Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 6 manuscrit, note 30.
Note [30]

Dans ses six citations, Nicolas Bourbon mentionnait la réfutation de Sénèque par Martin Anton Delrio, {a} puis prenait un malin plaisir à fournir une petite anthologie athée de l’antique littérature latine, mais en la concluant pieusement.

  1. Hic chorus impius est, et animam humanam asserit perire cum corpore : quæ Stoicorum sententia fuit.

    [Ce chœur est impie car il prétend avec force que l’âme périt avec le corps, ce qui a été la sentence des stoïques].

    Ainsi commence la critique du chœur des Troyennes {b} dans la 3e partie (pages 438‑455) de son édition commentée des neuf tragédies de Sénèque le Jeune :

    Martini Antonii Delrii ex Societate Iesu Syntagma Tragœdiæ Latinæ in tres partes distinctum.

    [Recueil de la Tragédie latine, divisé en trois parties, par Martin Anton Delrio, de la Compagnie de Jésus]. {c}

    Sans transcrire tout ce réquisitoire, j’ai prêté attention à quelques-unes de ses très nombreuses références philosophiques et théologiques (3e partie, pages 438‑439) :

    Aristotelem, etsi quidam velint eum impietatis crimine onerare, etiam gravissimi scriptores, verius tamen est, animam humanam immortalem esse credidisse, ut mox docebo. De Platone nihil dubitandum, nec fuere qui dubitent. Non tamen defuere olim hæretici, qui ad rejiciendos Mosis libros contenderent ipsum animam nostram mortalem statuisse, dum dixit : Animam omnis carnis esse in sanguine, Levit. 17. Et esse possent minus prudentes, qui ex Patribus idem se colligere crederent, quorum nonnulli animam humanam (de hac enim sola nunc loquimur) corpoream esse significant ; eo quod solus Deus illis corporeus, et in sacris litteris anima sanguis vocetur, et animæ membrorum mentio sit, Lucæ 16. et alia nonnulla quæ adducunt. […] Et vereor, ne non satis longe ab illa recesserint recentiores quidam Aristotelei, qui conantur in eam philosophorum principem pertrahere, ut Pet. Pomponat. in lib. de anima immortal.

    [Il est très véritable, comme je le montrerai bientôt, qu’Aristote a cru l’âme immortelle, quoique certains, et même parmi les auteurs les plus sérieux, veuillent le charger du crime d’impiété. En la matière, nul n’a jamais émis le moindre doute sur Platon, aussi n’y a-t-il rien qui l’autorise. Jadis, il n’a pourtant pas manqué d’hérétiques qui, pour récuser les livres de Moïse, ont prétendu qu’il a tenu notre âme pour mortelle, quand il dit au 17e du Lévitique : « L’âme de toute chair est dans son sang. » {d} Les moins sages pourraient aussi croire la même chose en se fondant sur les Pères, dont quelques-uns donnent à entendre que l’âme humaine (et c’est d’elle seule que nous parlons maintenant) est corporelle car, pour eux, seul Dieu est corporel, et les Saintes Écritures appellent âme le sang, et font mention de l’âme des corps (Luc 16, et quelques autres passages). {e} (…) Et je crains que certains aristotéliciens plus récents ne soient pas fort éloignés de cela, {f} quand ils essaient d’y rallier le Prince des philosophes, comme a fait Pomponace dans son livre de l’Immortalité de l’âme]. {g}


    1. V. note [54], lettre 97.

    2. V. supra note [29].

    3. Paris, Pierre Billaine, 1620, un volume in‑4o en trois parties de 188, 315, et 559 pages ; première édition à Anvers, 1593-1594, 3 volumes in‑4o.

    4. Lévitique, 17:13 (Immolations et sacrifices) :

      « Quiconque, enfant d’Israël ou étranger résidant parmi vous, prendra à la chasse un gibier ou un oiseau qu’il est permis de manger, en devra répandre le sang et le recouvrir de terre. Car la vie de toute chair, c’est son sang, et j’ai dit aux enfants d’Israël : “ Vous ne mangerez du sang d’aucune chair car la vie de toute chair c’est son sang, et quiconque en mangera sera supprimé. ” »

    5. Je n’ai rien lu de tel dans le chapitre 16 de l’Évangile de Luc ; ce qui peut y ressembler se lit dans le chapitre 12 (23‑24), avec ces paroles du Christ :

      Ideo dico vobis, nolite solliciti esse animæ vestræ quid manducetis, neque corpori quid induamini. Anima plus est quam esca, et corpus plus quam vestimentum.

      [C’est pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre âme de ce que vous mangerez, ni pour votre cops de quoi vous le vêtirez. L’âme est plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement].

    6. Cette hérésie selon laquelle l’âme n’est pas immortelle.

    7. V. note [67] du Naudæana 1 pour ce traité de Pomponace, paru en 1516, et les déboires qu’il valut à son auteur.

  2. Properce, Élégies, {a} livre iii, 5, vers 43‑46 :

    « Cerbère aux trois gueules qui garde l’antre infernal, et Tityos dépassant les neuf jugères ! {b} Fable inventée pour les misérables gens contre leur peur de ne pouvoir exister au delà du tombeau ! » {c}


    1. V. note [52], lettre 155.

    2. Dans le mythe antique, Tityos, fils de Zeus, est un géant (ici haut de 9 jugères, soit plus de 270 mètres) qui, après avoir violenté Leto, maîtresse de son père, fut envoyé aux enfers, où il subit le même supplice que Prométhée (v. note [16], lettre 210) : un vautour lui dévore indéfiniment le foie.

      V. supra note [29], notule {e}, pour Cerbère.

    3. Le copiste du Borboniana manuscrit a inversé le sens de cette proposition en écrivant aut [ou bien] au lieu de haud [ne pas]. Doutant de ce qu’il faut en penser, ma transcription a respecté cette infidélité, en la signalant par un sic.

  3. Juvénal, {a} Satire ii, vers 149‑152 (traduction de Pierre de Labriolle et François Villeneuve, 1962) :

    « Qu’il y ait quelque part et des mânes, et un royaume souterrain, et la gaffe de Charon, et des grenouilles noires dans le gouffre du Styx, {b} et qu’une seule barque puisse suffire pour faire passer l’eau à tant de milliers de morts, les enfants mêmes ne le croient pas, excepté ceux qui n’ont pas encore à payer leur bain. » {c}


    1. V. note [3], lettre 63.

    2. V. note [3], lettre 975, pour Charon (que désigne ici sa gaffe, contus, par métonymie), le batelier du Styx (v. note [28], lettre 334). Dans les Grenouilles d’Aristophane, un chœur de ces batraciens accompagne Dionysos quand il traverse le fleuve infernal pour ramener le poète Eschyle (v. note [11] du Faux Patiniana II‑7 pour Eschyle.) dans le monde des vivants.

    3. Les tout jeunes enfants que leur mère baigne encore à la maison.

  4. Lucain, La Pharsale, {a} livre iii, vers 38‑40 :

    « Pourquoi, dit-il, {b} nous laisser terrifier par la vue d’une trompeuse représentation ? Soit les âmes ne sentent plus rien après la mort, soit la mort elle-même n’est rien. » {c}


    1. V. note [33], lettre 104.

    2. Pompée (v. supra note [26], notule {b}), se réveillant d’un cauchemar où Julie, sa défunte épouse bien-aimée, lui prédisait la défaite et la mort dans sa guerre contre Jules César.

    3. Alternative qui ne laisse aucune place au doute.
    4. (v. supra note [26])

  5. Pline l’Ancien, {a} Histoire naturelle, livre vii, chapitre liii (Littré Pli, volume 1, pages 308‑309) :

    Bello Siculo Gabienus Cæsaris classiarius fortissimus captus a Sex. Pompeio, jussu eius incisa cervice et vix cohærente, jacuit in litore toto die. Deinde quum advesperavisset, cum gemitu precibusque congregata multitudine petiit, uti Pompeius ad se veniret, aut aliquem ex arcanis mitteret : se enim ab inferis remissum habere quæ nuntiaret. Misit plures Pompeius ex amicis, quibus Gabienus dixit : inferis diis placere Pompei causas et partes pias : proinde eventum futurum quem optaret : hoc se nuntiare jussum : argumentum fore veritatis, quod peractis mandatis, protinus expiraturus esset : idque ita evenit. Post sepulturam quoque visorum exempla sunt : nisi quod naturæ opera, non prodigia, consectamur.

    « Dans la guerre de Sicile, Gabienus, brave marin de César, fut pris par Sextus Pompée, qui le fit égorger. Il resta tout le jour sur le rivage, le cou tenant à peine au tronc. Sur le soir, il demanda, avec des gémissements et des prières, à la multitude qui était réunie, que Pompée vînt vers lui ou lui envoyât quelqu’un de confiance, disant que les enfers l’avaient relâché, et qu’il apportait des nouvelles. Pompée y fit aller plusieurs de ses amis, auxquels Gabienus déclara que la cause de Pompée et ce parti honnête plaisaient aux dieux infernaux ; qu’en conséquence l’événement {b} serait conforme à leurs désirs ; qu’il avait reçu l’ordre d’apporter cette nouvelle, et qu’en preuve de la vérité de sa prédiction, il allait expirer aussitôt après s’être acquitté sa commission ; ce qui arriva en effet. On apporte aussi des exemples d’apparition des morts, mais nous nous occupons des œuvres de la nature, et non des miracles. » {c}


    1. V. note [5], lettre 64.

    2. L’issue du combat contre Jules César.

    3. En écrivant que Pline avait « imité » Lucain (son contemporain), Nicolas Bourbon ne voulait pas dire qu’il l’avait raconté la même histoire, mais qu’il avait puisé dans la même veine que lui pour dénoncer l’impiété de Pompée.

  6. Les Épîtres de saint Paul, vénéré comme l’Apôtre de l’Église, ont fondé la doctrine chrétienne : il est cité au début du précédent article (v. supra note [27], notule {a}), que celui-ci a complété.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 6 manuscrit, note 30.

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(Consulté le 25/04/2024)

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