À Charles Spon, le 17 août 1643, note 9.
Note [9]

Jean de Launoy (ou Launoi, Le Valdécie près de Coutances 1603-Paris 1678), licencié en théologie et docteur du Collège de Navarre en 1634, avait ensuite passé trois ans en Italie. De retour à Paris, il avait été ordonné prêtre en 1636 pour entamer son œuvre critique contre les saintes légendes. En 1643, celui qu’on surnommait le dénicheur de saints (au sens où il les expulsait littéralement de leurs niches) et qui fréquentait l’académie putéane des frères Dupuy (v. note [5], lettre 181), était nommé censeur royal pour les livres de théologie.

Launoy, homme libre et indépendant qui refusa tous les bénéfices qu’on lui offrit, mit un point d’honneur à rejeter la censure de la Sorbonne contre Antoine ii Arnauld, écrivant dans une lettre à un ami que « pour lui, il n’est pas de l’opinion de Jansenius, c’est-à-dire de saint Augustin, touchant la grâce [v. note [50], lettre 101], mais qu’il est prêt de signer que la censure est très irrégulière et détruit entièrement la liberté de la Faculté […] In hac fide vivam et moriar [Dans cette foi je vivrai et mourrai] ». Cela lui valut d’être radié de l’Université en 1656, comme une soixantaine d’autres docteurs en théologie, sans l’empêcher de poursuivre ses recherches souvent iconoclastes sur les conciles et sur le pape, dont il contestait l’infaillibilité (v. note [2], lettre 741), sur les saints et la Vierge Marie, combattant avec vigueur son assomption et son immaculée conception, ou sur l’histoire des sacrements (Dictionnaire de Port-Royal, page 601).

Bayle sur Jean de Launoy, pages 65‑66 :

« Il était difficile que ce docte théologien écrivît tant de volumes contre les maximes des flatteurs du pape, et contre les superstitions et les prétendues exemptions des moines, sans se faire beaucoup d’ennemis. Il éprouva sur ses vieux jours qu’il avait choqué un parti fort redoutable. On lui défendit de tenir des assemblées dans sa chambre, comme il faisait depuis longtemps un jour de chaque semaine, et on fit des affaires à son imprimeur. […] Il s’attira sur les bras tout l’Ordre de saint Dominique pour avoir attaqué bien librement la réputation de Thomas d’Aquin. […] Il ne trouva point d’antagoniste qui gardât moins de mesures avec lui que le P. Théophile Raynaud. Je ne veux point passer sous silence qu’il avait rayé de son calendrier sainte Catherine, vierge et martyre, et qu’il disait que sa vie était une fable ; et pour montrer qu’il n’y ajoutait aucune foi, tous les ans au jour de la fête de cette sainte il disait une messe de requiem. »

Ennemi de la bigoterie, Guy Patin prisait le scepticisme décapant de Launoy et a souvent parlé de ses ouvrages dans sa correspondance. Il faisait ici allusion à sa querelle homérique sur la sainte légende provençale de Madeleine. {a}

  • Le R.P. jésuite Jean-Baptiste Guesnay (Aix-en-Provence 1585-Avignon 1658) {b} avait publié Magdalena Massiliensis advena, seu de adventu Magdalenæ in Gallias, et Massiliam appulsu, Disquisitio Theologica-historica [Madeleine venue s’établir à Marseille, ou Enquête théologico-historique sur l’arrivée de Madeleine en France et son débarquement à Marseille]. {c}

  • Launoy l’avait éreinté dans sa Disquisitio disquisitionis de Magdalena Massiliensi advena [Enquête de l’enquête sur Madeleine venue s’établir à Marseille]. {d}

  • Guesnay contre-attaqua l’année suivante, sous pseudonyme :

    Auctarium historicum de Magdalena Massiliensi advena : sive Decretum supremi Senatus Aquensis, et almæ Universitatis censura in libellum qui inscribitur : Disquisitio disquisitionis… Cum scholiis et observationibus adversus Libelli Autorem Ioannem Launoyum, Lipsanomastigem Antidico-Magdalenitam, et Disquisitæ Disquisitionis exquisitum criminatorem. Opera et studio Petri Henry, Provincialis, Artium Magistri, necnon S. Theologiæ Candidati

    [Supplément historique sur Madeleine venue s’établir à Marseille, ou décret de la Cour suprême d’Aix et censure de l’Université contre l’opuscule intitulé Disquisitio disquisitionis… Avec des notes et observations contre l’auteur de ce livre, Jean de Launoy Lipsanomastix Antidico-Magdalenita {e} et fin calomniateur de l’enquête sur laquelle il a enquêté. Par les soins et l’étude de Petrus Henry, provincial, maître ès-arts et candidat à la licence de sainte théologie]. {f}

  • Launoy riposta à nouveau avec ses Sentiments sur le livre que le P. Guesnay… a fait imprimer à Lyon sous le nom de Pierre Henry, intitulé Auctarium historicum… {g}

  • Guesnay voulut avoir le dernier mot avec :

    Le Triomphe de la Magdeleine, en la créance et vénération de ses saintes reliques en Provence, suivie et embrassée par toutes les Nations du Monde. Réponse à une lettre intitulée Les sentiments de Me Jean Launoy, etc. sur le livre que le P. Guesnay jésuite a fait imprimer à Lyon sous le nom de Pierre Henry, et intitulé Auctarium historicum de Magdalenæ Massiliensi advena. par Monsieur Denys de la Sainte-Baume, gentilhomme provençal. {h} Et veritas Domini manet in æternum. {i} Psal. 16. 2. {j}


    1. V. note [20], lettre 207.

    2. Patin a reparlé du P. Guesnay : v. note [26], lettre 458.

    3. Lyon, Jérôme de La Garde, 1643, in‑4o de 251 pages.

    4. Paris, sans nom, 1643, in‑8o de 95 pages.

    5. Lipsanomastix peut être une référence au mastic de Libye, analogue au mastic noir d’Égypte, substance dessicative décrite dans la notule {b}, note [73], lettre latine 351. Antidico-Magdalenita est une référence au mot antidicomarianite (du grec antidikein, « attaquer ») qui désigne une secte hérétique du ive s. dont les adeptes prétendaient « que la sainte Vierge avait eu plusieurs enfants de saint Joseph, et qu’elle n’était pas demeurée vierge » (Trévoux), en y remplaçant Marie (marianita) par Madeleine (magdalenita).

    6. Lyon, Jean-Pierre Chancel, 1644, in‑8ode 143 pages.

    7. Sans lieu ni nom, 1646, in‑8o de 32 pages.

      Je n’ai pas eu accès à ce livre, mais son contenu est résumé dans les Varia Opuscula [Opuscules divers…] de Launoy (Paris, Edmond Martin, 1660, in‑8o : il y est revenu sur les surnoms injurieux que Guesnay lui avait donnés (pages 404‑409), mais sans en expliquer clairement le sens, en énumérant seulement de nombreuses personnalités ecclésiastiques de haut rang auxquelles on peut les appliquer.

    8. Autre pseudonyme du P. Guesnay : v. note [7], lettre 596, pour la grotte de sainte Madeleine dans la montagne de la Sainte-Baume, en Provence.

    9. « Et la vérité du Seigneur demeure pour l’éternité » (Psaumes 116, et non 16:2).

    10. Sans lieu ni nom, 1647, in‑4o de 89 pages : argumentaire en 58 points datée d’Aix le 30 mars 1647, adressée à M. François de Montagnes, prêtre et docteur en théologie à Paris (réédition à Lyon, Antoine Cellier, 1657, in‑fo de 25 pages).

      Le 57e point (page 87) veut porter l’estocade finale contre Launoy :

      « Voilà les voies du cerf, {i} la peau de l’ours et l’ongle du lion, pour raisonner par discours sur le reste de ses belles parties. Ne le jugez-vous pas un personnage bien recommandable pour oser faire la guerre aux reliques des saints, et choquer la réputation des gens d’honneur et des religieux qui auraient < dé>jà blanchi depuis longues années en l’exercice des études et de la vertu ? Je me souviens de ce que dit Tertullien palant du caméléon : à l’ouïr nommer, il semble que ce soit quelque bête encore plus formidable que les lions d’Afrique ; mais quand on le voit enveloppé dans une feuille de vigne, on se moque de soi-même, car c’est en effet une des plus chétives vermines de la terre ; et cependant, au son de la voix, il suffirait pour glacer le sang aux plus résolus et déterminés courages. Cum videris ferme sub pampino totum ridetur illico gratia nominis. {ii} Il en est de même de notre adversaire : car à la prononciation de ce mot Monsieur Jean de Launoy, il y a des esprits faibles qui s’effraient d’abord ; et penserait-on que l’avoir pour ennemi, toute la Provence serait perdue ; mais ayant approfondi l’affaire, et reconnu le renard sous la peau de lion, on voit clairement qu’il y avait de l’abus en l’imagination, […]. »

      1. « L’endroit par où le gibier a passé, quand on le suit à la piste, ou par l’odeur ou l’impression qu’il a laissée dans l’air » (Furetière).

      2. Tout ce passage, sur le contraste entre le formidable mot caméléon (du grec khamaileon, « lion rampant ») et le chétif animal qu’il dénomme, est emprunté à Tertullien (Du Manteau, chapitre iii, v. note [23] du Manuscrit inédit de Guy Patin contre Théophraste Renaudot), en abrégeant son latin :

        At cum offenderis apud vineam ferme et sub pampino totum, ridebis illico audaciam et Græci iam nomini.

        [Mais si tu le rencontres dans une vigne, caché tout entier sous un de ses pampres, alors tu riras de l’exagération de la Grèce dans ses dénominations].


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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 17 août 1643, note 9.

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(Consulté le 12/12/2024)

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