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Consultations et mémorandums (ms BIU Santé  2007) : 20  >

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Consultations et mémorandums (ms BIU Santé 2007) : 20

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8150

(Consulté le 19/03/2024)

 

[Ms BIU Santé no 2007, fo 253 ro | LAT | IMG]

Observation d’un homme souffrant d’hémispasme de la face
[mémorandum, 1595] [a][1][2]

La maladie dont souffre ce très distingué trésorier de France [3] ne semble ni évidente à diagnostiquer ni très simple à soigner, ce qui n’est pourtant pas impossible. D’abord, contrairement à ce que disent presque tous les anatomistes, elle fait voir qu’un seul pannicule charnu (qu’en conséquence ils appellent muscle large et peaucier) [4] ne procure pas le mouvement à la face tout entière. L’observation qui suit m’en a fourni la preuve, fondée sur l’ordonnancement même d’un mouvement involontaire et perverti, qui a en vérité la nature d’un spasme. [1] La moitié droite de la face ne présente aucune lésion visible et se comporte tout à fait selon l’ordre de la nature ; mais la partie gauche bouge anormalement et de manière fort désordonnée : d’abord, survient inopinément une secousse involontaire de la paupière supérieure ; puis l’aile du nez du même côté se tord pareillement ; puis vient le tour de la lèvre supérieure. La paupière en premier, l’aile du nez en deuxième, la lèvre supérieure en troisième, sont ainsi attaquées tour à tour. Hors de toute volonté du patient, le mouvement atteint parfois la paupière seule, par où la crise commence toujours ; parfois elle est suivie par les deux autres parties ; et parfois, comme à la manière d’un coup de foudre, les trois parties se mettent toutes ensemble en mouvement. Il faut donc que divers muscles, dont les actions diffèrent à ce point, entrent individuellement en action, et non qu’ils se tordent d’une seule et même manière et sous une seule et même impulsion. Et voilà pour les muscles. La plupart du temps, mais moins constamment, le malade est aussi tourmenté par des tintements, des bourdonnements et des sifflements de l’oreille gauche. Il arrive encore que l’appareil et le sens de l’odorat soient obstrués, vers le processus mamillaire [5] ou vers la partie gauche de l’os ethmoïde, [6] avec perception brouillée des odeurs et écoulement bloqué de l’excrément muqueux par le nez. [2] Voilà de quoi se plaint ce très distingué personnage. Pour le reste, il se porte fort bien, s’acquittant parfaitement de toutes ses autres fonctions corporelles. Les causes d’une si pénible maladie sont exclusivement à chercher dans le domaine nerveux. Comme tout le monde sait, [Ms BIU Santé no 2007, fo 253 vo | LAT | IMG] le cerveau est divisé en deux parties, d’où naissent tous les nerfs qui transmettent les sensations et les mouvements ; [3][7] c’est ici la partie gauche, et non droite, du cerveau qui est atteinte, et seul le mouvement est corrompu, sans nulle atteinte de la sensation. Les médecins pensent depuis longtemps que par les nerfs s’écoulent non seulement l’influx destiné aux muscles, mais aussi les esprits vitaux. [8] Je dirai donc que l’altération vient d’esprits perturbés qui s’agitent en grand désordre. Voilà probablement la raison pour laquelle le matin, pendant de nombreuses heures, et par moments dans le cours de la journée, quand le patient est à jeun, il a le côté gauche de la face si calme que nul ne peut se persuader qu’il ne jouit pas d’une entière santé. Ensuite, sous l’effet d’un léger facteur déclenchant, comme quand il s’applique à des tâches difficiles, tant d’écriture que de calcul, ou quand lui vient le désir de manger, ou quand il lui arrive de parler fort longtemps, alors, comme pour donner l’alarme, la grimace de son aura commence à frétiller, [4][9] avant d’exciter la contorsion difforme et hideuse. Il faut donc en conjecturer que s’est alors accumulée cette humeur subtile qui engendre des ventosités contre nature et sème le trouble parmi les esprits natifs. En s’éparpillant jusqu’à rétrograder entièrement, ces ventosités cèdent ensuite leur place aux influences légitimes du mouvement. Mais d’où de si fougueuses ventosités peuvent-elles provenir ? Certains diront qu’elles naissent de la rate, qui est la fabrique des flatuosités et des esprits néfastes, d’où elles s’échappent vers le haut ; [10][11] d’autres affirmeront qu’elles sont transportées depuis le cerveau, qui est la source de la pituite excrémentielle, [12] par les nerfs qui traversent les orifices des os du crâne et de la face ; d’autres feront valoir qu’elles sont causées par le mauvais tempérament et la surcharge de la seule partie affectée. Ayant soigneusement palpé les deux hypocondres, [13] je les ai trouvés souples, mous et en condition satisfaisante à tous égards, sinon que le gauche était confusément tendu, ce qui est de peu d’importance : de fait, bien des gens qui ont la rate indurée sont tourmentés par des borborygmes, [5][14][15][16] mais chez eux, pourtant, rien de semblable à ces spasmes ne survient : même si leur visage est plombé, il reste harmonieux dans son mouvement naturel. La maladie avait d’abord attaqué la tête, en la frappant de douleurs intenses et prolongées ; mais cette céphalée s’étant apaisée puis ayant disparu, il semble [Ms BIU Santé no 2007, fo 254 ro | LAT | IMG] que les déversoirs en aient, d’une manière ou d’une autre, libéré le crâne en ouvrant un passage par les orifices dont j’ai parlé plus haut. L’humeur subtile qui progresse dans le cerveau doit y engendrer la production persistante de ventosités, qui alimente le mal : la principale raison pour laquelle le patient reste longtemps le matin sans être incommodé par son mouvement désordonné, est que durant la nuit qui a précédé, grâce au repos de la faculté animale, cette humeur s’est comme amollie et dissipée. Le désordre survient pourtant, non de manière continue, mais par intermittences, plus ou moins longues, parce que l’humeur subtile persiste et que des flatuosités ininterrompues en résultent. Il faut néanmoins porter grande attention aux causes prédisposantes que j’ai dites : études prolongées ou travail trop intense des yeux, prise de nourriture, parole, qui précèdent la trépidation contre nature. Qu’est-ce là d’autre, dis-je et dira-t-on, qu’une intempérie de la partie affectée avec accumulation en son sein d’un esprit malfaisant, qui se fraierait un chemin pour sortir à l’occasion du petit effort que font les maxillaires pour bouger ou les yeux pour fixer attentivement quelque objet, et qui s’échapperait alors sous la forme d’un mouvement trémulant et maladroit, jusqu’à renaître ensuite, et qui, une fois régénérée, produirait les mêmes effets ? Étant donné le nombre et la diversité des causes possibles, et les difficultés qui se présentent à moi, je pense qu’il me faut en venir au traitement, car cette maladie nous ouvre de vastes choix. Avant cela, je dirai d’abord un mot du pronostic : le malade appartient à une famille prédisposée aux apoplexies et aux paralysies ; [17] lui-même souffre ainsi depuis quelque temps de céphalées et a été attaqué par des tortures du bras gauche ; bien qu’il ait été entièrement libéré de tout cela, est resté ce qui ressemble à cette torsion périodique de la bouche dont les auteurs étrangers modernes disent que si elle ne s’est pas résolue au bout de six mois, elle finira par se transformer en paralysie. [6] Ce tourment a affligé le malade depuis bientôt deux ans, et il est à craindre qu’il ne l’accable encore longtemps s’il n’est pas secouru de manière plus efficace. Il faut surtout redouter, je pense, que les manifestations, qui intéressent à présent les structures superficielles, ne se communiquent à l’œil et n’engendrent une baisse de la vision.

Pendant trois semaines, les médecins, dont, entre autres, le très savant Dalibuzius, [18] avaient vainement prescrit tout ce qui se peut rencontrer en matière d’évacuants et de ce qu’on appelle vulgairement le régime ; [7][19] mais absolument sans la moindre utilité. Bien au contraire, le malade avait empiré, une fois arrivé au bout de ces remèdes, pris pour satisfaire au caprice [Ms BIU Santé no 2007, fo 254 vo | LAT | IMG] des prescripteurs (qui lui avaient ordonné, jusqu’à l’en dégoûter, des médicaments purgatifs[20] des apozèmes, [21] des pilules, [22] etc.). Cela prouve sans ambiguïté que les remèdes trop chauds lui font du tort ; et il est vraisemblable que les rafraîchissants modérés pourraient lui être utiles car je pense volontiers, comme Fernel [23] (et Rondelet pourra le contredire autant qu’il voudra), [24] que la paralysie peut parfois provenir d’une humeur bilieuse. [8][25] J’en prendrai pour témoins toutes ces douleurs coliques [26] que la bile engendre dans cette affection ; elle a pour compagne constante une fièvre, dont l’évaporation [27] finit par attaquer les membres supérieurs ; et quand la cruelle torture des muscles qui meuvent les bras s’est assagie, vient leur déplorable paralysie, que seul l’emploi de l’eau et des rafraîchissants peut amender et guérir. J’affirme donc avec force que c’est la bile qui engendre les spasmes, mais qu’il s’agit d’une bile extrêmement âcre et, pour ainsi dire, fort nitreuse. Je ne voudrais donc pas que, sous prétexte de donner satisfaction à ceux qui mettent en cause la rate (dans la région de laquelle le malade ressent, mais très rarement, des flatuosités piquantes), nous perdions plus de temps à employer tous ces remèdes spléniques, qui n’ont pas réussi jusqu’ici ; mais qu’à la première occasion qui se présentera, le malade soit conduit vers le refuge des esprits minéraux, savoir les eaux de Pougues, [28] car elles lui procureront plus de secours en huit jours que tous les autres remèdes nouveaux en huit mois et même, oserais-je dire, en huit années. Par leur effet, il y a très grand espoir de dégager la rate de ce qui l’embarrasse, mais aussi d’humecter le cerveau avec des vapeurs plus favorables, en réprimant la malice des esprits morbifiques qui rendent ce mal si opiniâtre. Un médecin a doctement écrit au sujet de ces eaux : [9][29] il conclut que les esprits de vitriol [30] ou de colcotar y imprègnent l’eau élémentaire, [10][31] parce qu’elles impriment immédiatement leur acidité à ceux qui les goûtent. Ceux qui ont été formés aux arts chimiques [32] affirment tous unanimement qu’elles présentent pourtant quelque acidité dans leurs esprits, étant donné que presque tous les sels, tant minéraux que de métalliques, y ont été suprêmement exaltés. Il est évident, pour quiconque les goûte et les consomme, qu’en vérité, elles tirent aussi leur aigreur du fer brut. L’usage le plus répandu [Ms BIU Santé no 2007, fo 255 ro | LAT | IMG] chez ceux qui pratiquent la médecine, les Italiens en particulier, enseigne que c’est un remède approprié pour les rates chargées d’ordure. Ceux qui, en France comme en Lombardie, la destinent à leurs hypocondriaques, [33] dont le nombre est immense, leur donnent pareillement à boire du fer, si bien que vous auriez raison de les appeler sidérophages. [11][34] Les vapeurs ferrugineuses, dont ces eaux de Pougues sont sans aucun doute remplies et imprégnées, assurent cela beaucoup plus efficacement et sans danger. Il se trouve en effet dans ce voisinage de nombreux gisements ou mines de fer ; s’étant infiltrées dans ces montagnes, les eaux émergent par une source qui se situe dans une vallée qu’on appelle en français le Morvent (parce que le vent y est comme mort à cause de l’épaisseur des forêts et de l’encaissement des vallons). [12] Le cerveau tirera très probablement profit de vapeurs d’une si grande pureté, une fois qu’on aura levé l’obstruction de la rate, ce que ces eaux accomplissent très commodément en provoquant l’urine ; qu’on aura revigoré toutes les parties du ventre inférieur, ce que ces exhalaisons avantagent prodigieusement (car, étant fort amies de la nature, elles s’attachent intimement à l’eau élémentaire [35] qui neige dans le corps et y est retenue pendant plusieurs mois) ; et qu’on sera parvenu à pousser dehors la grande intempérie qui a agité ces humeurs subtiles et ces esprits flatulents.

De l’avis de nombreux médecins et chirurgiens, il restait (pour qu’un retard ne rendît pas le danger plus grand) à extraire cet esprit venteux en lui ouvrant une issue à l’aide d’un pyrotique. [36] Étant donné qu’il n’y avait pas d’accord entre eux sur le lieu où l’appliquer, je rends compte maintenant de la façon dont, pour ma part, j’ai accompli cela : il n’est pas douteux que ces muscles pervertis, qui mettent anormalement en mouvement la paupière, le nez et la lèvre supérieure, reçoivent leur force motrice des nerfs, comme font tous les autres ; peu de rameaux émanant de la deuxième paire se distribuent aussi dans le visage, et c’est à la troisième que revient la principale responsabilité de ces mouvements ; avant de se consacrer à véhiculer le goût, cette paire se répand largement sur les muscles de la face ; en outre, elle est connectée par de nombreux lacis à la cinquième paire, auditive, parce qu’elle tire son origine du cervelet et même du tout début de la moelle épinière, juste avant qu’elle ne sorte du crâne ; elle est la plus postérieure des paires crâniennes qui, toutes les cinq, [Ms BIU Santé no 2007, fo 255 vo | LAT | IMG] naissent l’une après l’autre depuis la face inférieure du cerveau, pour la première, jusqu’au cervelet, d’après l’exacte description qu’en a donnée Constantius Varolius, très éminent anatomiste de Bologne. [13][37] Étant donné la partie du cerveau d’où naît la troisième paire, j’ai donc estimé devoir appliquer le cautère vers la région médiane de la suture lambdoïde, [14][38] de façon que transpire insensiblement cette flatuosité qui provoque les mouvements anormaux et le bourdonnement de l’oreille. La libération de cette voie montrera ses effets dans quelques mois. N’aurait-on pas dû fixer le cautère à l’insertion des muscles eux-mêmes, près du grand angle de l’œil, à côté du cartilage tarse, ou près de la pommette, d’où naissent aussi les muscles de la paupière supérieure, du nez et de la lèvre supérieure, en l’étendant vers l’articulation de la mâchoire, laquelle, aussitôt qu’elle se meut pour mastiquer ou pour parler, provoque le spasme des dits muscles ? Tel sera pour moi le recours ultime, mais je ne voudrais pas m’y résoudre sans avoir d’abord essayé les autres moyens. Je souhaiterais aussi, si possible, que l’endroit fût assez profond pour y placer, avec art et convenablement, une pilule d’or de la taille d’un grain de mil, [39] à recouvrir d’un petit emplâtre. En attendant, pour le tintement de l’oreille, dû au plissement des nerfs et des parties ténues, je voudrais dispenser quelque médicament qui renforce les nerfs ; l’huile de sapin y tient la première place, [40] en suc ou tempérée avec de l’eau de bétoine, [15][41] à introduire dans l’oreille principalement la nuit, sur un petit morceau de coton propre et musqué.

Ayant achevé mon récit, j’y ai négligé le régime alimentaire, car cet homme est très modéré dans sa manière de vivre : il ne boit presque pas de vin et n’abuse pas des plaisirs vénériens, mais il sait par expérience que leur privation trop poussée lui nuit. À cette retenue, je voudrais qu’il associât celle des si nombreux jours qu’il consacre aux affaires royales ; mais comment m’y prendrais-je avec un personnage si occupé ? Je dirai, pour finir, que si ces remèdes n’ont pas mis fin au mal, que ma faute me vaille alors l’opprobre des médecins.

Mœlantius.

Le 9e d’août 1595.

[Ms BIU Santé no 2007, fo 256 vo | LAT | IMG]

Conseil pour Monsieur
de Beaumarchais, [42]
conseiller du roi et trésorier de son Épargne.
Meslant. [16][43]

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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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