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Consultations et mémorandums (ms BIU Santé  2007) : 21

[Ms BIU Santé no 2007, fo 257 ro | LAT | IMG]

Homme souffrant de fièvre composée
[consultation,1653] [a][1]

Très distingué Monsieur,

Après avoir soigneusement lu ce que vous nous avez écrit sur ce très noble malade, nos conseils se résument à penser que l’état de ce fort honnête homme s’est grandement aggravé car, à la chaleur des viscères, principalement nutritifs, et κακοπαθιαν, [1] se sont ajoutés : une fièvre dont le genre n’est pas univoque ; d’abord continue et assez impétueuse, [2] puis double tierce, [3] elle est enfin devenue quarte lente ; [4] alors, seulement, sont apparus de très funestes symptômes qui manifestent à la fois une intempérie hautement consolidée des susdites parties, et un vice remarquable du sang et de toutes les humeurs. En vérité, si nous ne sommes pas mauvais augures et si vous n’y prenez pas assidûment garde, il faut sérieusement redouter une hydropisie [5] qui attaquera le malade petit à petit et insensiblement, et qui, à la fin, épuisera ses forces. S’il en est ainsi, il faut prendre soin de le purger, dès que possible et très souvent ; à quoi conviendront bien les remèdes plutôt doux : [6] séné [7] avec un peu de moelle de casse [8] et, en quantités égales, rhubarbe, [9] sirop de roses pâles [10] et de fleur de pêcher ; [11] l’électuaire de citron, [12] à la dose de 2 drachmes, conviendra aussi parfaitement. Le malade devra se purger de cette façon deux fois chaque semaine, tantôt avec les sirops composés prônés ci-dessus, tantôt avec l’électuaire de citron, tantôt avec de la manne de Calabre [13] à la dose d’une once et demie ou de deux onces. Pour que la force de ces médicaments purgatifs pénètre et se développe plus rapidement et convenablement, on les diluera dans une tisane préparée à partir de racine de pissenlit, [14] d’aigremoine, [15] de fraisier, [2][16] de chiendent, [17] d’érynge [18] avec de la réglisse [19] en quantités égales.

Ensuite, il faudra tempérer les humeurs par la phlébotomie, [20] à moins qu’une fièvre plus violente, des douleurs, des insomnies perpétuelles ou une soif inextinguible n’aient poussé à y recourir plus tôt ; mais encore faudra-t-il alors, la pratiquer avec grande parcimonie.

Si on prescrit des apozèmes, [21] ils seront plutôt destinés à éteindre la dyscrasie des viscères qu’à détourner vigoureusement les humeurs séreuses.

Nous faisons si peu de cas des fortifiants que nous ne les prescrivons pas du tout. [22]

Le régime alimentaire [23] sera liquide pour sa plus grande partie ; et si des mets solides sont proposés, ce sera en très petite quantité, faute de quoi ils augmenteront la faiblesse de l’estomac.

Quand le malade aura été souvent purgé, il ne sera pas mal à propos d’employer les eaux minérales, [24] en alternance et avec les précautions que les médecins expérimentés ont coutume de mettre en œuvre pour les administrer.

Quand vous aurez recouru à tout cela et constaté que l’issue en a été heureuse, le malade pourra enfin commencer à boire du lait : nous entendons du lait d’ânesse, [25] [Ms BIU Santé no 2007, fo 257 vo | LAT | IMG] en excluant celui de vache, [26] que nous tenons pour mauvais ; les purgatifs doux, à répéter régulièrement, devront pourtant précéder et accompagner la prise du lait.

Par ces moyens, nous sommes confiants que votre patient retrouvera enfin sa santé première ou du moins se trouvera fort soulagé, à l’essentielle condition qu’il se soumette docilement à vos conseils.

De Paris, le 12e de février 1653.

Riolan [27]    Guy Patin [28]    P. Courtois, doyen de la Faculté. [3][29]

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a.

Copie manuscrite d’une consultation à laquelle Guy Patin a participé (avec déchirures du bord droit de la feuille) ; Pimpaud, Document 22, pages 91‑95.

1.

« au mal-être » : κακοπαγιαν dans le manuscrit, mais ce mot n’a pas de sens en grec ; en accord avec le contexte, je l’ai remplacé par κακοπαθιαν (accusatif de kakopathia, mal-être).

2.

Chomel (1741) a énuméré les vertus médicinales oubliées qu’on attribuait au fraisier :

« Toute la plante est astringente : {a} les fraises sont bonnes aux bilieux, elles éteignent la soif et tempèrent la chaleur du corps. Si on les lave avec du vin, elles ne se corrompent pas dans l’estomac. Le vin qu’on tire des fraises enivre. L’eau distillée sert aux lépreux, fortifie le cœur, purge la poitrine, est bonne à l’épanchement de la bile et rafraîchit le sang ; la dose est trois cuillerées trois fois le jour. La décoction de la racine et de l’herbe provoque l’urine.

Le jus ou le vin que l’on exprime des fraises est très bon pour ôter les rougeurs et petits boutons qui viennent au visage de chaleur de foie, même pour apaiser les rougeurs des yeux, et effacer les boutons et taches de ladrerie. {b} La décoction de la racine et des feuilles de fraise fait un vin qui sert pour faire passer la jaunisse, si on en boit quelque temps au matin ; comme aussi pour provoquer les mois aux femmes, {c} et arrêter les fleurs blanches {d} et flux dysentériques ; si on en prend en forme de gargarisme, il conforte la gencive et les dents, et dissipe les fluxions. »


  1. V. note [30], lettre 222.

  2. Lèpre.

  3. Règles.

  4. Nom vulgaire des leucorrhées, écoulements vaginaux muqueux, naturels ou d’origine infectieuse.

3.

Les signatures non autographes des trois consultants respectent leur ordre d’ancienneté sur le tableau des docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris (v. note [5], lettre 32) : Jean ii Riolan (reçu en 1604, v. note [7], lettre 51), Guy Patin (1627) et Paul Courtois (1645, v. note [5], lettre 265).

Pour le reste, l’histoire de cette fièvre avec menace d’hydropisie n’a pas grand relief : le diagnostic est vague et impossible à moderniser ; à quelques-uns de ses ingrédients près, le traitement est d’une profonde banalité.

s.

Ms BIU Santé 2007, fo 257 ro.

Vir clarissime,

Postquam diligenter perlegimus quæ a te de Nobilissimo ægre ad nos scrip[ta]
sunt, eò demum consiliorum nostrorum summa redijt, ut putemus cum honestissimo
viro, eò deterius agi, quòd ad viscerum præsertim nutritiorum fervorem, et
κακοπαγιαν accesserit febris non unius modi ; sed i. continua eaq. satis vehem[ens,]
dein duplex tertiana, subindeq. lenta et quartana, tum demum pessima
symptomata quæ et partium a nobis commemoratarum intemperiem altè
obfirmatam, et sanguinis omniumq. humorum vitium insigne declarant : nec
verò parum metuendum ipsi est ab hydrope qui, nisi malè nobis præsag[it]
animus, et sedulò prospicis, sensim sine sensu, ægrum adorietur, suisq. tandem
exhauriet viribus : Atque hæc si ita sunt ; danda est opera ut quamprimum
ac sæpius repurgetur æger, idq. clementioribus præsidijs in eam rem valebunt
sena cum pauca medulla et s.q. rhei syrup. diarhodon et flor. mal. persic.
valebit quoque plurimum electar de citro ad Ӡ.ij. Verè fuerit ægri ut singula
quaq. hebdomada bis hoc pacto repurgetur, modò additis syrup.supra laud[atis,]
modo electar de citro, modò manna calabrin. ad ℥i.ß aut ad ℥ij. [Ut]
vero celeriùs commodiusq. subeat ac deducatur medicamenti vis infundan[t]
purgantia ista medicamenta, in ptisan. è radic. taraxac agrimon. frag[ariæ,]
gramin. eryngij cum glycyrhiza. s. q.

A venæ sectione erit deinceps temperandum nisi aut gravior febris
aut dolor, aut vigiliæ, juges, aut sitis, inexhausta eam postulare vi[deantur]
atque etiam tum paulò parciori manu erit celebranda.

Apozemata si quæ præscribantur ea potius extinguendæ viscerum δυσκρα[σια]
quàm abducendis validâ vi serosis humoribus destinata sint. Roborantia ut non adeô magni facimus ita nec omnino recipimus.
Victus ratio ejusmodi sit ut majorem partem sit sorbilis, et si qua exhib[eantur]
solidiora alimenta, tam exiguâ copia exhibeantur, ut ne imbecilliore[m]
alioqui ventriculum gravent.

Ubi sæpius repurgatus fuerit æger non abs re fuerit ut vice comitensib[us]
aquis utatur adhibitis cautionibus quæ a peritioribus solent adhibe[ri.]

Hæc ubi in usum revocaveris et felicem exitum habuisse compere[ris,]
poterit tandem comitti æger
την γαλακτοποσιν : lac asininum in[telligimus]

t.

Ms BIU Santé 2007, fo 257 vo.

[v]accinum excludimus tanquam vitiosum : præmissis tamen blandioribus purgantibus,
quæ et ipso tempore
γαλακτοποσεως erunt ex intervallis iteranda.

His artibus fore confidimus, ut aut tandem secundæ valetudini restituatur
aut certè plurimum levetur æger tuus, maximé si sese semper
morigerum præbeat tuis consilijs.

Datum Lutetiæ Parisiorum, die duodecima Februarij, ann. 1653.

Riolan    Guido Patin    P. Courtois facult. Decanus


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Consultations et mémorandums (ms BIU Santé 2007) : 21

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(Consulté le 26/04/2024)

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