[Ms BIU Santé no 2007, fo 100 ro | LAT | IMG]
Au très distingué M. Thomas Bartholin, professeur royal de médecine à Copenhague.
Très distingué Monsieur, [a][1]
Hier, j’ai rencontré un de vos compatriotes, le noble M. Petrus Schoumaker, avec qui j’ai très plaisamment conversé à votre sujet. Je suis fort heureux que vous vous souveniez de moi et que vous m’ayez préparé un paquet de vos livres, que j’attendrai patiemment. Il m’a montré une liste de vos autres œuvres, je voudrais que vous la joigniez au reste. Il y a ici peu de nouvelles, hormis la mort de Mazarin : [2] les médicastres auliques, [3] parfaits ignares en l’art très salutaire et entièrement enfouis dans leurs secrets chimystiques, [4] comme ils s’en gaussent eux-mêmes, l’ont honteusement tué et l’ont abandonné à Pluton avec leurs grains narcotiques d’opium et leur vin stibial parfaitement vénéneux. [5][6][7][8] Ces vauriens professent des secrets, eux qui ne possèdent pas le premier, principal et presque unique secret de notre art, à savoir la véritable et légitime méthode de bien remédier, qui est secretum secretorum secretissimum, sed paucis notum. [1] Nous avons ici un savant collègue qui s’est attelé à l’édition de deux livres : le premier traitera de Pleuritide et sera l’équivalent d’une Methodus medendi generalis ; le second traitera de Vomitu, stibiique veneno. Vous les aurez facilement tous deux après qu’ils auront été publiés. [2][9][10][11] En attendant, si vous m’indiquez pourtant quelqu’un de sûr à qui je puisse le remettre, je vous enverrai un paquet rempli de ce qui se trouve ici, savoir les opuscules et thèses de notre École, avec un arrêt du Parlement que nous avons obtenu voilà un an contre l’arrogante, et en quelque sorte présomptueuse, race d’hommes que forment les barbiers et les chirurgiens portant robes à longues manches. [3][12][13][14][15] Enfin donc, Mazarin est mort, lui qui était suspendu par-dessus les têtes de l’Europe tout entière, armé d’une puissance excessive, à savoir de la faveur et de l’autorité de notre roi très-chrétien, et qui propter nos homines nostramque salutem descendit ad inferos ; [4][16][17] c’est-à-dire que grâce au vin énétique et au poison chimique, il s’en est allé là unde negant redire quemquam. [5][18] Je salue tous vos très chers, très agréables et très savants frères, tout particulièrement Erasmus. [19] Vale, très admirable Monsieur, et continuez de m’aimer comme vous faites.
De Paris, le 9e de mars 1661.
Votre Guy Patin de tout cœur.
Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Thomas Bartholin, ms BIU Santé no 2007, fo 100 ro.
« le secret le plus secret des secrets, mais que peu connaissent » : v. note [2], lettre latine 43, pour cette expression de Guy Patin que Johannes Antonides Vander Linden avait honorée d’une citation dans ses Selecta medica… [Morceaux médicaux choisis…] (Leyde, 1656, V. note [29], lettre 338).
Patin haïssait tant les médecins de la cour et leurs remèdes qu’il semblait contenir sa joie de voir passer Mazarin en l’autre monde, le jour même où il écrivait sa lettre ; mais il allait se ressaisir quelques lignes plus bas.
Ces deux ouvrages de François Blondel sont demeurés à l’état de volumineux manuscrits, conservés par la BIU Santé ; v. notes :
Altération d’un verset du Symbole de Nicée, profession de foi (Credo) catholique établie par le concile de Nicée en 325, puis complétée par celui de Constantinople en 381 :
Qui propter nos homines et propter nostram salutem descendit de cælis[Pour nous les hommes et pour notre salut, il descendit du ciel]. {a}
- Remplacement de descendit de cælis [il descendit du ciel] par descendit ad inferos [il descendit aux enfers], avec Qui [il] pour Mazarin au lieu de Dieu : contribution (me semble-t-il originale) de Guy Patin aux épitaphes ironiques du cardinal-ministre (citée trois fois dans ses lettres latines).
Ms BIU Santé no 2007, fo 100 ro.
Cl. viro D. Thomæ Bartholino, regio Medicinæ Prof. Hafniam.
Vir Cl. heri me convenit popularis quidam tuus vir nobilis Dominus
Petrus Schoumaker, cum quo jucundissimum habui de Te colloquium :
valde lætatus sum quod mei memineris, et fasciculum Operum tuorum
mihi confeceris, quem patienter expectabo : ostendit Ille mihi
quendam Indicem tuorum Operum, quem alijs adjungas velim. Pauca
sunt hîc nova, præter mortem Mazarini, quem aulici medicastri,
saluberrimæ artis admodum ignari, et toti, ut ipsi nugantur, in secretis
Chymicis repositi, turpiter mactarunt, ac Diti tradidebunt, cum
suis granis narcoticis opiatis, et suo vino verè veneno stibiali,
venenatissimo. Secreta profitentur isti nebulones, qui primum,
præcipuum, ac penè unicum Artis nostræ secretum non tenent,
nempe veram ac legitimam bene medendi methodum, quod quæ est
secretum secretorum secretissimum, sed paucis notum. Hîc habemus
eruditum quendam Collegam qui sese accingit ad editionem duorum
librorum : quorum unus erit de Pleuritide, eritq. instar Methodi
medendi generalis : erit alter de Vomitu, stibijq. veneno. Utrumque
facilè habebis, postquam editus fuerit : si tamen interea mihi aliquem
indicaveris cui tutò possim aliquid committere, mittam Tibi fascicu-
lum, ex ijs conflatum quæ hîc prostant, libellis nimirum ac Thesibus
Scholæ nostræ, cum solemni quodam Senatuconsulto quod ante annum obtinuimus
adversus superbum ac superciliosum quodam hominum genus, nempe tonsores et Chirurgicos togatos,
et manicatos. Ergo tandem obijt Mazarinus, qui totius Europæ
cervicibus imminebat, nimia armatus potentia, nempe gratia et
authoritate Regis nostri Christianissimi : et propter nos homines nostramq.
salutem descendit ad inferos : i. ^ per vinum eneticum,/ et venenum chymisticum, penetravit unde negant redire quemquam.
Carissimos tuos et suavissimos ac eruditissimos fratres omnes saluto,
et ex ijs præsertim Erasmum. Vale, vir præstantissime, meq. quod facis,
amare perge. Parisijs, 9. Martij, 1661. Tuus es animo Guido Patin.