L. 120.  >
À Claude II Belin,
le 16 mars 1645

Monsieur, [a][1]

Je vous dois réponse il y a longtemps, je vous prie de m’en excuser, ce n’est point faute d’affection mais de loisir. Je vous remercie de tout le soin qu’avez eu pour l’affaire de M. Bareton, [1][2] je vous prie de me mander ce qu’en avez déboursé afin que je vous le rende. Le pauvre apothicaire en a eu trois pistoles qu’il a reçues avant que de mourir. Pour votre Speculum Iesuiticum Ambergæ editum 1609[2][3][4] < c’ >est une pièce que je ne vis jamais. Je m’étonne que ceux de Genève ne l’ont réimprimée depuis le temps. Je ne refuse point de voir quelque jour le vôtre quand vous pourrez vous en passer pour quelque mois ; celui-là sera peut-être cause d’une nouvelle édition. Monsieur votre fils [5] est assidu aux actes de l’École et à ses leçons, et crois qu’il vous donnera contentement. Le général des jésuites, Muzio Vitteleschi, [6] est mort à Rome, [3] et leur grand patron, le cardinal de La Rochefoucauld, à Paris. [4][7] M. Arnauld [8] triomphe ici de toute leur cabale : l’honneur lui en est demeuré, et à eux l’affront. [5] J’ai fait réimprimer ma thèse [9] pour la cinquième fois, je vous en envoie une douzaine que je vous prie de distribuer à qui vous trouverez bon. J’ai remercié M. Comper [10] de Reims par lettres qui lui ont été rendues par un jeune homme qui s’en alla à Reims [11] y prendre ses degrés, et que je lui recommandai pour cet effet. Il m’a depuis écrit aussi, de sa grâce, et lui en ai obligation. [6] M. de Brassac [12] est ici mort, [7] aussi bien que le cardinal de La Rochefoucauld pour lequel, à ce que j’apprends, les jésuites apprêtent de belles harangues funèbres. M. Bouvard [13] a perdu son fils aîné [14] qui était conseiller de la Cour et abbé de Saint-Florent de Saumur, [15] laquelle abbaye M. le Mazarin [16] retient pour soi, tant pour le revenu qui en est bon que pour la grande quantité des bénéfices qu’il y a à conférer. [8] Nous allons avoir deux nouvelles éditions de la Cour sainte du P. Caussin, [17] fort augmentées : l’une sera en six volumes in‑8o et l’autre en deux volumes in‑fo. Nous aurons les Institutions de C. Hofmannus, [18] de Lyon, toutes parfaites et achevées avant Pâques. [9] Je vous baise très humblement les mains, à madame votre femme, Messieurs vos frères, MM. Camusat, Allen et Sorel, et suis de tout mon cœur, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 16e de mars 1645.


a.

Ms BnF no 9358, fo 93 ; Triaire no cxxiii (pages 454‑455).

1.

Dernière allusion à l’affaire du jeune Bareton, client indélicat qui avait laissé une note impayée chez un apothicaire de Paris : v. note [1], lettre 114.

2.

« Le miroir jésuite, publié à Amberg en 1609 », ouvrage de Joachimus Ursinus (jamais réédité par la suite) : v. note [6], lettre 114.

3.

Muzio Vitteleschi (Venise 1563-Rome 9 février 1645) avait été élu 6e général des jésuites le 15 novembre 1615. Sous son généralat, la Compagnie se développa notablement pour atteindre 16 000 membres répartis en 35 provinces.

4.

François de la Rochefoucauld (Paris 1558-ibid. 14 février 1645) était fils de Charles de La Rochefoucauld, comte de Randan. Évêque de Clermont en 1585, il avait été un ligueur ardent avant de se rallier de mauvaise grâce à Henri iv après que le roi eut abjuré le protestantisme (juillet 1593). La Rochefoucauld avait obtenu le retour des jésuites chassés de France en 1595 et installé les capucins dans son diocèse. cardinal en 1607, il avait quitté en 1610 l’évêché de Clermont pour celui de Senlis. Grand aumônier de France en 1618, il avait présidé le Conseil du roi de 1622 à 1624 pour laisser sa place à Richelieu. En 1635, il avait quitté sa dignité de cardinal pour devenir simple membre de la Compagnie de Jésus et consacrer les dernières années de sa vie à la fondation de la Congrégation de Sainte-Geneviève, connue sous le nom de Congrégation de France. À sa mort, les jésuites recueillirent son cœur pour le déposer dans leur Collège de Clermont (R. et S. Pillorget et Triaire).

5.

La dispute venait du livre d’Antoine ii Arnauld, De la fréquente Communion (v. note [47], lettre 101).

6.

V. note [2], lettre 107, pour Le Comper, et « L’homme n’est que maladie », pour la thèse à grand succès de Guy Patin, qu’il fit imprimer au moins cinq fois.

7.

Jean Gallard de Béarn, sieur de Brassac (1579 en Saintonge-Paris 1645) avait d’abord suivi la carrière militaire et devint lieutenant du roi à Saint-Jean-d’Angély. Élevé dans la religion protestante, Brassac avait abjuré d’après les conseils du P. Joseph, qui devint dès lors son protecteur, et il fut nommé ambassadeur à Rome. Quelque temps après, il devint gouverneur de Nancy et de la Lorraine. Chargé de garder à vue le cardinal François de Lorraine et sa cousine Claude, dont Richelieu voulait faire annuler le mariage, il les avait laissés s’échapper. Brassac avait épousé Catherine de Sainte Maure de Montausier (v. note [7], lettre 84) (G.D.U. xixe s. et Triaire).

8.

Charles ii Bouvard, abbé de Saint-Florent-lès-Saumur, avait été reçu en 1637 conseiller au Parlement de Paris, en la quatrième Chambre des enquêtes, sans avoir été interrogé et par commandement de Louis xiii (Popoff, no 733).

9.

La Cour sainte du R. Père Nicolas Caussin de la Compagnie de Jésus. {a} Mise en un bel ordre, avec une notable augmentation des personnes illustres de la cour, tant du Vieil que du Nouveau testament, divisés en cinq ordres. Les Monarques et Princes. Les Cavaliers. Les Reines et Dames. Les Hommes d’État. Les Hommes de Dieu. {b}


  1. V. note [5], lettre 37, pour Nicolas Caussin et la première édition de sa Cour sainte (Paris, 1624).

  2. Paris, Claude Sonnius et Denis Bechet, 1647, in‑fo : tome premier (200 pages divisées en trois traités) ; tome second (643 pages divisées en cinq parties anonncées à la fin du titre).

V. note [12], lettre 92, pour les Institutiones de Caspar Hofmann (Lyon, 1645).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 16 mars 1645

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(Consulté le 29/03/2024)

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