L. 924.  >
À André Falconet,
le 11 octobre 1667

Monsieur, [a][1]

J’ai vu aujourd’hui trois quartanaires [2] en divers endroits, dont le plus jeune a plus de 60 ans : mauvais manteau pour l’hiver, senes chronicis morbis commoriuntur, quartana iuvenibus tormentum, senibus mors[1] Un de ces trois malades est taxé à la Chambre de justice [3] à un million, qui est un mal que le quinquina [4] ne peut ôter, qui pareillement n’ôte guère la fièvre quarte. [5] Les moines [6] et les empiriques [7] font trop valoir cette poudre, mais le monde veut être trompé. [2] Nous avons aussi déjà plusieurs rhumatismes [8] fort douloureux. Ce sera bien pis l’hiver prochain quand le froid aura empêché l’insensible transpiration, [3][9] qui est si nécessaire, et quand on commencera à boire du vin nouveau. [10] Il y a du bruit à Londres où le prince Robert [11] a donné un soufflet à un secrétaire d’État nommé M. Hamilton. [4][12] On dit que cette affaire sera cause qu’il y en aura < un > de pendu, ce qui arrive souvent en ce pays-là par la félonie de ces insulaires qui sont ordinairement gens cruels, méchants poussés d’intérêt et de diverse religion. Religio peperit scelerosa atque impia facta[5][13]

Ce 8e d’octobre. Nous avions en Pologne un de nos médecins nommé M. Germain, [14] homme d’honneur et savant. Il y était allé pour la défunte reine, [15] et y a demeuré quelques années auprès d’elle. Enfin, dès qu’elle est morte syncope cardiaca[6][16] il est revenu à Paris. Il m’a aujourd’hui rendu visite et m’a appris que tout ce pays-là est bien barbare pour la médecine : heureux sont ceux qui vivent en France et qui y demeurent dans les grandes villes, telles que sont Paris et Lyon ; les autres mêmes sont encore bien grossières. Un des nôtres nommé Raphaël Maurin, [17] qui était en Flandres [18] médecin de l’hôpital de l’armée, y est mort de fièvre continue. [19] En voilà six en dix mois ; si Dieu veut, il n’en mourra plus ; au moins, je souhaite de bon cœur qu’il n’en meure aucun d’ici à dix ans. Ce Raphaël Maurin était fils de Jean Maurin, [20] Provençal qui mourut ici tout tabide [21] il y a quatre ans passés. C’étaient des Provençaux qui avaient bien plus d’esprit que d’argent. Mais s’il vous plaît, apprenez-moi qu’est devenu M. Delorme, [22] j’avais ouï dire qu’il avait dessein de venir à Paris. Dieu le veuille bien conserver, et vous aussi et tout ce qui vous appartient.

Les Espagnols ont attrapé le courrier Héron [7] et lui ont pris un mémorial important que le roi, [23] qui est à l’armée, envoyait à M. de Lionne, [24] qui est à Paris. Ce mémorial était apostillé de la main du roi sur tous les articles dont M. de Lionne était en peine ; si bien qu’ils en ont découvert beaucoup de choses qui devraient être secrètes et ils en sont tout glorieux. Le roi, de sa part, est bien fâché, et moi aussi. Je vous baise les mains et suis de toute mon âme votre, etc.

De Paris, ce 11e d’octobre 1667.


a.

Bulderen, no cccclxv (tome iii, pages 265‑267) ; Reveillé-Parise, no dcclxi (tome iii, pages 666‑667).

1.

« les vieillards meurent de maladies chroniques ; la fièvre quarte n’est qu’un simple tourment pour les jeunes, mais c’est la mort pour les vieillards. »

Je n’ai pas trouvé la source de ce propos que Guy Patin a cité deux fois ailleurs :

2.

V. note [7], lettre 794.

3.

La transpiration ne se limitait pas alors à la sudation (Furetière) :

« action par laquelle la nature pousse les mauvaises humeurs par les pores ou attire l’air en dedans du corps. {a} Les médecins appellent la transpiration une respiration insensible, comme celle du fœtus dans le ventre de la mère. {b} […] La transpiration se fait par le moyen des glandes de la peau qui préparent la matière de la sueur, dont la rétention cause quelquefois des maladies. On tient qu’elle sert aussi à la sanguification. {c} La sueur se fait par une transpiration sensible. Dans tous les corps il se fait une insensible et une continuelle transpiration des parties subtiles et volatiles. »


  1. La respiration cutanée est insignifiante chez les humains, absolument incapable de satisfaire à leur hématose (échanges gazeux respiratoires).

  2. Propos antérieur à la description de la circulation sanguine chez le fœtus, grâce à laquelle la mère respire pour son enfant.

  3. La sueur ne participe en rien à la formation du sang (hématopoïèse, v. note [1], lettre 404).

4.

Celui dont Guy Patin francisait le nom en « prince Robert » était le prince Rupert (1619-1682), comte palatin du Rhin et duc de Bavière, duc de Cumberland et comte de Holderness, fils d’Elizabeth Stuart, sœur du roi d’Angleterre Charles ier, et de l’électeur palatin Frédéric v. Après avoir commandé la cavalerie royale durant les guerres civiles, il avait émigré pour mener une vie aventureuse de boucanier dans les Caraïbes. Il était revenu en Grande-Bretagne après la restauration et menait une carrière maritime, participant aux combats navals de l’époque, avant de devenir gouverneur de la Compagnie de la baie d’Hudson.

William Douglas (1634-1694), comte de Selkirk, était devenu duc de Hamilton en 1656 par son mariage avec Anne Hamilton, héritière du duché ; grand trésorier de Charles ii, il devint plus tard grand amiral de William iii.

5.

« La religion a enfanté des agissements criminels et impies » : Lucrèce, l’épicurien athée (v. note [131], lettre 166), De rerum Natura [La Nature des choses] (livre i, vers 83), à propos de la superstition.

6.

« d’une syncope cardiaque » (v. note [15], lettre 554) ; v. note [2], lettre 915, pour la mort de la reine de Pologne, le 10 mai 1667.

7.

Les correspondances diplomatiques du xviie s. font souvent état de cette agence postale privée.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 11 octobre 1667

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0924

(Consulté le 26/04/2024)

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