L. latine 311.  >
À Heinrich Meibomius,
les 31 juillet et 31 août 1664

[Ms BIU Santé no 2007, fo 174 ro | LAT | IMG]

Au très distingué Heinrich Meibomius, docteur en médecine à Helmstedt.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je vous ai récemment écrit pour vous remercier. [1] Voici pourtant que je prends de nouveau la plume pour ne pas laisser passer l’occasion que vous allez bientôt comprendre. Il m’est tombé entre les mains un Catalogus quidam variorum Scriptorum, quæ apud Henningum Mullerum, Acad. Iuliæ typographum reperiuntur, paru à Helmstedt en 1662. [2][2][3] Presque tous ces ouvrages sont des opuscules non reliés, qu’on peut se procurer pour la somme spécifiée, et dont les auteurs ont fleuri dans votre Université. J’en avais choisi plusieurs dont j’avais établi une liste pour qu’ils me fussent achetés. Julius Hacberg m’avait promis de s’en charger ; [4] mais pour ne pas attendre plus longtemps, puisque j’apprends qu’il n’est pas en votre ville, qu’il séjourne encore dans la Marche de Brandebourg, [5] sans même savoir quand il rentrera dans sa patrie, je me préoccupe du prix qu’on m’en fera et j’ai pensé à vous écrire là-dessus pour vous demander humblement de bien vouloir ne pas me faire défaut dans cette transaction. Je sollicite donc de vous la faveur d’aller voir ledit imprimeur, avec la liste que je vous envoie et que vous trouverez ci-incluse ; lequel vous procurera tous les titres que j’ai soigneusement extraits de son catalogue. [3] Pour ne pas sembler vouloir duper quiconque, il y a indiqué le prix exact de chacun de ses articles, ce que je loue fort, même si je peine à le comprendre ; [4] mais je vous laisse juge de tout cela et tiendrai compte de ce que vous en déciderez. Un marchand français qui habite Hambourg, du nom de Louis Héron, [6] paiera comptant et sur-le-champ la somme due. On fera alors un paquet des dits opuscules non reliés, emballés dans une double enveloppe de papier, habilement serré avec une solide ficelle et même, si requis et jugé opportun, enfermé dans une boîte en bois ; puis on l’enverra à Hambourg avec cette étiquette : À M. Louis Héron, marchand français demeurant à Hambourg, pour faire tenir à MM. de Bobière et Le Preux, marchands, rue Troussevache, à Paris, pour être rendu à M. Guy Patin, docteur en médecine et professeur du roi à Paris[5][7][8][9] M. Louis Héron remettra à votre imprimeur la somme que vous aurez indiquée et fixée, et je la rembourserai à M. le Preux, etc. ; de sorte que sans dommage, incommodité, ni danger pour personne, j’aurai tout ce que je désire si ardemment et avidement. Accédez à mon vœu en souffrant ce que je vous demande, avec assurément beaucoup d’insistance ; engagez cette affaire avec bienveillance car j’y ai pris ma part de peine, et obtenez de l’imprimeur qu’il se procure et mette de côté tous ces articles, puis les expédie à Hambourg d’où il recevra sans tarder le prix dont vous serez convenus avec lui. Néanmoins, si MM. les très distingués Conring, [10] Tappius, [6][11][12] Voglerus [13] (à tous lesquels j’envoie mes salutations les plus obligeantes) ont publié de nouveaux livres depuis deux ans, [Ms BIU Santé no 2007, fo 174 vo | LAT | IMG] ajoutez-les-y en supplément, tout comme ceux d’autres auteurs, en particulier s’ils traitent de philosophie ou de médecine. Veillez donc à cela et prenez soin de mon affaire, je vous en resterai éternellement attaché, comme par un lien d’acier. Je vous en renouvelle la supplique en souvenir de votre très distingué père, [14] que j’ai toujours honoré, au nom de M. Hermann Conring, que j’honore de toute mon âme, et en mon propre nom, moi qui vous honore et continuerai de le faire sans relâche. Vale et aimez-moi.

De Paris, le 31e de juillet 1664.

Vôtre de tout cœur, G.P.

Si vous désirez quoi que ce soit de notre ville, je vous prie de n’épargner ni mon bien ni ma peine. Je suis en effet à votre entière disposition et vous assisterai de mon influence, de mes efforts et de mon argent. Je voudrais aussi que vous saluiez de ma part votre imprimeur, Henning Müller, à qui je prête et voue toute mon attention ; je vous prie d’être mon garant auprès de lui jusqu’à ce qu’il ait reçu de M. Louis Héron la somme que vous m’aurez indiquée. Si vous voulez m’écrire sur cette affaire, choisissez l’intermédiaire de votre prince, [15] aux bons soins de M. Bec, [16] dans le faubourg Saint-Germain, [17] ou bien envoyez votre lettre à Hambourg, à M. Louis Héron, qui la mettra dans le paquet qu’il envoie toutes les semaines à Paris, chez M. le Preux. Je vous quitte, très distingué Monsieur, en vous saluant et en vous priant de m’aimer.

De Paris, le 31e d’août 1664.

Vôtre et sien, G.P.


a.

Brouillon manuscrit d’une lettre que Guy Patin a écrite à Heinrich Meibomius, ms BIU Santé no 2007, fos 174 ro et vo.

1.

Lettre latine du 24 juillet 1664.

2.

Henning Müller (1604-1674 ou 1675), fils d’un libraire-imprimeur d’Helmstedt (actif de 1616 à 1633) ayant le même prénom que lui, avait pris sa succession et été nommé imprimeur de l’Academia Julia (v. note [19], lettre 340) en 1640. Son fils, Heinrich David, lui succéda en 1672, mais il continua à exercer jusqu’à sa mort (data.bnf.fr). En 1662, il avait publié deux catalogues distincts :

3.

Le ms BIU Santé no 2007 n’a pas conservé cette liste.

4.

Guy Patin peinait à comprendre (intelligere) l’équivalence française des prix qu’Henning Müller avait spécifiés en monnaie allemande dans son catalogue.

5.

L’italique est en français dans le manuscrit.

Louis Héron apparaît dans quelques autres lettres de Guy Patin à Heinrich Meibomius. Peut-être était-il apparenté au commerçant parisien Jacques Héron dont Patin a mentionné la banqueroute à la fin de sa lettre à André Falconet du 1er mars 1664.

Un Firmin Bobière et un Jean Le Preux, marchands de Paris, figurent dans le Registre numérisé des familles parisiennes pour cette période. V. note [15], lettre 662, pour la rue Troussevache, proche du domicile parisien de Patin.

Afin qu’on satisfît convenablement son insatiable et dispendieuse bibliomanie, Patin poussait jusqu’à l’obsession les recommandations de précautions à prendre pour protéger, contre les dégâts des eaux et autres avaries, les imprimés qu’on allait lui expédier de Hambourg par bateau.

6.

Jacobus Tappius (Jacob Tappe, Hildesheim 1603-Helmstedt 1680), docteur et professeur de médecine à Helmstedt, était premier médecin d’Auguste le Jeune, duc de Brunswick-Wolfenbüttel (v. note [1], lettre 428). Son livre le plus connu est intitulé :

Oratio de Tabaco eiusque hodierno abusu habita a Jacobo Tappio Med. D. eiusdemque Prof. Publico cum Magistratu academico in Illustri Iulia quartum abiret proprid. Id. Ianuarii m dc liii.

[Discours sur le tabac et l’abus qu’on en fait aujourd’hui, que Jacobus Tappius, docteur en médecine, et professeur public de cette discipline, a prononcé le 12 janvier 1653 en quittant pour la quatrième fois la charge de magistrat académique en l’illustre Academia Julia]. {a}

L’ouvrage se conclut (édition de 1689, pages [E vo]‑[E2 vo]) sur un poème allégorique intitulé Threnodia Nicotianæ miserabiliter vexatæ [Complainte de Nicotiane {b} misérablement malmenée], qui se termine sur ce qui arrivera après qu’on aura banni la consommation du tabac :

Tunc mea stirps cultis secure crescet in hortis,
Et me non ignis sed Fati finiet hora :
Tunc hominis, demum mucos cineresque perosi,
Non sentina magis, putrisque cloaca, cerebrum,
Nec fumi, velut ante fuit, domus atque caminus,
Sed
Rationis erit sedes : in seque reversus
Ceu post liminio tractabit seria mundus
.

[Alors, ma racine poussera tranquillement dans de beaux jardins et au lieu du feu, c’est le destin qui sonnera ma dernière heure. Alors, le cerveau de l’homme, ayant enfin pris les crachats et les cendres en détestation, au lieu d’un égout et d’un cloaque putride, résidence et foyer de la fumée, redeviendra le siège de la raison. Après quoi, ayant retrouvé sa pureté première, il se consacrera de nouveau aux choses sérieuses].


  1. Helmstedt, Henning Müller, 1653, in‑4o ; rééditions en 1660, 1673 et 1689.

  2. V. note [18], lettre 822.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 174 ro.

Cl. viro Henr. Meibomio, Doct. Med. Helmstadium.

Nuper ad Te scripsi, Vir Cl. ut gratias agerem : ecce tamen iterum scribo, ex data
occasione quam mox intelliges. Pervenit ad manus meas Catalogus quidam
variorum Scriptorum, quæ apud Henningum Mullerum, Acad. Iuliæ typographum
reperiuntur : Helmestadij, 1662.
Scripta isthæc pene omnia sunt libelli, non
compacti, certo quodam pretio redimendi, quorum Authores in Academia vestra
floruerunt. Ex ijs plurima selegeram, quorum Catalogum contexueram, ut mihi
emerentur : ad hoc operam suam mihi pollicitus fuerat Iulius Hachberg :
sed quoniam audio illum apud vos non esse, se adhuc hærere in Marchia
Brandeburgensi,
imò dubium esse quandonam in patriam sit reversurus, ne
frustra diutius expectem, operor pretium me facturum esse putavi si ad Te super
ea re scriberem, suppliciter rogando ne mihi deesse velis in isto negotio. Gratiam
hanc à Te postulo, ut cum meo Catalogo quem ad Te mitto, et hîc inclusum re-
peries, ipsum adeas Typographum, qui Tibi singula illa subministrer, quæ ex
ordine sui Nomenclatoris studiosè annotavi : Ille singulis, ne quenquam deci-
père velle videatur, rectum pretium apposuit, quod non valde laudo, etsi vix intelligam, sed Te, de tota re
judicem facio, et quidquid decreveris ratum habebo. Totum pretium statim et
illico, præsentibus nummis restituet Mercator quidam Hamburgi degens, sed
gente Gallus, dictus Monsieur Loüis Heron, quum dictorum libellorum non compactorum fasciculus,
duplici charta tectus, et forti funiculo technicè constrictus, imò et si opportunum
judicaveris, capsula lignea inclusus, si opus fuerit, ad eum mittetur Ham-
burgum,
cum hanc Epigraphe. A Monsieur Loüis Heron, Marchand François,
demeurant à Hambourg,
pour faire tenir à Mess. de Bobiere et le Preux,
Marchands ruë Troussevache, à Paris :
pour estre rendu à Monsieur Guy Patin,
Docteur en Med. et Professeur du Roy, à Paris.
Qualem summam Tu præindi-
xeris atque præscripseris, Typographus tuus accipiet à D. Lud. Heron, et eamdem
ipsam restituam D. le Preux, etc. sicque, absque ullo detrimento, nullius
damno, incommodo vel periculo, totum habebo quod ardentissimè et avidissimè
cupio. Patere igitur ut Te rogem, et certè quàm enixè rogo, accede ad vota mea,
æquo animo negotium aggredere, veni in partem laboris, ac effice ut Typogra-
phus singula seligat ac subministret, quæ Hamburgum mittantur, ubi pretium
à Te prædefinitum statim recipiet. Verumtamen, si à biennio novum quid editum
fuerit à viris clarissimis, (quib. omnibus salutem dico, quam possum officiosissimè,)

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 174 vo.

D.D. Conringio, Tappio, Voglero, superaddas quæso pro Mantissa : ut et ab alijs,
præsertim si philosophica vel Medica fuerint. Vide igitur, et attende ad rem meam,
pro qua Tibi æternum, quasi adamantino vinculo obstrictus manebo : atq.
iterum rogo nomine Cl. tui Parentis, quem semper colui ; nomine D. Hermanni
Conringij
, quem colo ex animo ; et proprio meo qui Te colo et usque colam. Vale
igitur et me ama. Parisijs, 31. Iulij, 1664. Tuus ex animo, G.P.

Si quid ex hac Urbe requiras, ne quæso parcas æri meo aut labori :
sum enim Tibi ad omnia paratissimus, et re, vel opere, vel opera juvabo. Meo
quoque nomine salutes velim Typographum vestrum vestrum, Henn. Mullerum,
cui operam meam addico et consecro : apud quem sodes, mihi sponsor esto,
usquequo summam à Te indictam acceperit à D. Lud. Heron. Qua de re si
posthac velis ad me scribere, elige viam vestri Principis ad D. Bec, in sub-
urbio Santi Germani ;
vel epistolam tuam mitte Hamburgum, ad D. Lud. Heron, qui eam includet in
suo Fasciculo, quem singulis hebdomadis mittit Parisios, ad Dominum le Preux.
Tandem Vir Cl. vale, et me ama. Parisijs, 31. Aug. 1664.
Tuus et suus G.P.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Heinrich Meibomius, les 31 juillet et 31 août 1664

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(Consulté le 18/04/2024)

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