Autres écrits : Traité de la Conservation de santé (Guy Patin, 1632) : Chapitre III, note 4.
Note [4]

V. note [1], lettre 163, pour Platon sur la bonté du vin.

Le corpus galénique a abondamment traité du vin, tout particulièrement dans le chapitre iii du livre intitulé Que les mœurs de l’âme sont la conséquence des tempéraments du corps (Daremberg, volume 1, pages 56‑59) :

« Le vin dissipe manifestement toute espèce de chagrins et l’abattement, car chaque jour nous prenons du vin [dans ce but]. Zénon, suivant la tradition, disait : “ De même que les lupins amers deviennent doux quand ils sont macérés dans l’eau, de même je me trouve bien disposé sous l’influence du vin. ” {a} On prétend que la racine appelée œnopie {b} jouit de cette propriété d’une manière encore plus prononcée, et on ajoute que c’est la drogue de l’hôtesse égyptienne [Polydamna] dont le poète dit :

“ Aussitôt Hélène jette dans le vin qu’il buvait la drogue qui chasse le chagrin (nêpenthes), qui dissipe la colère et fait oublier tous les maux. ” {c}

Mais laissons la racine d’œnopie ! Je n’en ai que faire dans ce discours puisque nous voyons chaque jour que le vin produit tous les effets que célèbrent les poètes :

“ Le vin doux comme le miel te nuit comme il nuit à tous ceux qui en boivent à longs traits, et qui n’en usent pas avec modération. Le vin troubla aussi le fameux centaure, fils d’Eurytus, dans le palais de Pirithoüs au grand cœur, quand il arriva ches les Lupithes. Lorsque son âme fut inondée par le vin, il devint fou, et se livra à des excès dans la demeure de Pirithoüs. ” {d}

Théognis a dit aussi :

“ Le vin bu en grande quantité est mauvais ; si on en boit avec modération, il n’est pas nuisible, mais bon. ” {e}

En effet, le vin pris avec modération entraîne avec lui de grands avantages pour la coction, la distribution, la sanguification des aliments, et pour la nutrition ; il contribue beaucoup aussi à rendre l’âme à la fois moins farouche et plus courageuse, par l’intermédiaire du tempérament du corps, lequel est, à son tour, produit au moyen des humeurs. Non seulement, comme je le soutenais, le vin change le tempérament du corps et les fonctions de l’âme, mais il peut même faire sortir l’âme du corps. Comment pourrait-on dire autrement, quand on voit les drogues qui refroidissent ou qui échauffent beaucoup tuer immédiatement ceux qui en prennent ? Les venins des animaux sont dans ce cas. Ainsi, nous voyons mourir sur-le-champ les individus piqués par un aspic ; ces individus meurent par le venin de la même manière qu’on meurt par la ciguë, car ce venin refroidit aussi. Ceux qui admettent une substance particulière pour l’âme seront donc forcés d’avouer qu’elle est l’esclave des tempéraments du corps, attendu que ces tempéraments peuvent la chasser du corps, la contraindre à délirer, la priver de mémoire et d’intelligence, la rendre triste, timide, abattue, comme cela se voir dans la mélancolie, et ils reconnaîtront que le vin bu modérément produit les effets opposés. »


Notes empruntées à Daremberg.

  1. Propos de Zénon, fondateur du stoïcisme (v. note [8], lettre 340), rapporté par Diogène Laërce (livre viii, 1, 22). Les lupins sont des pois sauvages : « il y en a de blancs et d’autres jaunâtres, tous deux d’une amertume merveilleuse ; on les trempe dans l’eau pour leur faire perdre toute cette amertume » (Furetière).

  2. Note de Daremberg : « On a longtemps disputé et même aujourd’hui l’on n’est pas d’accord sur la nature de la drogue (pharmakon) qu’Hélène versa dans la coupe de Télémaque et dont le poète dit : “ qu’elle chasse le chagrin (nêpenthes). ” Ce mot {i} lui-même a donné lieu à beaucoup de discussions : les uns l’ont pris pour un nom propre de plante ou du moins de drogue ; les autres (et à ceux-là le contexte d’Homère donne pleinement raison), pour un adjectif […]. Quoi qu’il en soit, on s’est efforcé de rapporter cette drogue à une plante connue : ceux-ci y retrouvent la buglosse ; {ii} ceux-là, l’opium ou le datura, {iii} d’autres l’opium seulement ; d’autres un médicament chimique, et, si je ne me trompe, l’or potable lui-même ; {iv} d’autres encore, la plante appelée hélénium […], erreur qui vient du nom même de la plante, et qui paraît avoir été répandue du temps de Pline. Enfin, quelques modernes veulent y trouver le haschisch. – Dans le passage qui nous occupe, Galien nous apprend que la drogue dont parle Homère était la racine d’œnopie. […] Petit {v} a fait un pas de plus dans la question en supposant qu’oïnopia représentait la même plante qu’oïnothêras, appelée oïnarga ou onarga. Cette plante, au dire de Théophraste et de Pline, avait précisément les propriétés qu’Homère attribue à son pharmakon. Ce rapprochement me paraît, je l’avoue, très séduisant ; mais cela avance peu la question. En effet, fût-il certain qu’oïnopia et oïnothêras sont la même plante, il resterait à démontrer que c’est réellement de cette plante qu’Homère a parlé. Et même a-t-il entendu parler d’une plante en particulier (notez qu’il ne lui donne pas un nom propre comme au moly) {vi} ou seulement en général d’une des plantes quelconques qui passaient pour jouir des propriétés qu’il énumère, propriétés sans doute plutôt imaginaires qu’établies par une expérimentation sérieuse ? – Autre chose donc est de croire, avec Petit, que le pharmakon d’Hélène pourrait être l’oïnopia ou oïnothêras, et autre chose est de prouver que c’est bien ce pharmakon tant controversé. Les mêmes arguments pourraient être invoqués pour d’autres plantes avec autant de raison, et il n’y a pas plus de motifs de se laisser influencer par le dire de Galien que par celui de Théophraste ou de Pline qui rapporte le pharmakon d’Hélène à des plantes autres que l’œnopie. »

    1. L’œnopie. Dans L’Odyssée d’Homère, Poludamna (Polydame), femme de Thôs, qui régnait en Égypte, avait enseigné l’art de simples (et des poisons) à Hélène, femme de Ménélas (v. notule {c}, note [20], lettre 151, note [17], lettre 295, et notule {a}, note [4] du mémorandum 5).

    2. V. note [2] de l’observation ix.

    3. Datura stramonium : pomme épineuse ou stramoine, plante narcotique et vénéneuse. « Les fleurs et la semence du datura troublent et aliènent l’esprit, et causent une espèce de folie qui dure 24 heures : pendant le temps que dure cette ivresse, ou cette folie, on ne fait que danser, rire ou pleurer ; les voleurs en jettent dans les viandes de ceux qu’ils veulent voler ; les femmes de mauvaise vie en font prendre aussi à leurs amants, et quelques-unes à leurs maris, afin de faire en toute liberté tout ce qu’elles voudront. Le meilleur remède contre ce poison est de faire vomir ceux à qui on en a donné. On dit aussi que pour les faire revenir plus tôt à eux, il n’y a qu’à leur plonger les pieds dans de l’eau froide » (Trévoux).

    4. V. note [6], lettre 155.

    5. Pierre Petit (v. note [17], lettre 325) : Miscellanearum observationum libri quatuor [Quatre livres d’observations mêlées] (Utrecht, Rudolphus a Zyll, 1682, in‑8o).

    6. V. note [31] de la thèse sur la Sobriété (1647) pour le moly dont Homère a chanté les vertus dans le chant x de L’Odyssée.

  3. L’Odyssée, chant iv, vers 220.

  4. L’Odyssée, chant xiv, vers 466‑469. « Ces paroles sont d’Antinoüs à Ulysse dans le combat de l’arc » (Daremberg).

  5. Sentence de Théognis de Mégare, poète grec du vie s. av. J.‑C.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Traité de la Conservation de santé (Guy Patin, 1632) : Chapitre III, note 4.

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(Consulté le 26/04/2024)

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