L. 474.  >
À Charles Spon,
le 1er avril 1657

Monsieur, [a][1]

Ce petit mot n’est que pour donner entrée dans votre maison au présent porteur, qui est un honnête homme nommé M. Mazuray, [2] fils d’un savant père et fort honnête homme nommé M. Mazuray, [3] docteur en médecine. J’ai pensé et bien aisément cru que vous, étant mon bon ami comme je vous tiens et comme je suis obligé de le croire, que vous ne seriez pas marri que je vous donnasse la connaissance de telles honnêtes gens ; comme aussi je pense lui faire chose bien agréable de lui donner la connaissance du plus honnête homme que je pense être entre Paris et Montpellier, où M. Mazuray s’en va donner son argent pour en obtenir des lettres de maîtrise, ut in posterum impune necet CAIM[1][4] Néanmoins je lui pardonne tous les meurtres qu’il commettra si jamais il est si malheureux d’en faire, pourvu qu’il ne tue que les moines [5] d’Orléans [6] et ceux d’alentour. Et néanmoins en ce cas-là, ne craignez rien pour les cordeliers : [7] il n’y en a eu aucun, ils en furent chassés l’an 1535 pour une fourberie qu’ils avaient voilée du saint et sacré nom de religion ; voyez ce qu’en dit Sleidan. [2][8] Au reste, je vous prie de voir de bon œil M. Mazuray, fils d’un savant médecin d’Orléans, et me conservez en vos bonnes grâces, puisque je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce 1er d’avril 1657.


a.

Ms BnF no 9357, fo 244, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon » ; Reveillé-Parise, no ccciii (tome ii, pages 293‑294, faussement datée du 8 avril 1657) ; Prévot & Jestaz no 26 (Pléiade, pages 496‑497). Au revers, de la main de Charles Spon : « 1657./ Paris, 1er avril/ Lyon, 14 dud., par/ M. Mazuray./ Rispost./ Adi 24e dud. »

1.

« pour ensuite tuer impunément CAIM » : acronyme désignant les Carmes, les Augustins, les Jacobins (dominicains) et les frères Mineurs (franciscains).

Vade et occide CAIM [Va-t’en tuer…] était la cynique admonestation que l’Université de Montpellier faisait à ceux qu’elle avait gradués « à la petite mode », en les renvoyant dans leurs contrées d’origine (v. notes [52] et [53] de L’ultime procès de Théophraste Renaudot).

Les précédents éditeurs des lettres ne sont pas venus à bout de CAIM :

Aucun Mazuray ne figure dans la liste des docteurs en médecine de Montpellier au xviie s. établie par Dulieu. Guy Patin et Charles Spon ont plusieurs fois parlé du père et du fils dans leurs lettres.

2.

Johann Philippson Sleidan ou von Schleiden (Schleiden, duché de Luxembourg 1506-Strasbourg 1556) vint achever ses études en France, s’attacha au cardinal Jean Du Bellay (v. notule {b‑3}, note [15] du Faux Patiniana II‑3) et fut employé dans plusieurs affaires importantes. Il professait secrètement les principes des réformateurs et dut sortir de France pour se soustraire aux édits rigoureux de François ier contre les luthériens. En 1551, il fut député de Strasbourg au concile de Trente (v. note [4], lettre 430) et l’année suivante il régla la convention entre cette ville et Henri ii pour la nourriture de l’armée. Son Histoire, couvrant la période 1517-1555, intitulée De statu religionis et reipublicæ Carolo Quinto, Cæsare, Commentarii… [Commentaires sur l’état de la religion et des affaires publiques sous l’empereur Charles Quint…] (Strasbourg, W. Rihel, 1655, in‑fo), a été rééditée de très nombreuses fois et traduite en plusieurs langues.

Le livre ix des Œuvres de Jean Sleidan, comprises en deux tomes (Genève, Jacob Stoer, 1597, in‑8o) contient, pour l’année 1534, la Farce de l’esprit des cordeliers d’Orléans (tome 1, fos 131 vo‑132 vo) :

la femme du prévôt d’Orléans avait demandé en mourant qu’on l’enterrât chez les cordeliers sans aucune pompe funèbre ; son mari respecta ce souhait et donna six écus aux cordeliers de la ville pour l’exécuter. « Ce don ne les contenta guère, comme beaucoup moindre que la proie jà par espoir d’eux engoulée [avalée]. Depuis ils requirent ledit prévôt de leur départir du bois qu’il faisait couper et vendre, ce qu’il leur refusa tout à plat. Ils prindrent [prirent] cela fort à cœur, joint qu’il n’était guère en leurs papiers [faveurs] par avant, et machinèrent pour se venger de dire que sa femme était damnée éternellement. » À cet effet ils cachèrent un jeune novice sur la voûte de leur église en lui demandant de faire grand tintamarre quand ils y disaient matines à minuit. Des habitants d’Orléans vinrent constater le phénomène, dont le bruit se répandit aussitôt. Un exorciste du couvent ayant interrogé l’esprit tapageur, il apparut qu’il était l’âme de la femme du prévôt, damnée pour cause d’hérésie luthérienne, et qu’il fallait que son corps fût déterré et transporté hors de terre sainte. Le prévôt ne voulut rien en croire et alla porter plainte au roi pour la supercherie des cordeliers. On les fit venir à Paris. Le jeune novice avoua tout et les moines furent condamnés à la prison, échappant de peu à un ordre royal de raser leur couvent. Le récit de Sleidan ne dit pas qu’ils furent alors définitivement chassés d’Orléans.

Le Borboniana 5 manuscrit (v. ses notes [47] et [48]) et le Faux Patiniana II‑3 (v. sa note [15]) procurent quelques détails supplémentaires sur la vie de Sleidan et ses talents d’historien.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 1er avril 1657

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(Consulté le 27/04/2024)

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