Sæpius
atque sæpius repurgatur. Sed nimius sum : ignosce currenti calamo
et festinante scriptori.

Tuus ad omnia paratissimus

Patinus

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 46 ro.

Monsieur, Je vous donne a dire que trois heures
après vostre absence ceste meschante fievre
fievre m’a repris et m’a continué jusques à 2 heures du matin et elle ne me tient autre lieu
que allentour des veines et des cuisses.

Monsieur,
sy c’estoit votre
bon plaisir de me pouvoir donner quelque alegement
Je serois obligé a prier dieu pour vous jusques
au dernier instant de ma vye.

J’ay pris ce jourd’huy la petite médecine que vous
me composates hier. Vostre serviteur Jacques
Duperoy.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À un médecin anonyme, sans date

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1093

(Consulté le 26/04/2024)

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