Note [16] | |
De son mariage avec Marthe Dumoustier (v. note [6], lettre 57) Théophraste Renaudot eut neuf enfants, quatre garçons et cinq filles. Deux des fils étudièrent la médecine : l’aîné, Isaac (Loudun 1610-Paris 1680), et le troisième, Eusèbe (Loudun 1613-Paris 1679). Guy Patin a souvent reparlé d’Eusèbe dans la suite de sa correspondance car il fut l’un des piliers du parti antimonial à Paris. À la mort de son père (1653), Eusèbe devint l’un des rédacteurs de la Gazette sous la direction de son frère Théophraste ii, le puîné d’Isaac. Intimement lié à son collègue et « patron » François Guénault, Eusèbe mena une carrière médicale brillante : le 18 avril 1672 (trois semaines après la mort de Patin), Louis xiv le nomma premier médecin du dauphin. Eusèbe a laissé quelques ouvrages de médecine, dont le fameux Antimoine triomphant (1653, v. note [21], lettre 312, avec dédicace à Guénault) et un court mais fort instructif Journal des principales affaires de ma famille (publié par Trochon en 1880). On y lit notamment (à l’année 1678, page 269) cette déclaration qui résume son existence :
Des 14 enfants qui naquirent du mariage d’Eusèbe avec Marie d’Aicqs en 1646, l’aîné, Eusèbe ii (1648-1720), père de l’Oratoire et janséniste convaincu, héritier de la Gazette, s’est acquis la réputation d’un grand érudit, membre de l’Académie française. On doit à la justice de convenir qu’Eusèbe Renaudot, tout comme son père, surpassait de beaucoup le portrait de lui que Patin a haineusement brossé dans ses lettres. Le cours des études médicales d’Isaac et Eusèbe Renaudot est exemplaire des rapports tourmentés qui pouvaient exister entre la Faculté de médecine de Paris et le plus haut niveau du pouvoir politique. Ils avaient tous deux été reçus au baccalauréat de médecine de 1638 par un jury de quatre examinateurs dont Guy Patin était l’un, et sur l’engagement, pris devant notaire, qu’ils n’exerceraient plus aucune fonction au Bureau d’adresse de leur père (v. note [3], lettre 39). Comme de juste, ils avaient tous deux été admis à la licence en juin 1640, en compagnie de sept autres bacheliers, sous le décanat de Simon Bazin (novembre 1638 à novembre 1640). Bien que cette liste ne soit pas transcrite dans les Comment. F.M.P., des croisements d’informations suggèrent qu’Isaac et Eusèbe furent classés 6e et 7e des neuf, devant Pierre Bourdelot (8e) et Étienne Le Gagneur (9e), et derrière Jean de Montreuil (1er), Toussaint Fontaine (2e), Claude Perrault (3e), Charles Le Breton (4e), et Quentin Thévenin (5e). Une lettre du cardinal de Richelieu, transcrite dans les Comment. F.M.P., en date du 5 avril 1642 (tome xiii, fo 140 ro), attire l’attention ; elle est adressée au doyen Guillaume Du Val :
Suivant leur lieu de licence (v. note [8], lettre 3), les frères Renaudot auraient dû disputer leurs actes de vesperie entre le 13 février (vespérie de Quentin Thévenin) et le 10 mai 1642 (vespérie de Pierre Bourdelot). La Faculté avait donc profité d’un voyage d’Eusèbe aux côtés de Richelieu, dont il était médecin ordinaire, pour lui faire sauter son tour de vespérie, ce qui revenait à l’ajourner d’une année pour le doctorat. Par une rouerie dont on n’a pas démonté toute la mécanique, Isaac dut subir le même sort. L’Assemblée convint que le doyen répondrait à l’« Éminentissime seigneur cardinal » pour le remercier de sa lettre et lui dire qu’il allait consulter la Faculté. Cela, on s’en doute, ne satisfit pas Isaac, qui haussa le ton (ibid., fo 142 ro) :
Le 14 août suivant, la Faculté avait fêté la victoire de Guy Patin dans son procès contre Théophraste Renaudot (v. note [3], lettre 90) ; le 13 septembre (ibid., fo 145 vo), lors de sa réunion ordinaire, le doyen donna lecture alta voce [à haute voix] d’un arrêt de la Cour :
La Compagnie jugea prudent de se soumettre en admettant de recevoir, ex vi senatusconsulti [sous la contrainte de l’arrêt], Isaac et Eusèbe Renaudot parmi ses docteurs régents. Réunie le lundi 20 octobre 1642, « après la messe (célébrée le lendemain de la Saint-Luc qui tombait un dimanche) », elle arrêta qu’elle enverrait sous peu une délégation auprès du cardinal de Richelieu (de retour à Paris le 17) pour l’aviser respectueusement qu’elle permettrait aux frères Renaudot d’accéder aux examens du doctorat si Son Éminence elle-même « impose le silence à leur père, Théophraste Renaudot, impudent calomniateur des docteurs régents de Paris, et interdit de toute son autorité à ce Gazetier de continuer à offenser la très florissante Faculté ou l’un quelconque de ses docteurs, que ce soit par parole, par écrit ou par action » (fo 142 ro). Le 23 octobre, le cardinal avait reçu les représentants de la Faculté : Guillaume Du Val, doyen, René Chartier, censeur, Gabriel Hardouin de Saint-Jacques, Maurice de Montreuil, et Jean Bourgeois ; Maître François Citois, médecin de Son Éminence (mais docteur de Montpellier), les accompagnait. En enveloppant leur discours de tous les respects et obséquiosités de rigueur, les députés de la Faculté dirent au cardinal leur souhait de recevoir en leur Compagnie Eusèbe Renaudot, son médecin traitant et domestique (clinicus ac domesticus), ainsi que son frère Isaac, sous condition que le cardinal donne à leur père l’ordre de ne plus molester leur Corps. Le 27 octobre, le doyen convoquait tous les docteurs de la Faculté pour leur annoncer que Son Éminence avait reçu favorablement leur décision et leur requête. Enfin, le 2 décembre 1642, Isaac disputait son acte de vespérie sur la question An a morsu canis rabidi phlebotomia ? [Faut-il saigner pour la morsure d’un chien enragé ?]. Deux jours plus tard, le 4 décembre 1642 (fo 165 ro), le doyen consignait la mort de Richelieu en termes respectueux et affligés ; et dès le samedi 6 décembre, « après la messe, en conseil privé », la Faculté réitérait ses griefs contre Théophraste Renaudot et ajournait sine die les doctorats de ses deux fils (165 vo). Près de quatre ans et demi plus tard, les Comment. F.M.P. reparlent d’eux, sous le décanat de Jacques Perreau, avec la transcription d’une Requête de l’École de médecine contre les Renaudot frères, présentée le 1er avril 1647 (tome xiii, fo 352 vo‑353 vo) visant à leur refuser de nouveau le bonnet en raison des injures et calomnies qu’ils avaient proférées contre la Faculté. Et puis les blocages se sont levés, et les actes des Renaudot se sont succédé :
Sans que j’en ai trouvé la justification dans les Comment. F.M.P., Baron a reclassé Isaac et Eusèbe derniers des 11 licenciés de juin 1646. Transcit par le doyen Jacques Perreau, un « Acte de Maître Isaac et Eusèbe Renaudot » a officiellement conclu les hostilités (Comm. F.M.P., tome xiii, fo 371 ro) : « Aujourd’hui sont comparus par devant les notaires gardes-notes du roi notre Sire en son Châtelet de Paris soussignés, Mres Isaac et Eusèbe Renaudot frères, licenciés en la Faculté de médecine de Paris, demeurant, savoir ledit frère Isaac, Île Notre-Dame {a} sur le quai de Bourbon, et ledit frère Eusèbe, rue des Petits-Champs : lesquels ont déclaré qu’ils n’entendent point se servir des arrêts qu’ils ont obtenus contre ladite Faculté, en ce qu’elle leur fait l’honneur, comme il a été arrêté depuis peu par deux décrets d’icelle Faculté, de les admettre aux degrés de doctorat et présidence, {b} pour jouir comme les autres docteurs des droits, honneurs et émoluments de l’École. Consentant d’être mis au catalogue selon l’ordre de leur réception de bonnet, qui se fera par l’École ; désavouant tout ce qui a été fait par Mre Théophraste Renaudot, leur père, tant par libelles que procédures quelconques, en général et en particulier, contre ladite Faculté et < les > docteurs d’icelle ; promettant, en confirmation d’un certain acte passé par devant Parque {c} et son Compagnon, notaires au dit Châtelet de Paris, de n’exercer aucune des fonctions du bureau d’adresse telles qu’elles sont, mais de s’adonner entièrement, comme ils ont toujours fait, à l’exercice de la médecine ; et consentant, faute de ce faire, d’être privés de toute dignité et émoluments de ladite École. Ce fut fait et passé à Paris en études des notaires soussignés l’an mille six cent quarante-sept, le vingt-neuvième décembre, et ont signé la minute des présentes, demeurée vers et en la possession de François, l’un des notaires soussignés, |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À Charles Spon, le 29 avril 1644, note 16.
Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0104&cln=16 (Consulté le 08/12/2024) |