L. latine 370.  >
À Johann Georg Volckamer,
le 10 septembre 1665

[Ms BIU Santé no 2007, fo 195 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johann Georg Volckamer, à Nuremberg.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je veux vous prévenir que, ce lundi 7e de septembre, j’ai remis au messager de Strasbourg un paquet qu’il doit rendre à M. Johann Dinckel, [2] docteur en médecine en cette même ville, ainsi que le prix du port et une lettre adressée au dit Dinckel, où je l’avertissais qu’il recevrait mon dit paquet, pour lequel j’ai payé la voiture jusqu’à Strasbourg, en le priant de vous l’envoyer aussitôt qu’il l’aurait reçu. Je vous prie de transmettre tout ce qu’il contient à leurs destinataires. Sans avoir encore rien trouvé, je m’enquiers de l’autre colis que j’ai envoyé à Lyon, à M. Spon, [3] dont lui-même n’a eu aucune nouvelle. [1] On parle ici de la maladie du pape à Rome, comme devant être mortelle : [4] il s’agit, dit-on, d’un calcul, avec ulcère rénal creusant et profond, [5][6] épuisement complet du corps et fièvre lente ; [7] mais aussi avec la vieillesse, qui est une maladie incurable, comme a finement plaisanté notre Lucien français, [8] François [Ms BIU Santé no 2007, fo 196 ro | LAT | IMG] Rabelais, propter annos præteritos[2][9] Notre reine mère, Anne d’Autriche, se languit aussi, envahie par les symptômes qui conduisent pas à pas au repos éternel. [10] Une très cruelle peste ravage Londres. [11] Après avoir vainement cherché les Hollandais en Norvège, la flotte anglaise est revenue dans ses ports. [12] Les Hollandais au contraire, rendus plus forts par le retour de leur amiral, cherchent l’ennemi et le provoquent au combat. [3][13] L’évêque de Münster [14] et l’électeur de Mayence [15] méditent quelque chose : quoi qu’il puisse en être, timeo Danaos[4][16] Notre saint-père le pape se plaint vivement de notre Sorbonne [17] et du Parlement de Paris, mais cela me réconforte, vana est sine viribus ira[5][18] Ce Jupiter capitolin cherche à s’obtenir la gloire de l’infaillibilité, [19][20] qu’il n’a jamais eue et que jamais il n’aura, excepté à Rome, dans la cervelle des canonistes, des moines, des loyolites et des autres Gnathon de la curie romaine. [6][21][22][23][24][25] Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, le 10e de septembre 1665.

Vôtre de tout cœur, G.P.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Georg Volckamer, ms BIU Santé no 2007, fos 195 vo‑196 ro.

1.

V. note [2], lettre latine 366, pour ce paquet de livres égaré, que Guy Patin avait envoyé le 20 novembre 1664 à Johann Georg Richter, par l’intermédiaire de Charles Spon et de Johann Georg Volckamer.

2.

« en raison des années qui ont passé » : traduction latine partielle de l’adage rabelaisien, « Vieillesse sera incurable cette année à cause des années passées » ( v. note [6] du Borboniana 9 manuscrit).

3.

Cet amiral était Michiel de Ruyter (v. note [1], lettre 876) : revenu des Antilles en août, il avait été mis à la tête de la flotte hollandaise contre les Anglais après la bataille de Vågen (12 août), devant Bergen, qui avait tourné à la faveur des Hollandais, placés sous le commandement de Pieter de Bitter.

En date de Londres, le 3 septembre 1665, la Gazette (ordinaire no 109 du 12 septembre, pages 896‑897) a donné quelques détails sur les deux malheurs qui frappaient alors le Royaume-Uni :

« Nous avons eu avis de notre flotte, qui est de présent sur nos côtes, que le comte de Sandwich, {a} qui la commande, ayant appris qu’environ 50 navires hollandais, tant de la flotte des Indes, que de celle de Smyrne, {b} s’étaient retirés dans le port de Bergen, {c} en détacha 22, avec brûlots, pour les attaquer, ou y mettre le feu ; et que le chevalier Teddeman, {d} qui commandait cette escadre, s’acquitta de cet emploi avec tant de vigueur qu’il aurait eu tout le succès qu’on en attendait ; mais que ceux du château et des forts, qu’on ne croyait pas devoir prendre parti en cette occasion, traitèrent si mal les nôtres, avec leur canon, qu’ils furent contraints de couper leurs câbles et de se retirer sans rien faire, le vent qui survint ayant aussi rendu leurs brûlots inutiles. On ajoute que cinq de nos navires y ont été grandement endommagés, mais que nous n’y en avons perdu aucun ; qu’il n’y est demeuré qu’environ 100 ou 120 hommes, entre lesquels les Sieurs Edward Montagu et Windham, {e} qui s’y sont particulièrement signalés ; que les ennemis y ont eu plusieurs vaisseaux si maltraités qu’ils ne peuvent être de longtemps remis en mer ; et qu’ils y ont pareillement perdu beaucoup d’hommes, outre les blessés.

On nous écrit de Salisbury {f} que Leurs Majestés britanniques y étaient toujours en parfaite santé, et que le roi, pour empêcher que cette ville-là fût attaquée de la peste, avait enjoint à tous les étrangers de se retirer, à la réserve de ceux qui étaient nécessairement attachés à la suite de la cour. La semaine passée, ce mal contagieux emporta encore en cette ville et dans les faubourgs 3 880 personnes ; et il en est mort en celle-ci 4 327, desquelles 366 étaient dans l’enclos de nos murailles. » {g}


  1. Edward Montagu (1625-1672), premier comte de Sandwich.

  2. Important port de commerce entre l’Empire ottoman et l’Europe occidental, Smyrne (v. notule {b}, note [59] du Patiniana II‑7), en Anatolie, était l’une des échelles du Levant.

  3. Port du sud-ouest de la Norvège (qui était alors danoise).

  4. Thomas Teddeman (ou Teddiman, mort en 1668) était contre-amiral (rear admiral) de la Royal Navy.

  5. Edward Montagu (né vers 1636) était cousin du comte de Sandwich ; Windham, son compagnon d’infortune, se prénommait George.

  6. Salisbury (Wittshire) se situe 130 kilomètres au sud-ouest de Londres.

  7. Nombre de décès survenus à Londres au cours des deux semaines précédentes.

4.

« je crains les Grecs » (Virgile, v. note [183], lettre 166).

En guerre contre les Hollandais depuis mars 1665, les Anglais avaient cherché le double appui de l’Espagne et du prince-évêque de Münster, Christoph Bernhard von Galen (v. note [5], lettre 720), vassal de l’Empire et vieil ennemi des Provinces-Unies. La France, alors alliée des Hollandais, se trouvait dans la délicate position de voir se mobiliser à nouveau contre elle la puissance des Habsbourg (Saint-Empire et royaume d’Espagne), coalisée autour des Anglais ; elle refusa d’entrer en guerre et mit tout en œuvre pour obtenir une paix rapide ; mais vainement, car en janvier 1666, Louis xiv s’engagea dans le conflit contre l’Angleterre.

5.

« la colère sans force est impuissante », Tite-Live (Histoire de Rome, livre i, chapitre 10, § 4) :

Romulus levique certamine docet vanam sine viribus iram esse.

[Par une facile victoire, Romulus leur apprend que la colère sans la force est impuissante].


  1. En citant Tite-Live, Guy Patin anticipait sur Joseph Staline : « Le pape, combien de divisions ? »

    V. notes [2], lettre 741, et [3], lettre 830, pour la querelle de l’infaillibilité pontificale dont les jésuites ravivaient alors les braises.


6.

Gnathon (du grec γναθος, mâchoire) est dans L’Eunuque de Térence le type du parasite, que Jean de La Bruyère a repris dans un de ses Caractères (1687) :

« Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes ensemble sont à son égard comme s’ils n’étaient point. Non content de remplir à une table la première place, il occupe lui seul celle de deux autres ; il oublie que le repas est pour lui et pour toute la compagnie ; il se rend maître du plat, et fait son propre de chaque service, etc. »

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 195 vo.

Clar. viro D. Io. Georgio Volcamero, Noribergam.

Monitum Te volo, Vir Cl. me hesterna luce, die Lunæ, 7. Sept. aurigæ
Argentinensi tradidisse fasciculum, reddendum D. Io. Dinquel, Medicinæ Doctori
ejusdem Urbis, cum vecturæ pretio, et Epistola ad dictum Dinquel, qua eum monebam,
ut acciperet istum meum fasciculum, pro quo satisfeceram aurigæ usque ad Argen-
tinam, et acceptum statim ad Te mitteret : singula in eo contenta transmittas rogo ijs
ipsis quibus sunt destinata. De altero fasciculo ante 8. menses transmisso Lugdu-
num, ad D. Sponium, de quo ipse nihil audivit, adhuc inquiro, necdum constat. Hîc
agitur de morbo Papæ Romani, quasi lethali futuro : dicitur esse calculus, cum ulcere
renali cavo et profundo, cum summa corporis extenuatione, et febre lenta : ut et senio,
quod est morbus incurabilis, ut scitè nugatur noster Lucianus Gallicus, Franciscus

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 196 ro.

Rabelæsius, propter annos præteritos. Regina nostra Parens, Anna Austriaca,
adhuc etiam languet, et ijsdem symptomatis detinetur, quib. tanquam gradib.
itur in requiem sempiternam. Sævissima pestis grassatur Londini : classis Anglo-
rum post frustra quæsitos Hollandos in Norvegia, reversa est ad sua littora ;
Hollandi contrà, fortiores facti per reducem Navarchum suum, hostem
ipsum quærunt, et provocant ad pugnam : Episcopus Monasteriensis
et Elector Moguntius, agitant aliquid : quidquid sit, timeo Danaos. Dominus
Papa conqueritur de Sorbona nostra, et Senatu Parisiensi verùm hoc me
solatur, vana est sine viribus ira : ambit ipse Iupiter Capitolinus gloriam
Infallibilitatis, quam numquam habuit, nec uspiam est habiturus, præterquam
Romæ, in cerebro Canonistarum, Monachorum, Loyolitarum, et aliorum Gnathonum Romanæ Curiæ. Vale, Vir
Cl. et me ama. Parisijs, x. Sept. 1665.

Tuus ex animo, G.P.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Georg Volckamer, le 10 septembre 1665

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(Consulté le 27/04/2024)

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