Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 1, note 8.
Note [8]

Friper se disait alors des « auteurs qui dérobent des autres qui ont écrit devant eux des pensées, des vers qui ont déjà servi, ou qui sont usés. Ce poète nous donne cette épigramme comme sienne, mais elle est fripée de Martial » (Furetière).

Plusieurs critiques littéraires du xviie s. (notamment Gilles Ménage et Jean-Louis Guez de Balzac) ont glosé sur les opinions et les mésaventures de Castelvetro. Naudé parlait ici du Poitevin Hippolyte-Jules Pilet de La Mesnardière (1610-1663), poète et dramaturge, membre de l’Académie française (1655), mais aussi médecin, qui a éreinté Castelvetro dans le Discours de sa propre Poétique (Paris, Antoine de Sommaville, 1639, in‑4o, tome premier, pages G‑I) :

« Parmi les écrivains modernes qui ont attaqué la grandeur et maltraité des appas de cette charmante princesse, le savant Castelvetro a paru des plus remarquables, comme des plus ingénieux. Et certes, si l’on regarde qu’après avoir employé presque sa vie tout entière à examiner la poésie et à considérer ses grâces, il lui donne pour objet le divertissement du peuple, il n’y aura point d’esprits qui n’aperçoivent, comme nous, que les traits qu’il lance contre elle sont d’autant plus dangereux qu’il semble être de son parti et embrasser ses intérêts. Ce procédé est fort nouveau ; et la plupart des personnes ne croiront pas facilement qu’un écrivain judicieux traite si mal une science, après lui avoir consacré les meilleurs moments de sa vie. Mais encore qu’il paraisse un grand défaut de jugement dans une semblable action, et qu’un auteur sérieux ne puisse mieux faire connaître l’aveuglement de son âme qu’en donnant toutes ses veilles à un art qu’il n’estime pas, rien ne me semble si étrange dans cet injuste sentiment que de voir qu’il s’est rencontré dans un bel esprit d’Italie et, davantage, en un homme qui a travaillé tant d’années sur la Poétique d’Aristote. Cependant, nous apprenons avec beaucoup d’étonnement que cet illustre écrivain, originaire d’Italie, mère de la politesse, et interprète d’Aristote, paranymphe {a} de la poésie, soutient qu’elle a été formée non seulement pour divertir, mais pour divertir le peuple ; et non seulement le peuple, mais la vile populace, grossière, ignorante et stupide. La materia, dit-il, delle Arti per un’ altra ragione piu manifesta al senso non puo essere soggetto della Poësia, conciosa cosa che la Poësia sia stata trovata solamente per dilettare et per ricreare ; io dico per dilettare et ricreare gli animi della rozza moltitudine, et del commune Popolo, il quale non intende le ragioni, etc. {b} Voilà sans mentir un emploi qui est bien digne d’Uranie ! {c} et une belle occupation pour le langage des dieux ! Ne faut-il pas avouer que le prince des philosophes a été peu judicieux de quitter des spéculations si nécessaires à son roi, {d} pour donner tant de bonnes heures à un métier vil et infâme, de qui la plus noble intention est de plaire à la multitude ? Et combien ces hommes illustres, qui ont délassé leurs esprits par la douceur de la poésie en sortant des grandes charges, ont-ils fait une élection indigne de leurs qualités et de la gloire de leur vie ? En effet, il faut confesser que tant d’empereurs et de rois, d’amphictyons {e} et de consuls, d’orateurs et de philosophes, qui ont exercé ce bel art, avaient l’esprit bas et rampant ; ou bien que Castelvetro commet une grande faute dans l’objet qu’il lui attribue. Mais il y a grande apparence que toute l’Antiquité n’a pas eu le goût si mauvais que d’estimer une science dont la fin serait méprisable ; et nous devons ce respect à la vertu de ces grands hommes, de croire que, par la seule amour qu’ils ont eue pour la poésie, qu’elle n’a rien que d’excellent, d’auguste et de majestueux. » {f}


  1. V. note [8], lettre 3, pour le sens étymologique du mot paranymphe.

  2. « La matière de l’Art ne peut être le sujet de la Poésie, pour une autre raison plus manifeste : c’est que la Poésie n’a été inventée que pour distraire et pour divertir ; je veux dire pour distraire et divertir les esprits de la foule grossière et du vil peuple qui n’entend pas les raisons, etc. »

  3. Muse de l’astrologie et de l’astronomie (v. notule {b}, note [6] du Borboniana 7 manuscrit), ici opposée à ses trois sœurs que la mythologie vouait aux arts : Érato (poésie), Terpsichore (danse) et Thalie (comédie).

  4. Aristote servait Philippe de Macédoine (v. note [61], lettre 336) et fut le précepteur de son fils, Alexandre le Grand.

  5. Députés des villes et des peuples de la Grèce antique.

  6. Le Discours de La Mesnardière se poursuit (jusqu’à la page BBBB) sur la même conception élitiste de la poésie, en continuant d’épancher poliment sa rage contre le parti vulgarisateur de Castelvetro.

Les Œuvres mêlées (La Haye, Adrian Moetjens, 1697, in‑12) d’Urbain Chevreau (écrivain français, Loudun 1613-ibid. 1701) contiennent un « billet » non daté, écrit à La Mesnardière, qui commence par ces quelques lignes (première partie, page 330) :

« Je viens d’achever de lire votre Poétique où vous traitez Castelvetro d’une étrange sorte ; et peut-être qu’autrefois vous n’y eussiez pas trouvé votre compte, {a} s’il est vrai ce que ce Pasquin {b} lui a reproché en quelque endroit, Qu’il passait de la langue aux mains, de la plume au fer, de l’encre au sang ; et qu’il ait fait assassiner un fort galant homme qui avait pris la liberté de lui contredire. » {c}


  1. Pour dire « vous ne vous seriez pas hasardé à dire du mal de lui ».

  2. V. supra notule {b}, note [7].

  3. On a accusé Castelvetro d’avoir été impliqué dans l’assassinat d’un certain Alberigo Longo, qui avait dit du mal de ses ouvrages.

Pour aller plus loin dans ces prémices de la « querelle des Anciens et des Modernes », Georges de Scudéry, {a} autre membre de l’Académie française (1650), s’en est aussi pris à Castelvetro dans la Préface de son Alaric, {b} quand il réfute l’opinion du Tasse {c} « que la morale n’est pas l’objet du poète, qui ne doit songer qu’à divertir le peuple » (page b vo‑ b ij vo) :

« Mais le Tasse n’a pas été le seul dans une erreur si peu raisonnable. Castelvetro, quoique grand homme, a porté la disparate {d} bien plus loin que lui : et après avoir usé la moitié de sa vie sur la Poétique d’Aristote, et mis dans cet ouvrage tout son grec et tout son latin, il nous a dit que la poésie n’a été inventée que per dilettare, et per ricreare gli animi della rozza moltitudine, et del commune popolo. {e} Voilà véritablement un art qui mériterait bien, si telle était sa fin, qu’Aristote se fût amusé à nous en donner des règles ; et Castelvetro lui-même aurait bien employé son temps si son labeur n’était propre qu’à mieux divertir la canaille.

De même l’araignée, en filant son ordure,
Use toute sa vie, et ne fait rien qui dure,

a dit un de nos plus fameux poètes. {f} Mais ce n’est pas la seule hérésie de cet auteur qui, peu de lignes après, dit qu’Empédocles, Lucrèce, Nicandre, Hésiode, Virgile, et plusieurs autres qu’il nomme, ne sont pas poètes parce que les sciences sont traitées dans leurs ouvrages. Il devait donc regarder Homère comme les autres, et plus que les autres, puisqu’à peine y a-t-il un art ni une science en toutes les connaissances des hommes que l’on ne trouve dans L’Iliade et dans L’Odyssée. Pour moi, je suis bien loin d’avoir des sentiments si bas de la plus sublime façon d’écrire ; et je tiens, au contraire, que, pour être véritable poète, il faudrait ne rien ignorer ; et que plus on voit de savoir dans un poème, plus l’auteur en mérite de louange. »


  1. V. note [68], lettre 336.

  2. Paris, 1654, v. la même note [68].

  3. V. note [5] du Faux Patiniana II‑1.

  4. « Ce mot est espagnol, mais plusieurs s’en servent pour expliquer de grandes inégalités d’esprit, des choses dites ou faites mal à propos. Cet homme a de l’esprit et du mérite, mais il a quelquefois de grandes disparates, il dit et fait bien des choses à contretemps et extravagantes » (Furetière).

  5. V. la citation de Castelvetro dans la première notule {b} supra.

  6. Théophile de Viau (v. note [7], lettre de Charles Spon, datée du 28 décembre 1657), Élégie à une dame, contre certains poètes de son temps :

    « J’en connais qui ne font des vers qu’à la moderne,
    Qui cherchent à midi Phébus à la lanterne,
    Grattent tant le français qu’ils le déchirent tout,
    Blâmant tout ce qui n’est facile qu’à leur goût,
    Sont un mois à connaître, en tâtant la parole,
    Lorsque l’accent est rude, ou que la rime est molle,
    Veulent persuader que ce qu’ils font est beau,
    Et que leur renommée est franche du tombeau,
    Sans autre fondement, sinon que tout leur âge
    S’est laissé consommer en un petit ouvrage ;
    Que leurs vers dureront au monde précieux,
    Pour ce que, les faisant, ils sont devenus vieux. »

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 1, note 8.

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(Consulté le 10/10/2024)

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