[Ms BIU Santé no 2007, fo 199 vo | LAT | IMG]
Au très distingué M. Sebastian Scheffer, docteur en médecine, à Francfort.
Très distingué Monsieur, [a][1]
J’ai reçu vos dernières lettres qui m’ont merveilleusement fait revivre. J’ai remis celle que vous avez destinée au parent de votre épouse, [2][3] que je salue de tout cœur, et lui ai versé la somme que vous m’aviez indiquée ; mais il n’en a accepté que 18 livres tournois, six écus ; [1] il m’a laissé le restant à lui payer comptant une autre fois, ce que j’exécuterai fidèlement. Il m’a aussi promis de m’apporter une lettre où il vous en rendra compte. Je connais très bien Sebastian Switzer, [4] c’est un homme très honnête et de grande confiance, il me remettra sans aucun doute tout ce qu’il recevra de Beyer. [5] Je loue la fidélité de l’un et salue l’autre, en le remerciant pour ses cadeaux, sans les avoir encore vus. [2] Je souhaite que vous parveniez rapidement à bout de la nouvelle édition du livre de Medicamentis officinalibus ; je ne doute pas que vous ayez reçu l’errata écrit de la main du très illustre auteur. [3][6][7] De toute cette année passée, je n’ai reçu [Ms BIU Santé no 2007, fo 200 ro | LAT | IMG] aucune de vos lettres par l’intermédiaire de M. Du Clos ; [8] je crains fort qu’elles ne se soient égarées.
Tel n’est heureusement pas le cas, car en voici une qui me parvient à l’instant même, et je vous en remercie. J’espère que les manuscrits du très distingué Hofmann, [9] de Humoribus, de Calido innato, etc., vous sont bien parvenus et qu’ils verront enfin le jour grâce à vous ; les imprimeurs d’ici sont en effet Gallico gelu frigidiores. [4][10][11][12] Je vous remercie beaucoup pour la lettre de M. Lotich que vous m’avez fait parvenir, [13] je le salue de tout cœur, et lui répondrai dès que j’en aurai le loisir et que ma maison, qui croule presque de vieillesse, aura fini d’être restaurée, et que je n’aurai plus affaire aux maçons et autres ouvriers de cette espèce. [5][14] Nous vivons de méchants jours et des temps fort cruels, à moins que deus aliquis, tanquam e machina, [6] ne vienne au secours de la France tout entière, car tout entière elle souffre cruellement : Italus ille nebulo purpuratus etiam mortuus adhuc imperat. Dii meliora ! [7][15] Vale, très distingué Monsieur, et continuez de m’aimer comme vous faites.
De Paris, le 4e de décembre 1665, jour même où, voici 23 ans, s’en est allé dans l’au-delà Armand Jean, cardinal de Richelieu, [16] qui n’a pas été meilleur que son successeur.
Vôtre de tout cœur, Guy Patin.
J’apprends que Sebastian Switzer viendra ici le mois prochain ; écrivez-moi par son intermédiaire, s’il vous plaît, ainsi qu’à votre parent, au sujet des deux livres du très distingué Hofmann, mais surtout de son manuscrit.
Au même. [8]
Très distingué Monsieur,
Je reçois à l’instant même votre lettre que m’a transmise M. Du Clos, tandis que je m’apprêtais à sceller la mienne. Je n’attends plus aujourd’hui que le paquet expédié par M. Widerholdt, imprimeur de Genève ; [17] je l’espère avant la fin de ce mois, car j’ai écrit pour cela à Genève. [9] Je m’étonne de l’impudence des gens et de l’injustice du siècle : j’avais envoyé pour vous à M. Horst [18] un paquet et une lettre que je vous destinais, en le priant de vous les remettre ; j’avais confié le paquet à Sebastian Switzer et la lettre au jeune Horst, [19] lequel apprend la médecine sans y être fort diligent ; mais après avoir quitté Paris, il s’est arrêté à Bâle pour étudier sous la férule de M. Bauhin. [20] Loué soit Dieu tout-puissant, puisque vous avez quand même fini par tout recevoir ! Songez donc sérieusement, je vous prie, aux futures éditions tant des trois traités manuscrits du très distingué M. Hofmann, de Humoribus, etc., que de son livre de Medicamentis officinalibus. Avec ces deux publications, vous gratifierez sans nul doute la postérité savante d’un immense bienfait et vous vous attacherez aussi tous les amis de feu ce très vénérable vieillard. [10] Je m’étonne pourtant que vous ayez vu mon paquet ouvert chez M. Horst, à qui je l’avais envoyé bien enveloppé et ficelé afin qu’il vous le rendît en cet état. O hominum divumque fidem ! [11][21] où donc te niches-tu ici-bas aujourd’hui ? Il est aisé de tromper un ami, mais je serai désormais plus sage et ne souffrirai plus qu’on me dupe ainsi. Je vous demande de faire accomplir toutes vos commissions par M. Strauss, [22] car ces trois manuscrits de notre immense auteur sunt mihi auro contra chara. [12] Tout le temps que je les ai eus en mains, je n’y ai pas lu d’épître dédicatoire et j’ignore s’ils en ont jamais contenu une seule. Je n’ai encore rien vu de ce traité de Simon Paulli de Abusu tabaci, etc., mais en ai pourtant entendu parler ; [13][23][24] cet auteur a ici un fils qui étudie la médecine. [25] J’ai vu plusieurs éditions de ma thèse An totus homo sit à Natura morbus ? ; [26] le très distingué Jan van Beverwijk, [27] qui fut mon ami tout le temps qu’il a vécu, en a publié une à Rotterdam. [14] J’ai ici le nouvel Hippocrate de Vander Linden. [28][29] Je n’ai vu ni le Conatus anatomicus de Lorenz Strauss, ni les autres traités de Crammius, ni Kozak de Hæmorrhagia, etc. [30] J’ai ici le Campus Elysius ; [15][31] j’espère que j’aurai enfin tout ce qui me reste à voir. Je vous enverrai le Dion Chrysostome, [32] avec le Libanius ; [33] je les [Ms BIU Santé no 2007, fo 200 vo | LAT | IMG] remettrai à Sebastian Switzer et il vous les portera quand il sera rentré à Francfort. [16] Je suis encore profondément peiné par la mort de votre très distingué père, ce vénérable vieillard. [34] Dieu fasse pourtant que, pour notre soulagement commun, croisse et fructifie votre petit garçon, et bien que je sois loin de lui, je l’embrasse du fond du cœur ; je vous prie donc de lui faire un baiser, ainsi qu’à sa mère. Tout est incertain en l’état présent des affaires par toute l’Europe : rien pourtant ne me semble si fort à redouter que l’ambition de tous ces princes, avec leur haine mutuelle et leur rage de faire la guerre. Je ne m’étonne ni ne me soucie des comètes, [35] ce sont des manifestations célestes qui terrifient le sot petit peuple, mais qui n’annoncent aucun malheur et ne nuisent à personne. [36] Presque tous les partisans et les concussionnaires, qui ont naguère misérablement tondu notre très fougueux royaume sous les deux empourprés qui l’ont gouverné, [7] sont ici accablés par le tribunal royal qu’on a institué à cette fin, et on lui donne le joli nom de Chambre de justice ; [17][37] on les enjoint sévèrement de rendre ce qu’ils ont pris ; unde iræ et lacrymæ [18][38] de nombreuses familles, car on plaide contre eux tous, et ce fort légitimement et au nom du roi. [39] Dii meliora ! [19] Vale.
Le même jour que ci-dessus, 4e de décembre 1665.
Vôtre et leur, [20] Guy Patin.