L. 996.  >
À André Falconet,
le 30 octobre 1670

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 30 octobre 1670

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(Consulté le 19/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Ce 4e d’octobre. M. le maréchal de Créqui [2] se rend maître de toute la Lorraine [3] sous l’autorité du roi [4] et la puissance de ses armes. Épinal [5] est rendue et enfin, tout nous viendra puisque nous sommes les plus forts et que personne ne se déclare pour ce malheureux duc. [1][6][7] Un officier du roi m’a dit aujourd’hui que le roi fait lever 18 000 hommes de pied et 6 000 chevaux, et que les Hollandais lèvent 30 000 hommes. Notre M. Matthieu [8] est mort, ayant passé 77 ans. Il avait été le plus fort et le plus robuste de son temps, mais la goutte [9] l’a miné et enfin, faute de venir, [2] l’a tué. Vous savez, Monsieur, mieux que moi < que > ce qu’a dit Duret [10] sur Houllier [11] est très vrai : Quand vous avez la goutte vous êtes à plaindre, quand vous ne l’avez pas, vous êtes à craindre ; et néanmoins, contre toute fortune bon cœur, je voudrais être obligé d’avoir la goutte [12] à tel âge, je tâcherais de m’en consoler, je vous la souhaite aussi en ce temps-là.

Ce 9e d’octobre. M. Le Blanc, professeur en droit canon, [13] est ici mort d’une dysenterie [14] atrabilaire, [15] âgé de 73 ans. Je l’ai vu une fois dans le cours de sa maladie en consultation [16][17] avec M. Blondel. [18] Il était de la connaissance de monsieur votre fils aîné, [19] à qui je me recommande. M. Vallot, [20] quoique fort faible et déjà vieux, est allé à Chambord [21] à la suite du roi, pour y prendre l’air de la cour. [3][22] M. le chevalier de Bouillon [23] s’est battu en duel [24] à Belle-Île [25] et il y a été blessé. [4] Messieurs du Clergé assemblés [26] à Pontoise [27] ont envoyé à M. de Sainte-Beuve, [5][28] jadis docteur et professeur en Sorbonne, [29] que les carabins du P. Ignace [30][31] ont déshonoré, une pension annuelle de 1 000 livres, quoiqu’il n’en ait jamais demandé. M. Morus, [32] ministre de Charenton, [33] est mort et il n’y a encore personne en sa place. M. Pellisson, [34] qui a fait l’Histoire de l’Académie française in‑8o, livre gentil et fort curieux, était né huguenot [35] et il s’est fait catholique. [36] Ce fut lui qui fut arrêté prisonnier avec M. Fouquet [37] et qui a été quelques années en prison. C’est un digne homme très savant et qui a de grandes qualités. C’est de lui que Chapelle [38] a dit Et Pellisson un Adonis[6] Messieurs du Clergé ont demandé au roi le rétablissement des docteurs jansénistes [39] qui étaient sortis de Sorbonne. Le roi les a renvoyés à M. l’archevêque de Paris [40] qui a été son précepteur, marque du bon naturel et de l’équité du roi. Je crois pourtant qu’ils y rentreront pourvu que les jésuites ne l’empêchent point, qui n’ont pas aujourd’hui tant de crédit qu’autrefois. Ils n’en ont pourtant encore que trop car le monde est plein de sots qui prennent pour hommes apostoliques ces moutons d’Éthiopie. [7]

M. le chancelier [41] vit en grand honneur, mais il est bien vieux. On parle déjà de sa mort, de sa dépouille, de sa charge, de son successeur et du changement qui arrivera en diverses charges ; sur quoi on parle de M. le premier président[42] de M. Pussort, [43] de M. Boucherat, [8][44] M. Le Tellier [45] et autres. Charles Patin [46] a fait deux différentes relations, l’une de son voyage de Vienne [47] et l’autre de Tyrol, et vous me dites que vous n’en avez vu qu’une ; il y a moyen d’y remédier. [9][48] Tout le monde aime ce fils et il ne fait que du bien. Cependant, au nom du roi, on l’a persécuté et on lui a fait quitter son pays ; et j’espère toujours que le roi connaîtra son innocence et son mérite.

M. Brayer [49] m’a dit ce matin que M. le Dauphin [50] n’est pas guéri et qu’il craint la récidive de son mal. C’est de quoi je suis bien marri car ce petit prince doit être bien cher à toute la France ; aussi est-il bien à craindre que le feu ne s’allume dans les hypocondres, [51] dans quelqu’un de ses viscères, foie, rate [52] ou autres ; et ce qui me touche fort, c’est que l’on dit qu’il est fort aimable et gentil de son esprit, mais qu’il est fort délicat du corps et d’une santé bien frêle. Ceux qui l’ont approché m’ont dit qu’ils ont remarqué en lui une très bonne volonté d’apprendre ce qu’on lui propose et que rien ne le rebute. Voici un reste de lune qui est tout pluvieux et qui nous amène une constitution tout à fait austrine, chaude et humide, telle que nous l’a décrite en ses Aphorismes le bon Hippocrate. [10][53] Aussi avons-nous déjà des rhumes, [54] des catarrhes, [55] des toux, des rhumatismes, [56] des gouttes, des fièvres quartes ; [57] mais si la saison devient pire, comme il y a grande apparence, nous aurons des doubles tierces, [58] des dysenteries, [59] des hydropisies. [60]

Il y en a qui prétendent qu’on a dessein sur la Franche-Comté, [61] sur Dole [62] et Besançon ; [63] et que les électeurs envoient au roi un député sur ces affaires. [11] Ce sont des pensées de gens qui devinent et qui veulent s’ériger en politiques spéculatifs sur les affaires publiques, genus hominum quod in civitate nostra semper vetabitur et semper retinebitur[12] qui est ce qu’a dit Corn. Tacite [64] des astrologues judiciaires [65] de son temps, quoiqu’il leur fasse l’honneur de les appeler mathématiciens. [13] Il court un bruit que l’on a découvert en Béarn un homme de ceux qui ont assassiné le pauvre Grimod, [66] mais je doute de tout ce qu’on en dit car les uns disent aussi en Savoie, [67] les autres en Suisse, [68] les autres près d’Avignon ; et en ce cas-là, il n’y a rien d’assuré. [14] Je rends grâces à M. Falconet [69] d’un livre qu’il m’a envoyé par M. Troisdames, [70] qui est de M. Bicaise, [71] médecin d’Aix-en-Provence. [15] Quand je serai guéri de mon rhume, je le parcourrai et après, j’en écrirai pour les remercier tous deux. [72]

Tout ce qu’on dit de ceux qui ont contribué au massacre du pauvre banquier de Lyon, Jean Grimod, se trouve aujourd’hui faux. On parle d’un certain Florin [73] et d’un autre nommé Le Beau, [74] mais qui ne sont point pris, et d’un abbé qu’on dit avoir été premier inventeur de la tragédie. Quoi que ce soit, on dit qu’ils sont quatre Lyonnais débauchés, fripons et très dangereux garnements. C’est à eux d’y prendre garde car, comme le diable a commencé l’affaire, le bourreau pourra bien l’achever. Dieu ne permettra pas qu’une telle méchanceté demeure impunie car je n’ai garde de dire, avec ce poète ancien, ce misérable mot : [75][76]

Cum rapiant fata bonos, ignoscite fusso,
Sollicitor nullos esse putare Deos
[16]

J’aime mieux dire avec un autre : [77] O bone Romule, ista videbis et feres ? [17][78] On dit que le roi a donné des gardes à M. le duc Mazarin, [79] qui n’a guère d’esprit et qui devient fou de bigotise. Cela n’est-il point honteux, et même de voir ce que deviennent aujourd’hui les deux familles de ces deux cardinaux qui ont si misérablement pillé la France ? On m’écrit d’Allemagne que le duc de Lorraine a cherché contre nous du secours en divers endroits, et même à la diète de Ratisbonne, [80] et qu’il n’en a pu attraper nulle part. Je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 30e d’octobre 1670.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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