L. 123.  >
À Claude II Belin,
le 16 juin 1645

Monsieur, [a][1]

Je vous remercie bien fort du soin que vous voulez prendre de la distribution de mes thèses [2] et de l’estime que vous en faites, ce que je n’attribue pas tant à leur mérite qu’à mon bonheur et au bien que vous me voulez. Pour le Speculum Iesuiticum[1][3] je ne prétends pas vous en faire de tort, j’espère de vous le rendre quand nous en aurons tiré quelque chose qui pourra servir à la défense de l’Université contre ces gens-là [4] qui ont été si bien chapitrés depuis deux ans par les livres qui ont été faits contre eux ; et entre autres par la dernière réponse qui a été faite à l’Apologie du P. Caussin, [5] de laquelle est auteur un de nos Beauvaisins, [2][6] nommé M. Hermant, [7] bachelier et prieur de Sorbonne, [8] qui a fait aussi les autres pièces. Si vous n’avez vu cette dernière réponse à l’Apologie du P. Caussin, je vous en offre une. C’est un livre de deux petits doigts où est aussi contenue une troisième Requête de l’Université contre eux, etc. Elle est de bonne trempe et m’assure que la lecture de tout le livre ne vous pourra jamais ennuyer. Il nous est venu deux livres depuis peu de M. de Saumaise, [9] l’un Observationes ad ius Atticum, l’autre de Mutuo. On dit que nous aurons de lui deux beaux livres nouveaux dans un mois, savoir de Primatu Petri et l’autre de Militia veterum, tous deux in‑4o. Il est délibéré de ne pas quitter la Hollande et de ne venir à Paris pour quelque offre qu’on lui fasse ; et de fait, il vaut mieux qu’il ne bouge de là et qu’il y fasse imprimer tant de beaux livres qu’il a tous parfaits ; et entre autres son Dioscoride [10] grec latin avec annotations, ses Observations sur Pline, etc. [3][11] Il nous est ici arrivé de Lyon un très excellent et très beau livre in‑4o qui n’est pas si gros que le Perdulcis[12] intitulé Casp. Hofmanni Instit. Medicarum libri sex[4][13] Ce livre est plein de doctrine, de belles recherches et d’une hardie censure contre la plupart des modernes, et entre autres Sennertus [14] et Fuchsius, [5][15] sans même épargner quelquefois Galien [16] et Fernel, [17] quos etiam acerbe mordet, per fas et nefas[6] Son plus grand vice n’est pas l’ignorance (car il est très savant), mais plutôt une envie de reprendre tout le monde, bon et mauvais, et comme dit Pline [18] en sa belle préface, ex aliena obtrectatione scientiæ famam sibi aucupari ; [7] mais néanmoins, la lecture du livre n’en peut être que très bonne à tout homme qui veut profiter in studio Medicinæ. De rebus περι του πολιτευματος vix habeo quod dicam[8] Je me recommande à vos bonnes grâces, de Messieurs vos frères, de M. Allen et M. Camusat, et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 16e de juin 1645.


a.

Ms BnF no 9358, fo 94 ; Triaire no cxxvi (pages 463‑464).

1.

V. L’homme n’est que maladie, pour la thèse à grand succès de Guy Patin, et note [6], lettre 114, pour le Speculum iesuiticum de Joachim Berenger.

2.

Beauvaisin (ou beauvaisien) : « qui est de Beauvais, ou plutôt du Beauvaisis. Bellovacus. M. de Valois dit que Beauvaisin vient du latin, comme si l’on disait Bellovacinus, ou Bellovacensis » (Trévoux) ; v. notes [8], lettre 107, pour le livre du P. Nicolas Caussin, et [3], lettre 104, pour la réponse de Godefroi Hermant.

3.

Les livres cités sont dans l’ordre :

4.

V. notes [5], lettre 47, pour le Perdulcis (Universa Medicina… de Barthélemy Pardoux), et [12], lettre 92, pour les Institutionum medicarum libri vi [Six livres des Institutions médicales] de Caspar Hofmann (Lyon, 1645), espérés de longue date par Guy Patin.

5.

Leonhard Fuchs (Leonardus Fuchsius ; Wembdingen, Bavière 1501-Tübingen 1566), botaniste et médecin érudit, surnommé l’Éginète (v. note [13], lettre 153) d’Allemagne, a contribué par ses nombreux ouvrages à renverser l’arabisme dans son pays et à remettre la médecine grecque en honneur. Son nom est attaché au genre botanique des fuchsias.

6.

« que même il mord méchamment par tous moyens, bons comme mauvais [de façon licite comme illicite]. »

7.

« de chercher de la renommée en abaissant la science d’autrui » ; Pline (Histoire naturelle, livre i ou Préface, § 23, Littré Pli, volume 1, page 5) parlant de Caton l’Ancien (v. note [5] de Guy Patin contre les consultations charitables de Théophraste Renaudot) :

paratos fuisse istos, qui obtrectatione alienæ scientiæ famam sibi aucupantur.

« il était menacé des coups de ceux qui cherchent de la renommée en abaissant la science d’autrui. »

8.

« dans l’étude de la médecine. Je n’ai rien à vous dire sur les affaires politiques. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 16 juin 1645

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(Consulté le 09/05/2024)

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