À Charles Spon, le 30 juillet 1666, note 5.
Note [5]

Le 10 avril 1666, le Parlement de Paris avait rendu un arrêt levant l’interdit sur l’antimoine, prohibition que la Faculté de médecine avait prononcée un siècle avant (30 juillet 1566, v. note [8], lettre 122). Le médicament émétique avait fini par triompher en étant autorisé par la majorité de l’Assemblée des docteurs régents de la Faculté de médecine réunie le 16 avril 1666. Mauvais joueur, Guy Patin n’en avait pas informé ses correspondants lyonnais. Plus de trois mois plus tard, il ne faisait ici que répondre brièvement à leur interrogation, causée par des bruits qui leur étaient parvenus d’autre source.

Voici l’Extrait des registres de Parlement tel qu’il fut transcrit dans les Comment. F.M.P. (tome xv, pages 154‑156, « Le grand arrêt de l’antimoine ») :

« Vu par la Cour le procès-verbal de MM. Henri de Reffuge et Jean du Tillet, conseillers en icelle, du 29 mars dernier, en exécution des arrêts rendus les 16 février et 6 dudit mois de mars. Entre M. Jacques Thévart, {a} docteur régent de Faculté de médecine de l’Université de Paris, professeur ès Écoles de ladite Faculté, et François Le Vignon, doyen de ladite Faculté, d’une part, et M. François Blondel, aussi docteur régent de ladite Faculté, contenant les comparutions, dires, réquisitions, oppositions et contestations desdits Thévart, Le Vignon et Blondel, et réquisitions de Me Nicolas Doe, substitut du procureur général, avec lequel lesdits conseillers se seraient transportés aux Écoles de ladite Faculté ; ensemble les avis et suffrages de 102 médecins assemblés en ladite Faculté sur le vin émétique, dont il s’en est trouvé 92, lesquels ont été d’avis de mettre le vin émétique entre les remèdes purgatifs, et les huit autres, {b} au contraire, que c’était un venin. Et le décret de ladite Faculté fait ensuite, avec leur permission, par ledit Le Vignon, doyen d’icelle, dont lesdits conseillers auraient donné acte et ordonné qu’ils en feraient rapport. Ouï ledit rapport et tout considéré, ladite Cour a entériné et entérine ledit avis et décret ; ce faisant, permet à tous les docteurs médecins de ladite Faculté de se servir dudit vin émétique pour les cures des maladies, d’en écrire et disputer ; fait néanmoins inhibitions et défenses à toutes personnes de s’en servir que par {c} leur avis. Ordonne que le présent arrêt sera lu en la Faculté de médecine et inscrit dans leur registre à côté du décret de 1566 qui défend et prohibe de se servir dudit vin émétique ; et seront les oppositions de Thévart et Hureau, ensemble l’arrêt de Chartier {d} remis dans lesdits registres à la diligence du doyen. Fait en Parlement, le 10 avril 1666. Signé du Tillet, et collationné, Le Vignon, doyen. » {e}


  1. V. note [23], lettre 146, pour Jacques Thévart, dit le Camus, zélé défenseur de l’antimoine.

  2. Sic pour dix.

  3. Sans.

  4. V. note [10], lettre 328.

  5. La version imprimée de cet arrêt est disponible sur Medica.

Le vote de la Faculté, spécialement convoquée, avait eu lieu le 29 mars 1666, solo M. Franc. Blondel reclamante [M. François Blondel ayant été le seul à protester hautement] (ibid., page 153) ; Guy Patin dut ne pas y être ou, ce qui est moins probable, voter contre l’arrêt, mais sans dire mot…

C’était la fin de la guerre de l’antimoine. Les samaritains (v. note [18], lettre 488) triomphaient ainsi sans partage : ceux contre qui Patin et les bons israélites de la Faculté s’étaient battus depuis 1638. Le susdit Thévart l’a célébrée dans deux Défenses :

  1. Défense de la Faculté de médecine de Paris contre Me François Blondel… {a}

  2. Deuxième Défense de la Faculté de médecine de Paris contre Me François Blondel, docteur régent en ladite Faculté. Dans laquelle il est prouvé et justifié par raisons, autorités, et expériences que l’émétique composé d’antimoine est un souverain remède pour la guérison de plusieurs maladies, et que ceux qui s’en servent ne sont point empiriques, hérétiques, ni empoisonneurs. Par Me Jacques Thévart, conseiller médecin du roi, docteur régent en ladite Faculté, ancien professeur. {b}


    1. Sans lieu ni nom, 1666, in‑4o de 20 pages ; v. note [3], lettre 868, pour la réponse des partisans de Blondel.

    2. Paris, Emmanuel Langlois, 1668, in‑4ode 31 pages, permis d’imprimer daté du 10 janvier 1668.

Ces deux opuscules diffèrent par la citation mise en exergue du titre :

  • Qui ante nos ista moverunt non Domini nostri, sed Duces sunt, patet omnibus veritas nondum est occupata. Seneca [Tout le monde peut prétendre à la vérité, nul ne se l’est encore appropriée, et les siècles à venir auront aussi une grande part dans cet héritage. Sénèque le Jeune (Lettres à Lucilius, épître xxxiii)] pour la première Défense ;

  • Ad calumnias tacendum non est, non ut contradicendo nos ipsos ulciscamur, sed ne mendacio inoffensum progressum permittamus, aut eos qui seducti sunt damno quo afficiuntur inhærere sinamus. S. Basil. Epist. 63 [Il ne faut pas se taire face à la calomnie, non pour nous venger nous-mêmes en y ripostant, mais pour ne pas permettre au mensonge de se propager impunément, ou pour empêcher ceux qui ont été frappés de demeurer dans le dommage dont on les a frappés (Saint Basile le Grand, lettre 63)] pour la Deuxième Défense.

L’arrêt du Parlement daté du 8 mai 1668 débouta définitivement François Blondel. Sa version imprimée est accompagnée d’un poème latin de Thévart, M.R. Doct. Med. Parisiensis [médecin du roi, docteur en médecine de Paris], dont voici ma traduction :

« À l’illustrissime M. Gaudart, conseiller en la Grand’Chambre du Parlement, très intègre juge du procès de la Faculté de médecine à propos de l’antimoine. {a}

Action de grâces.

Ont combattu ceux que préoccupent les plus grands mystères de Dieu ; la grâce fut la source et l’origine du différend. Des guerres ont naguère sévi dans la Compagnie des médecins ; l’antimoine en est le prétexte, mais la véritable raison en est cachée. {b} Le souverain Pontife a enfin restauré la paix que les théologiens ont désirée pendant de longues années. {c} Les procès de Blondel engagent les combats, et grâce à vous, l’agréable repos de la paix s’est rétabli ; grâce à vous, est née la victoire des médecins clairvoyants et grâce à vous, les armes de la jalousie demeurent émoussées. Maintenant l’antimoine, qui a préservé la vie de notre monarque, {d} sera victorieux pour la nuit des temps. Ainsi, les grands ne condamneront jamais tes vœux à l’échec et t’accorderont la longue vieillesse de Nestor. {e} Que la fortune et la gloire de votre famille, Gaudart, tiennent fermement debout, et que jamais votre vertu ne s’éteigne. »


  1. V. note [5], lettre 433, pour Jean Gaudart.

  2. Pour le lucide Thévart, la querelle de l’antimoine révélait un différend bien plus profond entre les convictions, voire la foi des médecins conservateurs (dogmatiques hippocratico-galéniques) et pragmatiques (empiriques, ouverts aux idées progressistes héritées des paracelsistes).

  3. V. note [1], lettre 945, pour la paix de l’Église conclue en 1668 par le pape Clément ix entre jansénistes et jésuites, avec la signature du Formulaire (v. note [9], lettre 733) qui entendait clore la querelle de la grâce, entre prédestination et libre arbitre.

  4. V. (entre autres) la note [8], lettre 539, pour pour la grave maladie dont l’antimoine aurait tiré Louis xiv à Mardyck en 1658.

  5. V. note [1], lettre 821, pour la longévité légendaire de Nestor.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 30 juillet 1666, note 5.

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(Consulté le 19/03/2024)

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