L. 822.  >
À André Falconet,
le 8 mai 1665

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 8 mai 1665

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0822

(Consulté le 05/12/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Ce 6e de mai. J’ai appris aujourd’hui que la reine mère [2] empire et que les divers empiriques [3] qui ont vu son mal ne le soulagent de rien, pas même ce M. Alliot, [4] médecin de Bar-le-Duc. [5] Je pense que vous savez bien que Mme la première présidente [6] est sourde. Divers charlatans [7] y ont été employés, et ce du contentement du maître, Patris patrati, intelligo virum Lam. Principem Senatus[1][8] Quand feu M. Duret [9] parlait de nos magistrats, il disait qu’ils n’entendaient rien à notre jargon et qu’ils en parlaient néanmoins comme s’ils eussent été summi dictatores artis medicæ[2] Il disait d’eux pour montrer le peu d’intelligence qu’ils y avaient, Domini de Parlamento multum abest quin sint medici[3] Comme je sortais aujourd’hui de ma leçon, [10] un homme que je ne connais point m’a prié de lui faire voir Mme la présidente et m’a dit que véritablement, il n’était point médecin, mais qu’il avait un secret avec lequel il espérait de la guérir, et qu’il avait guéri la fièvre quarte [11] et l’hydropisie [12] à des paysans vers Blois [13] et Orléans. [14] Je lui ai répondu que je n’étais point le médecin de Mme la première présidente ni de Monsieur son mari. Je lui répondis qu’il devait s’adresser à Guénault [15] qui était leur médecin il y a plus de 30 ans ; que pour moi, j’aurais mauvaise grâce de m’en mêler, vu qu’il n’était point médecin et que lui-même l’avouait. C’est un homme qui a le caquet bien affilé [4] et qui a quelque mine de prêtre normand ou breton. Je pense qu’il s’accordera mieux avec Guénault qu’avec moi, vu que je n’entends rien en charlatanerie : tout est bon à Guénault pourvu qu’il y ait à gagner, il n’y a rien à faire pour moi de ce côté-là.

M. Baltazar, [16] maître des requêtes, jadis intendant de justice en Languedoc, est ici mort. Il n’a été que trois jours malade, il était usé, et avait fort mauvaise poitrine et la vue courte. Sa femme mourut à Pézenas [17] entre les mains de M. de Belleval, [18] elle s’appelait Louise Du Laurens, [19][20] sœur de M. Du Laurens, [21] le conseiller qui est prêt d’entrer en la Grand’Chambre, et nièce de Messire André Du Laurens [22] qui a si bien écrit l’histoire anatomique[5] Cette famille des Baltazar est fort aimée à Paris pour les honnêtes gens qu’elle a produits et pour ceux qui vivent encore, dont j’ai l’honneur d’être médecin.

Nous avons ici un de nos médecins nommé M. de Mauvillain, [23] fils d’un chirurgien, [6][24] qui s’en va aux eaux de Bourbon [25] où il mène Mme la comtesse de Nogent ; [7][26][27] et un autre, un peu plus jeune, nommé François Boujonnier, [8][28] âgé d’environ 35 ans, qui s’y en va pour soi-même, d’autant qu’il est menacé d’une paralysie vers les hanches. Le premier a bon appétit et court fort, l’autre n’en manque pas et ne peut pas aller si vite ; j’ai peur même qu’il ne se rompe les jambes en voulant trop courir et qu’il ne meure bientôt. Son père [29] était un savant homme et bon homme, mais trop avaricieux. Cette famille est malheureuse.

M. de Bussy-Rabutin [30] est dans la Bastille [31] pour avoir écrit librement des amours de la cour, et y avoir nommé des personnes de crédit qui s’en tiennent offensées et qui s’en sont plaintes. Toutefois, on dit qu’il n’aura point d’autre mal que la prison et que le roi [32] n’en a fait que rire. [9] La Chambre de justice [33] est maintenant occupée au procès des trois trésoriers de l’Épargne, [34] et surtout à celui de M. de Guénégaud. [10][35][36][37]

On parlait l’an passé d’une Histoire de la ville de Lyon faite par un père jésuite nommé de Saint-Aubin, [38] laquelle sera en deux volumes in‑fo. N’en parle-t-on plus, ne viendra-t-elle jamais, que savez-vous de cette affaire ? [11] J’aurais bien de la curiosité de la voir. On a mis depuis trois jours à la Bastille six écrivains qui gagnaient leur vie à faire et à écrire des gazettes à la main, [39] hominum genus audacissimum, mendacissimum, avidissimum, ut faciant rem, etc. [12] Ils mettent là-dedans ce qu’ils ne savent ni ne doivent écrire. On a imprimé ici, fait vendre et débiter et crier fortement par les rues la Bulle de notre Saint Père le pape contre les jansénistes[13][40][41] et trois jours après, on l’a défendue ; et même, ne quid deesset ad rationem veræ fabulæ[14] on a publié et fait courir le bruit que le commissaire avait chargé de faire mettre en prison l’imprimeur [42] s’il eût été trouvé en sa maison. Feu M. l’évêque de Belley, [43] qui a été un homme incomparable, m’a dit en 1632, Politica est ars tam regendi quam fallendi homines ; [15][44] et tout cela n’est point d’aujourd’hui, c’est le même jeu qui se joue et que l’on jouait autrefois, c’est la même comédie et la même farce, mais ce sont des acteurs nouveaux. Le pis que j’y trouve, c’est que ce jeu durera longtemps et que le genre humain en souffre trop.

L’on m’a assuré ce matin que le Journal des sçavans [45] est tout à fait condamné. Il est devenu sage, il ne courra plus les rues, le roi l’a arrêté par son commandement. M. le chancelier [46] en a envoyé redemander le privilège, que M. de Sallo, [47] conseiller de la Cour, lui a aussitôt renvoyé. C’est lui qui en était le premier entrepreneur, le directeur ou l’inventeur. Pour le sieur de Hédouville, c’est un nom en l’air, qui cache un cadet de Normandie, et par conséquent qui n’a guère d’argent. [16]

On tient ici pour certain que la jeune reine [48] est grosse, [17] qui est une nouvelle dont je suis réjoui car nous n’avons jamais trop de princes du sang ; et des autres, nous en avons ordinairement trop. Les Lorrains acquirent trop de crédit en France sous François ier[49] Henri ii [50] et sous la reine Catherine, [51] que Buchanan [52] a appelée la Médée [53] et καθαρμα de son siècle ; [18][54] mais le bon Henri iii [55] les attrapa et ils en sont aujourd’hui, Dieu merci, fort éloignés. Ces cadets lorrains, comme dit le Catholicon d’Espagne[56] sont aujourd’hui trop faibles de reins[19] Ce nous sera assez si Dieu nous conserve le roi et M. le Dauphin, [57] in quorum lumbis multi latent Borbonii, sancti Ludovici nepotes ; [20] plût à Dieu qu’ils vivent et qu’ils règnent usque in annos Nestoreos[21][58] et qu’on en dise Manlia perpetuo numeretur Consule proles[22][59][60]

Le roi a fait partir d’ici 500 cavaliers, hommes d’expédition. L’on croyait que ce fût pour aller en Poitou, mais on dit aujourd’hui que c’est pour le pays du Maine ; cela est encore incertain. M. le premier président a demandé au roi une dispense d’âge pour M. de Lamoignon, [61] son fils aîné, laquelle lui a été envoyée avec un présent de 12 000 écus, dès le lendemain de sa demande. Dantur opes nullis nunc nisi divitibus[23][62]

J’ai aujourd’hui perdu une heure de temps, m’étant laissé emmener avec deux curieux voir la Bibliothèque mazarine. [63][64] Il y a là-dedans bien des livres, bien rares, de diverses langues, de belles miniatures bien curieuses. Ils ont aussi quelques manuscrits fort précieux. Je ne vous en puis dire que cela. Le Journal des sçavans sera rétabli, mais il sera commis à d’autres gens que ci-devant, qui auront plus de retenue et moins d’intérêt. Je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 8e de mai 1665.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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