Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 3 manuscrit, note 20.
Note [20]

« il avait quelque chose de féroce ; il médisait sans raison de Cujas et de Turnèbe »

  • La note N de Bayle sur Jean Bodin {a} parle de ses disputes avec Jacques i Cujas. {b} La plus vive attaque de Bodin se lit aux 2e‑4e pages de l’épître latine, Vido Fabro Curiæ Parisiorum Præsidi [à Guy du Faur, {c} président au Parlement de Paris] ajoutée aux rééditions de ses Six livres de la Répubique : {d}

    Duo tamen sunt reprehensionum genera, quæ tibi, si longiore epistola non gravarebis, explicabo. Unum genus est eorum qui de verbis ac rebus inanibus puerile in modum disputationes instituunt : quo de genere minus sollicitus esse debeo : sed tamen ne spretos se querantur, iis etiam aliquid respondendum putavi : ac potissimum populari tuo Cuiacio, qui ne verbo quidem a me violatus, quin etiam honorifice et illa qua decuit animi moderatione admonitus, tanta nihilominus iracundia exarsit, ut cum acerba oratione in me invectus esset, nulla meæ dignitatis habita ratione, ad extremum doloris impatiens, universum advocatorum ordinem forensia pecora vulturesque togatos appellaret. Neque vero existimavi eum qui politiore doctrina mediocriter esset imbutus adeo modestiæ et humanitatis oblitum, ut etiam libellos famosos teneris adolescentibus, quos virtute non minus quam eruditione informare debuerat, publice dictaret : cum satis, opinor, intelligat lege Cornelia intestabiles esse, qui famosum libellum scripserunt, et capitali pœna teneri qui repertum non corruperunt. Ac tametsi ferendæ non sunt iniuriæ, quas in me singulari quadam contumelia congessit, feramus tamen, ne aut intemperanter scripsisse, aut nostro dolori minus ignovisse videamur : sed ferre non debenus clarissimum ordinem advocatorum forensia pecora vulturesque togatos appellari a Cuiacio, qui profecto aliter sensiret, nisi ab asino Apulei rudere potius, quam Latine loqui a Marco Tullio didicisset, qui de se ipse scribens, Nullus est dies, inquit, quo die non dicam pro reo. Nam etsi oratoris ac patroni, qui postea causidici et advocati dicti sunt, divisa fuere ab iurisconsultis munera, ut tu quidem ninime ignoras, omnia tamen omnium officia in advocatorum nomine conquieverunt, de quibus lex ipsa, Non minus, inquit, advocati provident humano generi, quam si vulneribus patriam parentesque servarent. Et quidem clarissima Reipublicæ lumina non modo sunt, ac semper fuerunt in ordine, sed etiam ab ordine advocatorum prodierunt, oratores, inquam, legati, senatores, iudices, atque omnino iurisconsulti ex eo veluti scientiarum ac virtutum seminario peti consueverunt, qui quidem Respublicas instituere, fines imperiorum regere, causas regum disceptare, populorum mores sanare, principum fœdera sancire, civium lites et controversias dirimere, divinas humanasque leges ad hominum inter homines societatem accommodare didicerunt. Sunt illa forensia Cuiacii pecora, quæ discipulis ad intuendum et ad imitandum proponere debuerat, non Apuleium istum, qui primus fœda barbarie Latini sermonis puritatem, ac detestanda maleficarum fortium impietate sacram philosophiam conspurcavit. Si tamen error veniam meretur, Cuiacium quodammodo venia dignum putem, cum ipse in eodem errore fuerim, de quo quidem confiteri non pudet.

    [Deux sortes de critiques me sont adressées et, si une lettre un peu longue ne vous importune pas, je m’en vais vous les expliquer. La première sorte vient de ceux qui engagent des arguties puériles sur les mots et les choses. Je ne devrais guère m’inquiéter de ceux-là, mais j’ai pensé devoir leur faire quelque réponse, pour qu’ils n’aillent pas se plaindre d’être dédaignés. Il s’agit en particulier de votre compatriote Cujas : {e} bien que je n’aie pas proféré un seul mot d’outrage à son encontre, l’ayant seulement honorablement admonesté, avec toute la modération d’esprit qui convenait, il s’est enflammé d’une telle colère qu’il m’a attaqué en un acerbe discours, {f} sans le moindre égard pour ma dignité ; et m’infligeant la pire des peines, il y traite toute la corporation des avocats de « troupeau procédurier », et les appelle « vautours en toge ». Je n’eusse pas jugé cet homme, passablement imprégné de distingué savoir, capable d’oublier les règles de la modération et de l’amabilité au point même de dicter publiquement des libelles diffamatoires à de tendres jeunes gens dont il ne devrait pas moins former l’instruction que la vertu. Il comprend suffisamment, je pense, que, selon la lex Cornelia, {g} sont maudits ceux qui ont écrit un pamphlet diffamatoire, et passibles de la peine capitale ceux qui, en ayant trouvé un, ne l’ont pas détruit. Bien que les blessures que tout affront a amassées contre moi en particulier soient intolérables, nous les supporterons {h} toutefois pour ne pas sembler avoir écrit avec emportement, ou avoir insuffisamment purgé le chagrin que nous éprouvons ; mais nous ne devons pas tolérer que Cujas qualifie la très éminente profession d’avocat de « troupeau procédurier », et ses membres, de « vautours en toge ». Il penserait tout autrement s’il avait moins appris à braire comme l’âne d’Apulée {i} qu’à mieux parler le latin que Cicéron, cet auteur qui, écrivant à son propre propos, dit Nullus est dies quo die non dicam pro reo. {j} De fait, comme vous ne l’ignorez certes pas, bien que les jurisconsultes aient séparé les charges d’orator et de patronus, qui ont plus tard pris les noms de causidicus et d’advocatus, {k} toutes les fonctions de ces gens ont depuis fait adopter le nom d’avocats, dont la loi elle-même dit « Les avocats ne veillent pas moins au bien du genre humain qu’ils ne protègent la patrie et les parents contre les affronts » {l} Les plus brillantes lumières de la république non seulement sont, et ont toujours été, dans l’ordre des avocats, mais en sont issues : procureurs, assesseurs, conseillers, juges, jurisconsultes, absolument tous, dirai-je, en viennent ordinairement, comme d’une pépinière des savoirs et des vertus ; car les avocats sont ceux qui ont appris à instituer les affaires publiques, à délimiter les pouvoirs, à prononcer les causes des rois, à assainir les mœurs des peuples, à ratifier les traités des princes, à trancher les procès et les controverses des citoyens, à accommoder les lois divines et humaines pour l’intérêt de la communauté qui unit les hommes aux hommes. Voilà les « troupeaux procéduriers » de Cujas, qui aurait dû pousser ses élèves à les regarder attentivement et à les imiter, plutôt que cet Apulée, qui a été le premier à souiller la pureté de la langue latine de sa barbarie fétide, et la philosophie sacrée, de la détestable impiété de ses sorts maléfiques. Pourtant si l’erreur mérite le pardon, je penserais que Cujas est digne d’excuse, puisque j’ai moi-même été dans la même erreur que lui, mais je n’ai pas honte de l’avouer]. {m}


    1. V. note [25], lettre 97.

    2. V. note [13], lettre 106.

    3. Guy du Faur de Pibrac, v. note [2], lettre 434.

    4. Paris, Jacques du Puys, 1579, in‑8o de 1 058 pages (quatrième édition)

    5. Cujas et du Faur de Pibrac étaient natifs de Toulouse.

    6. La leçon donnée par Cujas contre Bodin n’a, à ma connaissance, pas été imprimée ; seules des copies manuscrites devaient en circuler alors.

    7. Loi romaine établie par le dictateur Sylla (v. note [14] du Borboniana 5 manuscrit) au ier s. av. J.‑C. pour punir ceux qui avaient commis des actes injurieux.

    8. En passant du singulier au pluriel, de « je » à « nous », Bodin signifiait qu’étant lui-même avocat, il prenait la défense de toute sa corporation, meurtrie par les insultes que Cujas avait proférées dans sa leçon.

    9. L’Âne d’or est le sous-titre de la Métamorphose d’Apulée (v. note [33], lettre 99).

    10. Cicéron, Lettres à Quintus, livre iii, lettre iii, où se lit cet exemple de son latin parfois inutilement emphatique (répétition du mot dies [jour]), pour dire « Il n’est de jour où je ne plaide pour un accusé » ; il aurait pu se contenter de Nullus est dies quo non dicam pro reo.

    11. Dans les procès de l’ancienne Rome, l’orator, puis causidicus, présentait la cause du plaignant, et le patronus, puis advocatus, défendait la partie adverse.

    12. Sentence extraite du Code justinien, titre intitulé De advocatis diversorum judiciorum [Des avocats des diverses juridictions].

    13. V. infra note [36] pour un retour du Borboniana sur cette citation.

  • Dans la note C du même article, Bayle détaille l’accusation portée contre Bodin d’avoir plagié Adrien Turnèbe (v. note [20], lettre 392) dans la traduction latine qu’il avait publiée (De Venatione [De la Chasse], Paris, 1555) des Cynégétiques d’Oppian d’Apamée (poète naturaliste grec du iiie s.).

V. infra note [36], pour un retour du Borboniana sur ces deux sujets. Dans la note [25], lettre 97, sur Bodin, se lit la raison pour laquelle Gabriel Naudé le considérait comme juif : il était hébraïsant si érudit et si imprégné de la Torah qu’on pouvait le tenir pour un savant rabbin, sans qu’il se fût bien sûr converti au judaïsme (car ce n’était pas possible).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 3 manuscrit, note 20.

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(Consulté le 24/04/2024)

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