À Christian Utenbogard, docteur en médecine à Utrecht.
Très distingué Monsieur, [a][1]
Voici qu’au milieu d’une quantité d’empêchements qui me pressent de tous côtés, je satisfais enfin à mon obligation de vous faire savoir qu’en un seul et même jour, à deux heures d’intervalle, j’ai reçu votre lettre datée du 3e de janvier 1651 et, par le messager de Rouen, un paquet de livres où se trouvaient les quatre opuscules que vous y avez mentionnés. Je vous en adresse de très grands remerciements et en fais fort grand cas, car ils me sont parvenus par vos soins, et je m’empresse de vous faire réponse. Je vous laisse le soin de me rembourser les Opuscula anatomica de M. Riolan et vous prie une fois de plus de vous en souvenir. [2] J’approuve tout à fait notre Lucrèce traduit en français et vais donc vous l’envoyer, [1][3][4] avec un nouveau livre en français de Jean Riolan, intitulé Curieuses recherches sur les Écoles de médecine de Paris et de Montpellier. [2][5] Vous y admirerez les connaissances infinies d’un homme très savant et je vous prie, dès qu’on vous le remettra, de le lire [Brant, page 198 | LAT | IMG] du début à la fin. Sachez que j’ai reçu votre Apulée de Price, [3][6][7] dont je vous remercie, et que j’habite une nouvelle maison que j’ai achetée neuf mille écus dans le voisinage. Quand vous voudrez m’écrire, continuez à commencer par la même suscription, mais changez l’adresse : au lieu de rue des Lavandières, mettez dans la place du Chevalier du Guet. [4][8][9] Riolan m’a fait espérer qu’il vous mentionnerait dans la seconde partie de son Encheiridium, je lui en ferai souvenir et lui tirerai l’oreille pour qu’il tienne sa promesse. Il est maintenant tout absorbé à préparer son traité de usu emeticorum, contre les chimistes, qu’il destine à la publication. [5][10][11][12][13] On a ici disséqué le cadavre d’un brigand dont le foie occupait l’hypocondre gauche, et la rate le côté droit ; le même Riolan médite d’écrire un petit traité sur cette remarquable inversion et disposition extraordinaire des viscères. [6][14][15] Je vous enverrai avec empressement tout ce qu’il publiera. Achetez et gardez près de vous le Sennert qu’on vient de publier à Lyon, c’est l’édition la meilleure et la plus complète. [7][16] Nos libraires de Paris, qui sont de très infâmes et misérables grippe-sous, en vendent 27 livres tournois les trois tomes mal reliés ; [17][18] je ne doute pas que vous vous les procurerez pour moins cher à Amsterdam ; mais je vous y exhorte à nouveau, achetez et lisez-les, vous ne regretterez pas de l’avoir fait. Cet auteur est tout plein de bon fruit, et à mettre en tête de tous les modernes, juste [Brant, page 199 | LAT | IMG] derrière Fernel. [19] Oui, ce Fernel que Sennert a lui-même vénéré comme la grande étoile, et mis devant tous les autres. Quant à moi, je le tiens pour celui qui dirige et marche au premier rang des auteurs médicaux, devant qui trois meneurs hors du commun ont ouvert le chemin : Hippocrate, Celse et Galien, hommes tout à fait incomparables et auro contra chari, [8][20][21][22] dont vous devez préférer la lecture à celle de tous les anatomistes et botanistes, en laissant de côté toute cette superfluité qu’on trouve partout et bien trop souvent chez les auteurs plus récents, et qui trompe et incommode fort les lecteurs non avertis. Je ne dédaigne pas cette histoire de la vie et des actions du cardinal de Richelieu qu’on imprime chez vous en français ; [9][23][24] je la conserverai parmi vos pieuses offrandes car tout ce que vous m’aurez envoyé me sera toujours très cher ; mais en tout premier, je vous prie de vous souvenir des lettres de Barlæus. [10][25] L’abrégé de notre histoire de France rédigé par un jésuite, dont je vous ai précédemment écrit, gémit encore sous la presse, j’en ai seulement vu quelques feuilles ; occupé à d’autres tâches, l’auteur n’a pas encore pu l’achever. [11][26] Quand il aura paru, si je le pense utile pour vous, je vous l’enverrai avec d’autres livres que j’aurai trouvés, quels que soient ceux qui se présenteront alors. Pour l’empourpré, notre ministre de la reine, [27][28] il n’y a rien de plus certain [Brant, page 200 | LAT | IMG] que la haine ou la suspicion que tous lui portent ici : on le tient pour un ennemi de la patrie et de tous les honnêtes gens, et même de toute vertu ; il vit pourtant aux côtés de la reine, avec une immense autorité, même si elle n’est pas universelle ; et fruitur etiam Diis iratis, interea victrix provincia ploras. [12][29] Pour les graines de cyprès que vous demandez, j’en parlerai à mon collègue et ami M. Blondel, [30][31] qui est notre professeur de botanique, et j’accomplirai de très bon cœur ce qu’il faudra pour satisfaire vos intérêts et vos vœux. Il en va de même pour le Geranium odoratum, dont j’ai déjà entendu dire que sa graine est si rare qu’on la dit très chère ; [13][32] j’y veillerai pourtant et je ferai mon possible pour pouvoir vous être agréable. Avec d’autres ouvrages, vous recevrez aussi les nouveaux livres de Nicolas Caussin, issu du troupeau loyolitique, de Regno et Domo Dei, où se trouvent beaucoup d’excellentes choses concernant les qualités requises chez les rois et les grands princes. [14][33] L’auteur a déplu au Mazarin, ce qui a fait que, par arrêt de la reine, il a été contraint de quitter cette ville, pour être relégué en Bretagne, en guise d’exil. C’est ainsi qu’au milieu de beaucoup de mauvais esprits qui sont ici soutenus et excellemment traités, un honnête homme endure le bannissement. Dat veniam corvis, vexat censura columbas. [15][34] Mon fils aîné a obtenu son diplôme de docteur, il a présidé en son rang une question quodlibétaire, à laquelle a répondu un bachelier ; vous trouverez ses quatre [Brant, page 201 | LAT | IMG] thèses dans le même paquet, [16][35][36][37][38][39][40] ainsi que des poèmes contre certains charlatans et médicastres qui non seulement usent du vénéneux antimoine, mais en abusent misérablement au plus grand dam des malades. [17][38][41] Par la crue des fleuves du voisinage, qui a été très abondante et telle qu’on ne l’a presque jamais vue, l’écoulement et le débordement des eaux dans le lit de la Seine ont ici été et demeurent si grands qu’ils ont provoqué une immense terreur par toute notre ville. La montée des eaux a emporté de solides ponts et aussi renversé en partie des maisons ; elle diminue un peu depuis deux jours, lentement pourtant et trop doucement pour satisfaire les besoins pressants et les souhaits de nos citoyens. [42] Je n’ai rien d’autre à vous écrire. Vale et vive, continuez d’aimer celui qui est votre fidèle ami et prenez occasion de la présente lettre pour saluer notre ami Canter. [43] Vale, très éminent Monsieur.
Vôtre de tout cœur.
Guy Patin, natif de Beauvaisis, docteur en médecine de Paris et doyen de la Faculté.
De Paris, le 27e de janvier 1651.