[Ms BIU Santé no 2007, fo 344 ro | LAT | IMG]
Éminent Monsieur, ornement choisi de votre Compagnie, [a][1][2]
Sur la prière insistante du très entreprenant et brillant M. Christiaen Utenbogard, [3] qui est chez nous fort connu, j’ai sorti pour lui, très distingué Monsieur, quelques-uns des fruits que j’ai produits dans la précipitation, et qu’il n’est pas ordinaire de tenir pour autre chose qu’une obole à un éléphant. [1] Je n’ai jamais composé mes ouvrages pour la renommée ni pour l’apparat, et depuis que je vis ici, il m’a toujours fallu batailler contre l’insouciance et l’ignorance des imprimeurs. [4] Si j’écris quelque ouvrage, c’est que mes amis ou mes étudiants me l’ont presque arraché de force. Et cependant, bien des livres de divers genres ont paru sous mon nom et (soit dit sans vouloir vous heurter) ont mérité quelque louange ; je ne puis vous les offrir tous car ce serait me dépouiller des seuls exemplaires qui me restent et, surtout, me faire maudire de vous pour les sornettes que j’y ai contées. On est en train d’en imprimer certains qui traitent de théologie, plusieurs d’histoire et quelques-uns de physique. Je dépends du bon plaisir de ces gens qui ont coutume de tenir en leur pouvoir les petits cœurs des Muses ; je ne montrerai aucune mansuétude à leur égard car, comme étant de modeste condition et père d’une neuvaine de nouveau-nés, ils ne se soucient pas de moi et me contraignent au silence. [2] J’hésite sur l’origine de la semence, je croirais avoir prouvé qu’elle est engendrée par le chyle ; [5] dans le même temps, j’ai trouvé fort peu de poids aux expériences de Valerianus sur le vide, et à celles de votre Mersenne, homme qui, pour le reste, πολλων ανταξιου αλλων ; [3][6][7][8] mais où trouverai-je des gens pour imprimer de telles sornettes ? En ce siècle, très éminent Monsieur, on met la notoriété du nom sur le même pied que la destinée : des ânes dorés accaparent les universités et l’imprimerie, en ayant exclu tous ceux qui donnent du prix à la pudeur, et qui ne tolèrent pas de sacrifier publiquement à l’effronterie (déesse hautement estimée) ; moi tout particulièrement, et je m’enveloppe de ma vertu. En attendant, très distingué Monsieur, je me tiendrais pour heureux si je pouvais me compter au dernier rang de vos vassaux. Je ne sais être esclave de personne ; mais suivant mon sentiment et ma sincérité, je sais profondément estimer τον πανυ [4] Patin, pilier de la purification de la médecine, perfection de la philosophie naturelle, très élégant soutien des belles-lettres, et même gardien qui empêche les Muses de s’enfuir. Puisque, suivant l’antique formule, je suis disposé à offrir une partie de mes ans à l’incomparable Patin, je prie Dieu, qui en est le comptable, de nous conserver longtemps un si éminent personnage, pour le bien commun de la république des lettres, et de l’inciter à me ménager sa faveur. Je serai son perpétuel admirateur, même si je ne me suis pas considéré jusqu’ici comme digne d’être son vassal,
Marten Schoock.
Écrit en très grande hâte, de Groningue, au lendemain des calendes d’août 1656 (style local). [5]
1. |
Une lacune du coin supérieur droit de la feuille a rendu le début de la lettre partiellement illisible. Je me suis hasardé à rétablir [entre crochets] les mots latins qu’elle a mutilés, en comprenant que Christiaen Utenbogard avait fait connaître Guy Patin à Marten Schoock, et qu’en guise d’introduction à leur future amitié, il lui envoyait deux de ses ouvrages qu’il avait sous la main (parus en 1650 et 1652, v. note [18], lettre de Christiaen Utenbogard datée du 21 août 1656). Il comparait son présent à une humble aumône, et son correspondant à un éléphant (le plus grand mammifère terrestre). Cette grandiloquence dans la feinte modestie imprègne toute la lettre de Schoock. |
2. |
En peinant (disait-il) à convaincre les libraires de les imprimer, ces neuf livres dont Marten Schoock attendait alors la parution à Groningue étaient :
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3. |
« en surpasse bien d’autres ». Ce jugement sur l’érudit P. Marin Mersenne {a} clôt un déroutant propos sur la semence, le chyle et le vide, sans rapport clair avec ce qui le précède. La fuite des idées avait mené Marten Schoock à blâmer deux ouvrages dont il n’avait pas approuvé le contenu, émanant de deux cartésiens : {b}
Schoock, qu’aucune discussion savante n’intimidait, a critiqué les idées de Valerianus Magnus et de Mersenne dans l’article ix de la Disputatio octava, de Vacuo [Huitième Disputation, sur le Vide] (page 188‑205), imprimée dans sa Physica generalis. Qua sic discutiuntur secundum libertatem Philosophicam, non minus antiquorum quam recentiorum Philosophrum placita ; ut simul major ratio habeatur veritatis, quam authoritatis humanæ [Physique générale. Où sont discutés, conformément à la liberté phiosophique, les préceptes des philosophes, tant anciens que modernes ; et où le raisonnement tient plus compte de la vérité que de l’autorité humaine] (Groningue, Johannes Cöllenius, 1660). Cette thèse n’est pas datée, mais son auteur méditait déjà sur son sujet au moment où il écrivait sa lettre à Guy Patin. Il a abondamment traité du chyle et de la semence (féminine et masculine) dans son De Fermento et fermentatione Liber [Livre sur le Ferment te la fermentation] (Groningue, 1663, v. note [3], lettre 723). |
4. |
« le très fameux » (v. note [17], lettre de Christiaen Utenbogard). |
5. |
Cette date correspond au 2 août dans le calendrier julien employé en Hollande (style local ou ancien), soit le 12 août dans le calendrier grégorien (nouveau style, v. note [12], lettre 440). |
a. |
Ms BIU Santé no 2007, fo 344 ro et vo, lettre autographe de Marten Schoock : {a} Viro Excellentissimo, longeque Celeberrimo D. Guidoni Patino, non modo Parisiensium Medicorum primipile, verum etiam artis nobilissimæ antistiti honoratissimo. |
s. |
Ms BIU Santé no 2007, fo 344 ro. Vir summe, Ordinis tui decus edecimatum, Quod instanter qui Cl. V. et domi magis notus, experientissimus D[ominus] Incomparabilis Patini admirator, Ocyssime Groningæ Frisiorum Ms BIU Santé no 2007, fo 344 vo. Viro Excellentissimo, longeque Celeber- |