Ce 14e de février. Le duc de Lorraine [2] est allé à la cour pour ses affaires et celles de la duchesse d’Orléans, [3] sa sœur. On dit que le prince de Condé [4] arrivera ici mercredi prochain et que cette paix, [5] que nous avons nouvellement faite avec le roi d’Espagne, [6] nous est fort avantageuse par plusieurs bonnes villes qui nous demeurent. La paix a été aujourd’hui publiée au Parlement, à l’Hôtel de Ville et devant le Louvre. [1]
Ce < dimanche > 15e de février. Comme j’attendais que l’on me vînt quérir à l’ordinaire pour aller souper avec M. le premier président, [7] j’ai contremandé à cause de la solennité du jour de demain, et ce souper a été remis dans huit jours. Dieu soit loué de tout ! Je n’ai regret que pour l’audience de M. le comte de Verdun, [8] dont j’avais promis de rendre compte demain à M. Duchef ; [9] tout le monde se plaint qu’on n’en peut avoir ; toujours y ferai-je ce que je pourrai et je verrai ce qu’il me dira. [2]
Ce 16e de février. Aujourd’hui le Te Deum [10] a été chanté fort solennellement pour la paix [11] dans Notre-Dame [12] en très grande et très belle compagnie. La réjouissance est publique, le feu de joie se doit faire ce soir dans la Grève, [13] comme aussi dans toutes les rues. Mme la duchesse d’Orléans doit ce soir arriver à Luxembourg. [3][14] On dit que M. le duc d’Orléans, [15] voyant sa femme et ses enfants, dit en mourant : Domus mea, Domus desolationis vocabitur. [4] M. de Choisy de Can, [16] son chancelier, est mort à Blois, [17] de regret de la mort de son maître. [5] On dit que M. de Vendôme [18] et M. de Beaufort [19] auront le gouvernement de Languedoc [20] pourvu qu’ils veuillent céder l’Amirauté ; [21] cela est fort dans la bienséance du neveu Mancini. [22] M. le Prince [23] sera ici chef du Conseil. Messieurs de la Ville ont ordre de l’aller saluer, tous les ordres ne laisseront pas d’y aller, et même l’Université ira. Je me souviens que nous y fûmes, l’an 1651, lorsqu’il fut revenu de prison du Havre-de-Grâce, [24] j’étais alors doyen. [6] Le duc de Lorraine est ici. Le corps de M. le duc d’Orléans sera jeudi à Limours [25] et après on l’emportera, par Saint-Cloud, [26] à Saint-Denis, [27] sans passer par ici. [7] On dit que les jésuites [28] ont fait imprimer une nouvelle Apologie pour les casuistes en latin, à Palerme en Sicile. C’est une pièce de même nature que le Tamburini [29] de M. Huguetan ; [8] il en devrait avoir une copie et l’imprimer encore, vous m’obligerez de le lui dire. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.
De Paris, ce 17e de février 1660.
1. |
La ratification par les gouvernements espagnol et français expliquait le délai de plus de trois mois entre la signature de la paix (7 novembre 1659) et sa publication (14 février 1660). |
2. |
Tout le monde se plaignait de la difficulté à obtenir une audience auprès du premier président, Guillaume de Lamoignon. Guy Patin reportait à huitaine son intervention auprès de lui en faveur de personnes à qui il avait promis de le faire, sur la recommandation d’André Falconet. Le comte de Verdun est probablement Louis d’Hostun (mort en 1679), époux de Philiberte de Becerel (Saint-Simon). M. Duchef était un Lyonnais ami et sans doute homme de confiance d’André Falconet. Il venait à Paris pour régler un procès, mais aussi avec la mission de faire revenir à Lyon l’abbé Falconet, prêtre qui menait dans la capitale une vie dispendieuse et dissolue aux dépens de son frère André. |
3. |
« Luxembourg » était le palais parisien de Monsieur, Gaston d’Orléans, frère cadet de Louis xiii. Monsieur était mort à Blois le 2 février 1660, ne laissant que des filles et sans trop faire pleurer les siens. Fille unique de son premier mariage, la Grande Mademoiselle était alors auprès du roi en Provence et a laissé un souvenir amer sur les circonstances de ce deuil (Mlle de Montpensier, Mémoires, deuxième partie, chapitre ii, pages 427‑433) :
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4. |
« On appellera ma Maison, Maison de désolation. » Une lettre de Rancé à Arnauld d’Andilly (v. note [4], lettre 845), datée de Blois, le 8 février 1660 reprend ce récit ; Chateaubriand l’a transcrite par dans sa Vie de Rancé (v. note [6], lettre 480 ; livre ii, pages 80-81) :
L’amertume de Gaston d’Orléans sur son lit de mort exprimait sans doute l’échec global de sa vie, dans le rôle ingrat de frère cadet du roi Louis xiii, ayant toujours refusé de se soumettre à lui, avec le rêve obsédant de prendre sa place (v. infra, note [7]). L’extinction de sa lignée princière, faute d’héritier mâle (les femmes ne transmettaient pas la qualité de prince du sang royal), devait aussi y prendre part. Son neveu, le duc Philippe d’Anjou, frère cadet de Louis xiv, allait hériter du duché d’Orléans et du titre de Monsieur. |
5. |
V. note [21], lettre 533, pour Jean de Choisy (de Can), seigneur de Beaumont, mort le 20 février. |
6. |
7. |
La mort de Monsieur, Gaston d’Orléans, frère de Louis xiii, ne fit pas prendre le grand deuil à la cour ; Mme de Motteville (Mémoires, pages 485‑486) en a bien donné la raison :
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8. |
V. note [9], lettre 573, pour le traité Sur le Décalogue de Tommaso Tamburini (Lyon, 1659). Je n’ai pas trouvé la traduction latine de la nouvelle Apologie pour les casuistes (Paris, 1659, v. note [18], lettre 546), dont parlait Guy Patin. |
a. |
Bulderen, no clxiv (tome i, pages 424‑426) ; Reveillé-Parise, no d (tome iii, pages 176‑177). |