L. latine 245.  >
À Christiaen Utenbogard,
le 24 mai 1663

[Ms BIU Santé no 2007, fo 146 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Christiaen Utenbogard, docteur en médecine, à Utrecht.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je rends d’infinies grâces à votre gentillesse pour la bienveillance extraordinaire que vous avez manifestée en mon nom au profit de M. Le Rebours, maître des comptes à Paris[2] Vous avez dépassé toutes mes espérances, car je n’attendais jamais rien de tel de ma recommandation, pas plus que lui-même, quand je lui ai remis le billet qu’il me demandait. Tant votre amour pour moi que le retard plus important que prévu que ledit Le Rebours a pris pour arriver dans votre Hollande ont fait que les choses se sont passées différemment. Lui et son frère, [1][3] me semble-t-il, n’ont désormais plus qu’à restituer l’argent qu’on leur a remis, et ils sont disposés à le faire avec les intérêts ordinaires. Vous aviserez donc celui qui a compté l’argent de tenir le frère aîné de M. Le Rebours, qui est libellorum supplicum Magister, en français maître des requêtes, pour disposé à lui donner son dû : il est prêt à payer la somme [Ms BIU Santé no 2007, fo 147 ro | LAT | IMG] à celui qui en présentera la quittance, avec les intérêts que cet argent aura produits depuis que votre ami l’a remis. Il choisira qui il voudra parmi les négociants parisiens, que ce soit l’excellent M. des Martins ou n’importe qui d’autre, [4] et lui remettra comptant la somme en échange du billet. Je comprends qu’il en a déjà été avisé. [2]

Quant à votre neveu, [5] ce fils de votre sœur, [6] il est enfin revenu du Berry à Paris ; il m’est venu visiter, je l’ai vu et embrassé, tant à cause de vous que de Jan van Heurne, son arrière-grand-père. [7] Je lui ai parlé du cours des études qu’il va ici mener et suivre avec sérieux, comme il m’a promis ; mais avant d’avoir engagé quoi que ce soit, il est revenu trois jours après pour me dire adieu et m’aviser qu’il s’en irait le lendemain pour l’Angleterre, après quoi il retournerait dans sa patrie ; ce que, sans mentir, je n’ai pas entendu sans éprouver de chagrin. J’espérais en effet qu’il deviendrait mon auditeur, parmi les autres étudiants que j’ai au Collège royal et qui suivent mes leçons ; [8] et même qu’il m’assisterait auprès des malades que je dois visiter chaque jour, [9] où je l’aurais initié à la légitime méthode et à la plus sage médecine. Son désir de s’en aller a pourtant modifié et contrarié mon souhait, tout comme son plaisir ou son zèle excessif à regagner sa patrie. Heureux soit celui qui nous quitte si rapidement ! Je n’irai pas blâmer un jeune homme qui, pour son plus grand profit, vous aura comme précepteur et comme ami. Vous serez pour lui plus qu’un Patin, mais bien un oncle et un protecteur, un Hippocrate [10] et un Galien, [11] un Celse [12] et un Fernel ; [13] et même Curia, Censor et Quirites[3][14] Quant à notre ami M. Marten Schoock, [15] comment se porte-t-il et se souvient-il de nous ? Son fils [16] ne viendra-t-il pas chez nous ? Faites-lui entendre, s’il vous plaît, que tout ce qui concerne M. Marten Schoock m’est tout à fait cher. Quant à vous, très éminent Monsieur, après les remerciements que je vous devais pour tant de faveurs dont vous m’avez comblé, ainsi que mes amis, vive et vale, et aimez-moi.

De Paris, ce jeudi 24 de mai 1663.

Votre Guy Patin de tout cœur.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Christiaen Utenbogard, ms BIU Santé no 2007, fos 146 vo‑147 ro.

1.

Thierry Le Rebours (vers 1623-1706), seigneur de Bertrandfosse, frère aîné de Jean (v. note [2], lettre latine 242), avait été reçu conseiller au Grand Conseil en 1650, puis maître des requêtes en 1656, charge dont il se démit en 1676 pour devenir président au Grand Conseil (Popoff, 2097).

2.

Outre Johannes Antonides Vander Linden à Leyde (v. note [1], lettre latine 244), Jean Le Rebours, accompagné de son frère Thierry (v. supra note [1]), était allé voir Christiaen Utenbogard à Utrecht pour lui remettre de l’argent que Guy Patin lui devait (comme nous l’apprend le début de sa lettre du 24 août 1663). À ce qu’on peut comprendre, Utenbogard avait de plus présenté à Le Rebours un de ses amis désireux de transférer une grosse somme à Paris. Le maître des comptes perçut l’argent en échange d’un reçu permettant à son frère, Thierry Le Rebours, de verser la somme à quiconque le lui présenterait à Paris.

Ce pécule était distinct des 1 200 livres tournois que Linden avait envoyées à Paris pour y financer le séjour de son fils Hendrik sous la tutelle de Patin : v. le début des lettres latines du même jour que celle-ci (note [1]) et du 4 mai précédent.

C’est la seule apparition du dénommé des Martins dans la Correspondance. Il pourrait bien s’agir du Parisien dont a parlé Dubuisson-Aubenay dans son Journal des guerres civiles (tome ii, pages 152), en date du lundi 15 janvier 1652 :

« M. le duc d’Orléans {a} envoie des gardes chez le sieur des Martins, banquier au quartier des Halles, pour lui faire avouer qu’il avait fait sortir de l’argent dans une charrette couverte de fiens, {b} et que c’était pour amener au cardinal Mazarin. Des Martins n’ayant pas fait de cas de ces questions, les gardes allèrent chez un commissaire du quartier pour le faire aller chez ledit des Martins et l’interroger. Le commissaire refusa, s’il n’avait ordre de ce faire, exprès et par écrit de M. d’Orléans. Eux étant retournés au Palais d’Orléans, le sieur Portail, conseiller de la troisième des Enquêtes, {c} s’y trouva et s’offrit d’aller, comme en effet il alla, chez ledit des Martins, auquel il fit prêter serment et aussi au sieur Pidou, jadis premier commis du sieur Barbier, qui s’y rencontra, et qui répondirent ne savoir rien de cet envoi d’argent, ni de la prétendue charrette de fiens. Mais le mardi 16, le corps des négociants, ayant appris ceci, s’assembla et en fit beaucoup de bruit. »


  1. Rallié à Condé, le duc d’Orléans dirigeait la Fronde parisienne et se démenait pour empêcher le retour de Mazarin en France (v. note [19], lettre 279, pour un aperçu de cette situation politique).

  2. Fumier.

  3. Paul Portail, v. note [37], lettre 294.

3.

« la Cour, le juge et les quirites » (George Buchanan, v. note [5], lettre 146). V. note [19], lettre 222, pour les quirites, c’est-à-dire le peuple de Rome.

On sent dans les propos gentiment ironiques de Guy Patin le souhait de cacher sa déception, avec la suspicion d’un méfait peu avouable que le jeune van Heurne aurait commis lors de son séjour dans le Berry et qui le poussait à quitter sans tarder le royaume de France.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 146 vo.

Cl. viro D. Christiano Utenbogardo, Med. Doctori, Ultrajectum.

Amplissimas ago gratias humanitati tuæ, Vir Cl. pro beneficio illo
non vulgari, commendatione mea collato D. de Rebours, Maistre des Comptes
à Paris.
Spem meam longè superasti, neq. enim tale quid unquam sperabam
ex mea commendatione : neq. aliter sentiebat qui schedulam meam à me im-
petravit : aliud tamen accidit, tum ex amore in me tuo, tum ex diuturniore mora
dicti D. de Rebours in vestra Hollandia. Nunc ejusmodi fratribus hoc
unum peragendum superesse videtur, ut acceptam pecuniam restituant :
quam reddere sunt parati cum fœnore ordinario : monebis itaque illum
qui pecuniam numeravit, Domini de Rebours fratrem natu majorem, qui est
libellorum supplicum Magister, vulgo Maistre des Requestes, habere
paratam pecuniam ei reddendam, quam statim numerare paratus est ei

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 147 ro.

qui debitoriam schedulam repræsentabit, cum debito fœnore, pro fructu pecuniæ
tunc temporis traditæ ab ipso tuo Amico, qui quem voluerit seliget inter mercatores
Parisienses, verbi gratia tuum Dominum des Martins, virum optimum, aut alium quemlibet, qui pro
schedula pecuniam accipiet præsentissimam : de quo jam antehac, ut audio,
monitus fuit.

Quod spectat ad illum tuum ex Sorore nepotem, tandem
ex civitate Bituricensi redijt Lutetiam, venit ad me, vidi et amplexus sum,
tum propter Te, tum propter Io. Heurnium, ejus proavum : cum illo egi de ratione
studiorum hîc habenda et servanda : quod est mihi pollicitus : sed priusquam ali-
quid egisset, post triduum reversus est, ut valediceret, dixitq. se die sequenti
abiturum in Angliam, et postmodum reversurum in patriam : quod absque
dolore, nec mentior, non audivi : sperabam enim illum mihi Auditorem futurum,
cum studentis alijs quos habeo in Schola regia quotiescumque doceo : imò adju-
torem futurum, quotidie in ægris invisiendis, ubi eum ad legitimam metho-
dum et ad saniorem Medicinam introducerim. Sed hoc meum votum immutavit et
obvertit ejus abeundi cupido, et in patriam revertendi libido, vel studium immodicum.
Bene sit illi qui tam citò nos reliquit : nec vitupero hominem, qui Te Præcep-
torem et Patronum, Amicum, magno suo commodo est habiturus : Tu eris illi plusquam
Patinus, sed Patruus et Patronus : Hippocrates et Galenus, Celsus atque
Fernelius :
imò Curia, Censor et Quirites. Sed amicus noster D. Mart.
Schoockius,
quî valet, ut meminit nostri ? Filius ejus estne ad nos ven-
turus ? fac, sodes, ut intelligat mihi carissimum esse quidquid pertinet ad D.
Mart. Schoockium.
Tu v. vir præstantissime, post debitam gratiarum
actionem, pro tot in me et meos collatis beneficijs, vive, vale, et me ama.

Parisijs, Die Iovis, 24. Maij, 1663. Tuus ex animo Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Christiaen Utenbogard, le 24 mai 1663

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(Consulté le 26/04/2024)

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