Ce samedi 26e de février. Trainel, [2] fils d’un papetier devant le Palais, âgé d’environ 28 ans, après avoir été condamné au Châtelet, [3] a été transféré à la Conciergerie. [4] Enfin, après environ un mois de temps, son appel a été jugé à la Tournelle [5] et la sentence confirmée. Tôt après, on a apporté au président de la Tournelle, qui est M. Le Coigneux, [6] une lettre de cachet [7] par laquelle le roi [8] veut que l’exécution soit sursise. Dès le lendemain, 25e de février, Messieurs de la Tournelle ont envoyé des députés au roi pour lui faire entendre la justice de leur arrêt. M. le président Le Coigneux a donc été à Saint-Germain [9] où il a été bien reçu du roi et bien écouté. M. Regnard, [1][10] conseiller de la Grand’Chambre et rapporteur du procès, y était aussi ; ce rapporteur est un des plus hommes de bien du Palais et fort bon juge. Comme l’on faisait au roi une énumération des crimes de ce malheureux, le roi les interrompit et dit En voilà beaucoup trop, faites justice. En suite de la volonté du roi, il a été ce matin enlevé de la Conciergerie et ramené dans une chaise au grand Châtelet, [11] et mis dans la chapelle où il est présentement. Il n’a plus qu’à songer à sa conscience pour être pendu aujourd’hui après-midi au bout du pont Saint-Michel. [12][13]
Et il le vient d’être, après avoir fait amende honorable [14] devant Notre-Dame. [15] Il y avait 200 archers, tant à pied qu’à cheval, mais il y avait une horrible quantité de monde. Ce malheureux a encore son père et sa mère vivants. Beatus qui facit iustitiam in omni tempore. [2][16] Feu M. l’abbé de Saint-Cyran, [17] qui a été le vrai Petrus Aurelius, duquel il est parlé dans les Épîtres de Lipse [18] sous le nom de Ioannes Vergerius Auranus, [3] qui avait été un des adorateurs de Lipse et son pensionnaire les trois dernières années de sa vie, uterque fuit catholicissimus, [4] bien que Lipse soit mort entre les mains du P. Lessius, [19] jésuite, et que l’autre haït bien cette Société ; M. de Saint-Cyran, dis-je, m’a dit autrefois, en parlant de ces exécutions criminelles, qu’il mourait à Paris plus de monde de la main du bourreau que presque en tout le reste de la France ; ce qui n’est pas absolument vrai, mais il parlait avec horreur et extrême doléance de tant de meurtres et assassinats qui se faisaient à Paris, et il approuvait fort les punitions exemplaires que les juges en font faire ; aussi Paris en a bien besoin car il y a trop de larrons et vauriens, et trop de gens oiseux qui ne cherchent qu’à faire bonne chère et à être braves aux dépens d’autrui.
Enfin, le roi d’Angleterre [20] est d’accord avec le nôtre du lieu où les députés s’assembleront pour traiter de la paix ensemble, y joints les Danois et les Hollandais. [21] Ce ne sera point, comme l’on disait à Dinant [22] au pays de Liège, [23] mais à La Haye [24] en Hollande. Nos députés seront M. Colbert, [25] le maître des requêtes, et M. Courtin. [5][26] Je prie Dieu qu’ils s’accordent. On dit ici que le pape [27] a une hydrocèle [28] et qu’il a grand peur de se soumettre à l’opération qui y est nécessaire. Je l’ai vue souvent faire à Paris sans aucun mauvais accident. S’il a peur, c’est qu’il est vieux et qu’il voudrait bien ne pas sitôt quitter sa place, en laquelle haurit aquas in gaudio de fontibus Salvatoris. [6][29] Il y a ici une grande banqueroute [30] d’un nommé Jacques Héron [31] par le malheur d’un certain marchand d’Amsterdam [32] nommé Belot, Lyonnais. [33] Je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.
De Paris, ce 1er de mars 1667.
Bulderen, no ccccxli (tome iii, pages 224‑226) ; Reveillé-Parise, no dccxl (tome iii, pages 638‑640).
Jacques Regnard, reçu conseiller au Parlement de Paris en 1623 (première Chambre des enquêtes), mort en 1668, étant à la Grand’Chambre (Popoff, no 2104).
« Heureux qui pratique en tout temps la justice », Psaumes (105:3) :
Beati qui custodiunt iudicium, et faciunt iustitiam in omni tempore.[Heureux ceux qui observent le droit, qui pratiquent en tout temps la justice].
Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran (1581-1643), avait été l’auteur janséniste du Petrus Aurelius, ouvrage gallican contre Rome et les jésuites (v. note [9], lettre 108).
Le Iusti Lipsi epistolarum selectarum Chilias… [Millier de lettres choisies de Juste Lipse…] (Avignon, 1609, v. note [12], lettre 271) contient trois lettres adressées à Ioannes Vergerius Auranus [Jean Duvergier de Hauranne] :
lettre xcii, centurie iv, envoyée à Paris, le 26 juillet 1604 (pages 930‑931, v. note [12] du Borboniana 4 manuscrit).
Io. Vergerio Aurano suo.
Vergeri mihi care, care Musis.
An non dixero ? cuius ecce versus
Et sensu lepidos, et elegantes
Verbis vidimus : atque eos bilingues.
Nam lingua patria et simul Latina
Scripti erant : quod amare et approbare
Et vetus queat, et nova hæc Poesis.
Macte. tene ego censeam hæc minora
Sic industrie habere ? te severæ
Addictum Sophiæ, et libris sacratis ?
Quos tractas iuvenis, virente in ævo,
Tali iudicio acrimoniaque
Ætas ut tibi vel senecta cedat.
Vix lanugo tuas genas inumbrat,
Barbatos tamen ipse ego magistros
Te lacessere, quid lacessere ? addam,
Vidi vincere. perge porro summa
Laudis tangere : sed Modestia usque
Assit, sic tibi laus perennis assit. Vides ? tuus me amor et calor incendit, et versus adegit fundere, an versiculos ? Vere istos breves et leves sunt, etsi affectus in te largus et firmus. Quod bona fide et veteri Gallico candore, habere dictum. Vale, in Musæo nostro, iii. Nonas Ianuar. mlɔ ciiii. [À son cher Jean Duvergier de Hauranne. Ô Duvergier qui m’es cher et qui es cher aux Muses, pourquoi ne le dirai-je pas ? Les vers que voici sont de moi ; ils sont à la fois agréables par leur sens, plaisants par leurs mots et bilingues. Je les ai en effet écrits dans ma langue maternelle et aussi en latin ; la poésie, ancienne comme nouvelle, cherche quoi aimer et faire approuver. Mes félicitations ! Voici ce que je pense être des vétilles, {a} les recevras-tu avec ardeur, toi qui te dévoues à la sévère Sagesse et aux livres saints ? Les années passant, l’âge mûr ou la vieillesse, par leur jugement et leur énergie, te feront délaisser ce que tu travailles étant jeune homme. Un duvet t’assombrit à peine les joues, et des maîtres barbus, moi le premier, te harcèlent ; et pourquoi te harceler ? Je t’ai vu réussir, ajouterai-je. Continue sans relâche à frôler les sommets de la gloire ; mais à toi la gloire éternelle si la modestie t’accompagne. Le vois-tu ? ton amour et ta chaleur m’incendient et me poussent à rimer, ou n’est-ce que rimailler ? En vérité, ces rimes sont courtes et légères, quand mon affection pour toi est vaste et solide ; ce que tu voudras prendre pour dit en toute bonne foi et avec l’ancienne franchise gauloise. Vale. De notre étude, le 5 janvier 1604]. {b}
- V. note [28] du Faux Patiniana II‑5.
- Alors âgé de 57 ans, Juste Lipse mourut à Louvain le 23 mars 1606.
« tous deux ont été très catholiques ». Reveillé-Parise a ici, et sans doute justement, corrigé en catholicissimus de l’édition Bulderen le rechatholissimus : superlatif emphatique qui n’existe pas en latin, pour dire « exagérément catholique » ?
V. notes [6], lettre 856, pour Charles Colbert, marquis de Croissy, frère puîné de Jean-Baptiste, le ministre, et [3], lettre 310, pour Honoré Courtin, lui aussi maître des requêtes.