À Lyon, ce 12e de mars 1657.
Vous croyez bien que sans une excuse légitime, ou d’absence ou d’affaires bien pressantes, je n’aurais pas tant tardé à vous écrire. J’ai demeuré plus d’un mois en campagne auprès de Mme la duchesse d’Uzès, [3] quæ vergit ad hydropem. [1][4] Je suis de retour, grâces à Dieu, en bonne santé et en volonté de recevoir, s’il vous plaît, de vos nouvelles et vous faire part des miennes. Les compliments et les civilités que vous me faites valent mille fois plus que tout ce que je vous saurais présenter. Je vous réponds qu’ils partent d’aussi bon cœur, comme il est vrai que ce sont les plus assurés cardiaques [5] que nous ayons. J’ai donné à un de nos messagers nommé de Billy [6] un livre pour vous rendre, qui est tout nouveau et de nouvelle impression ; si le dedans répond à son titre il méritera d’être lu. Son père était bon médecin et estimé en Provence, et le fils ne l’est pas moins. [7][8] Il n’aime pas Van Helmont, [9] il a fait contre lui à la fin de son livre un Apologeticon, contre sa doctrine touchant la pleurésie. [10] Vous me manderez à votre loisir votre sentiment sur l’un et l’autre traité. [2]
Si M. Huguetan ne m’avait dit, et à M. Spon en ma présence, qu’il vous avait écrit touchant le Theatrum vitæ humanæ que vous désirez, [11] je vous l’aurais envoyé, mais il nous a assurés qu’il vous a donné un moyen de delà à assez bon compte. [3] Il me restait toujours cela sur le cœur à vous écrire durant mon absence.
Je ne sais pas si les rhumatismes [12] ont été aussi communs et aussi fâcheux à Paris qu’en toute notre province. Ceux qui dégénéraient en inflammations de poitrine et des poumons [13] multos iugulabant. [4] Depuis le commencement de ce mois ils nous donnent grand relâche, il fallait qu’ils eussent une cause commune, car tretous étaient presque également tourmentés.
L’on nous apprend ici qu’il y a cinq illustres têtes à Paris grièvement et très périlleusement malades, dont entre autres M. le premier président [14] en est un, et que M. de La Mothe [15] est mort. Quo morbo laboret senatus princeps certum me facias rogo ; [5] mais encore mieux, s’il vous plaît, quelle est la maladie de Son Éminence que l’on dit ici être fort malade renis dextri calculo et ulcere ? [6][16]
Vous voulez bien que j’assure MM. Patin que je suis leur très humble serviteur, et que je souvienne monsieur votre aîné [17] des thèses [18] qu’il m’a promises.
Je vous remercie de vos bons avis touchant cette bonne religieuse, [19] elle est présentement hors de péril et sans crainte d’être hydropique ; [20] mais il lui reste une cruelle douleur de tête dont la véritable cause est la diminution de ses mois, [7] qu’elle a en fort petite quantité ; d’où s’ensuit nécessairement que les veines et les artères étant remplies d’une excessive quantité de sang ardent, bouillant et bilieux, [21] il s’élève continuellement des fumées et des sérosités subtiles et enflammées au cerveau qui étendent les membranes par leur quantité, ou les picotent par leur acrimonie ; outre la plénitude [22] universelle, il y en a encore une particulière de la tête, d’où vient la continuité de la douleur et une chaleur inflammatoire en cette partie qui paraît plus la nuit que le jour, et que l’on peut appeler justement avec Hippocrate une fièvre capitale. [8][23][24] Rien ne la soulage à l’égal de la saignée, ex superis et inferis artubus ; [9] mais j’appréhende fort que la saison où nous allons entrer, où toute la masse du sang est en mouvements et ébullition, ne lui cause quelque nouveau désordre sin occurremus epicrasi et diaphoresi. [10][25][26] Mais je ne vois pas que je commence à vous ennuyer et que je fais trop long, il y avait aussi trop longtemps que je ne vous avais point parlé. Je suis à mon ordinaire, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Falconet.
Lettre autographe d’André Falconet à Guy Patin : ms BIU Santé no 2007, fo 316 ro et vo.
« qui incline à l’hydropisie. » Marguerite de Flagheac était devenue, en 1632, la seconde épouse d’Emmanuel de Crussol, duc d’Uzès (v. note [12], lettre de Charles Spon, le 10 juillet 1657).
Le livre qu’André Falconet envoyait à Guy Patin était la Medicina antihermetica (Lyon, 1657 ; v. note [9], lettre 467) de Gabriel Fontaine (fils de Jacques, médecin à Aix-en-Provence, v. note [46], lettre 97) qui se termine non pas sur un, mais deux Apologeticon contre Jan Baptist Van Helmont :
Mes notes [11], lettre 121 et [36], lettre 402 incitent à ne pas donner trop de crédit aux invectives dont Van Helmont a été la cible, pour des dogmatiques peu clairvoyants dont Guy Patin a été l’un des plus injustes. André Falconet lui servait là complaisamment de la fort méchante soupe.
V. note [36], lettre 155, pour le « [Grand] Amphithéâtre de la vie humaine… » de Laurens Beyerlinck.
« en tuaient beaucoup. »
« je vous prie de m’éclairer sur la maladie dont souffre le premier président ».
« d’un calcul et ulcère du rein droit. »
Mois : « purgations des femmes, qu’elles appellent leurs ordinaires et qu’en médecine on appelle menstrues ou fleurs. Le peuple les appelle drogue ou males semaines. Il y a des remèdes pour provoquer les mois quand ils sont retenus » (Furetière).
Allusion possible aux Prénotions coaques (2e section, § iv ; Littré Hip, volume v, pages 617‑619) :
« Une douleur continue de la tête avec une fièvre aiguë et quelque autre signe parmi les signes fâcheux, est funeste ; mais sans mauvais signe et dépassant les vingt jours, elle annonce un écoulement de sang ou de pus par les narines, ou des dépôts dans les parties inférieures ; il faut attendre surtout l’hémorragie chez les malades au-dessous de 35 ans, les dépôts chez les malades plus âgés ; mais la douleur étant aux tempes et au front, l’hémorragie. »
« des membres supérieurs et inférieurs ».
« si nous n’y remédions par l’épicrase [v. note [17], lettre 80] et la diaphorèse [v. note [32], lettre 101]. »