L. 602.  >
À André Falconet,
le 13 avril 1660

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 13 avril 1660

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0602

(Consulté le 06/12/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Je vous écrivis vendredi dernier quatre grandes pages de marchandise assez mêlée. [1] C’est ainsi que je me divertis avec vous, persuadé que je suis que vous ne le trouvez pas mauvais. [2] Vous les aurez reçues par M. Langlois, [3] secrétaire de M. l’archevêque de Lyon. [4] J’ai rencontré deux fois depuis huit jours votre M. Gras [5] par les rues, semper ille est unus et idem[2]

On dit ici que le roi pourra être marié [6] environ le 16e de mai et que tôt après, il reprendra son chemin pour revenir à Fontainebleau. [7] On bâtit au Louvre [8] et l’on dit que l’hiver prochain il n’y pourra pas demeurer propter imperfectum ædificum[3] mais qu’il sera au château de Vincennes [9] que l’on a fort agrandi, et qu’il y passera tout l’hiver.

< Ce lundi 12e d’avril. > Je soupai hier au soir chez M. le premier président [10] auquel je recommandai fort l’affaire de votre Collège, [11] et même je le lui réitérai plusieurs fois. Je lui dis qu’autrefois le nouveau consul avançait de grandes sommes pour les nécessités de la République romaine et que la moindre somme était de 100 000 écus. Il me demanda où j’avais appris cela, je lui répondis que cela s’appelait aurum oblaticium[4] et que j’avais un bon auteur que je lui reproduirai et que je lui nommai. Il se mit à parler de cet auteur et de son mérite, et après me dit, Mais comment faisaient les consuls romains qui étaient pauvres ? Je lui répondis qu’apparemment ils avaient des amis qui, connaissant leur probité, avançaient pour eux la même somme puisque c’était une loi, ou tout au moins une coutume qui était fondée sur quelque nécessité, comme l’était votre affaire de maintenir en plaidant les droits de la bonne médecine contre les chirurgiens [12] et les apothicaires, [13] hominum genus superbum, rixosum, morosum, avarum, contentiosum, litigiosum, iniustum[5] sans plusieurs autres mauvaises qualités qu’il n’était pas besoin de désigner. Il se mit encore à rire. Je continuai aussi de lui dire qu’il n’y avait à Paris aucune Compagnie où celui qui était reçu ne donnât quelque argent : les maîtres des requêtes en prenant séance donnent 1 000 écus, les conseillers des Enquêtes et des Requêtes donnent, auro præsentaneo[6] 1 500 livres, les chirurgiens et les apothicaires en donnaient, les serruriers, les menuisiers, les chapeliers, les cordonniers et les savetiers mettaient dans la boîte ; que sans ces examens rigoureux, Lyon, qui était une bonne et riche ville et la première de France après Paris, s’emplirait incontinent de charlatans [14] qui viendraient s’y habituer des pays d’Adieusias, [15] Guyenne, Languedoc, Provence, hominum genus ignarum, avarum, lucri appetentissimum[7] qui ne chercheraient ce poste que pour s’y habituer sans avoir envie d’y bien faire, ut facerent rem si non rem, quocunque modo rem ; [8] < que > [16] Genève, la Suisse et l’Allemagne, et même l’Italie et l’Espagne ne manqueront pas de gens altérés qui viendraient, bien qu’inconnus, à Lyon planter le piquet pour y débiter leurs denrées, ut venderent suum porcum ; [9] que les lois et la discipline de votre Collège, et la somme de cent écus, serviraient de barre à réprimer et empêcher une partie de tels abus ; que deux provinces au delà de Lyon étaient pleines de juifs[17] quorum sommum erat votum decipere gentem, quo nomine Christianos intelligunt[10] Il me promit qu’il se souviendrait de toutes mes raisons. Il m’a prié de retourner souper avec lui dimanche prochain et c’est pour moyen de commandement ; si votre affaire n’est pas faite, je lui en reparlerai. J’ai averti M. Riquier [18] qu’après que M. Du Tillet [19] lui aura parlé de l’expédition, je retournerai, s’il en est besoin, en parler à M. le premier président devant dimanche. Voilà ce que j’avais à vous dire sur ce point pour vous rendre compte de ma commission.

Le jeune de Rhodes [20] m’a dit ce matin que Monsieur son père [21] lui permet de demeurer à Paris jusqu’au retour du roi et qu’en attendant ce retour, il s’en va faire un voyage en Angleterre, Hollande et en Flandres [22] pour y voir les universités. Je lui ai promis des lettres pour Londres, Utrecht, Leyde, [23] Douai, [24] Louvain [25] et Bruxelles. [26] J’ai là partout de bons amis, il pourra être averti, en quelque pays qu’il soit, du retour du roi et il se pourra rendre ici pour cette solennelle entrée ; mais quoi qu’il en pense, je crois qu’il ferait mieux de s’arrêter ici et de tâcher d’y apprendre plusieurs bonnes choses de la pratique qu’il ne sait pas encore. Peut-être qu’il croit les savoir ; néanmoins, en tout ce voyage, il pourra voir plusieurs clochers dont il n’aura jamais l’offrande. Quid est peregrinatio ? Est inquieta corporis et animi sine ullo fructu iactatio[11][27][28] J’avais oublié de vous dire que M. le premier président me fit hier boire à sa santé du vin blanc de Condrieu [29] que lui avait donné M. Amat, [12][30] lequel est, comme je crois, un célèbre partisan ; je ne sais s’il est à Lyon. Mais que direz-vous de moi, ne vous suis-je pas ennuyeux et trop importun avec mes lettres trop longues ? Facit hoc amor in me tuus[13][31] il me semble que je vous tiens céans et que nous devisons ensemble.

On dit ici que le roi, étant marié, s’en ira du côté de la Bretagne puis en Normandie, et qu’il en tirera quelque nouvelle somme d’argent qu’il espère de trouver plutôt en ce pays-là qu’ailleurs ; et après, qu’il s’approchera de Paris ; que tout le pays par lequel il a passé est affamé et ruiné. Je le crois, mais j’ai honte qu’il soit vrai. [14]

L’affaire de M. Des Gorris [32] est encore là, je ne sais quand elle sera jugée. Il voulait être retenu à la Chambre de l’édit [33] où il y a un ou deux conseillers huguenots, [34] mais il a été renvoyé à la Grand’Chambre, laquelle est pleine de conseillers clercs qui lui feront perdre son procès. Il m’est venu visiter et m’a prié de lui signer son papier, ce que j’ai refusé, lui disant que c’étaient des suffrages mendiés, qu’il fallait que cela se fît in loco maiorum[15] c’est-à-dire en nos Écoles, si le Parlement qui en est saisi le renvoie à la pluralité des voix.

Je viens d’apprendre de M. Riquier que vos statuts sont vérifiés en Parlement, entièrement et sans aucune restriction. [35] J’en suis tout réjoui, je ne manquerai pas d’en remercier M. le premier président dimanche prochain. M. Riquier en écrit à M. Michel, [36] je vous prie de lui faire mes recommandations. Il mourut hier à Saint-Louis, rue Saint-Antoine, [37][38] un fameux et savant jésuite nommé le P. de Lingendes, [39] âgé de 71 ans. [16] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 13e d’avril 1660.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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