< L. 334.
> À Charles Spon, le 16 décembre 1653 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À Charles Spon, le 16 décembre 1653
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Depuis le 5e de décembre que je vous envoyai une lettre de trois pages avec une Légende [2][3] de nos docteurs antimoniaux et une lettre pour M. Guillemin [4] touchant le chirurgien Lombard, [5] duquel il m’avait écrit, [1] je vous dirai que l’on dit ici que le prince de Condé [6] est fort mal à Rocroi [7] de sa double-quarte [8] et qu’il devient enflé. Ce 10e de décembre. Et pour réponse à la vôtre que je viens de recevoir, datée du 5e de décembre, je vous rends grâces très humbles pour icelle et pour tout ce qu’elle contient ; et entre autres, du beau Puits de Démocrite [9][10] que m’avez envoyé. [2] Dieu soit loué de ce qu’avez fait touchant M. Musnier ; [11] puisque le livre est envoyé, il en fera ce qu’il voudra. Sic erat in fatis [3][12] que ce livre, que m’avait donné M. Riolan [13] pour moi et que je vous avais destiné, allât encore plus loin. Fata regunt orbem, certa stant omnia lege. [4][14] M. Musnier en sera quitte pour le port. C’est que ce livre devait aller à Gênes, [15] comme tel qui sera demain pendu à la Grève [16] ne devait pas être noyé à la Chine [17] ni à l’Amérique. [18][19] Je vous remercie du beau chapitre des eaux de Spa [20] dans les Épîtres mêlées de Joseph Hall. [21] Cet auteur est un fort honnête homme, vir bonus et prudens, et scriptor emunctæ naris ; [5][22] je tiens pour vrai tout ce qu’il a dit en ce chapitre, in quo pauca quidem de multis, sed optima protulit. [6] Ce livre n’a-t-il jamais été mis en latin ? [23] Il < en > est digne tout à fait et mérite d’être lu en toutes langues. Iamdudum mihi sordent ambæ illæ Virgines Lipsianiæ, [7][24] que Dominicus Baudius, [25] en ses Épîtres, Keckermann [26] in libro de natura et proprietatibus historiæ, et M. Du Moulin, [27] dans son Accomplissement des prophéties, ont si hardiment décriées. [8] Il y en a même eu des nôtres qui s’en sont moqués. J’ai donc lu tout ce chapitre sur-le-champ, à cause de vous, mais avec profit et plaisir. Je vous prie de présenter mes très humbles baisemains à MM. Paquet [28] et Gonsebac, [29] lesquels j’honore très fort. J’apprends que M. Sorbière [30] est en Avignon, [31] prêt d’aller à Rome où il prétend faire grande fortune. C’est qu’il se souvient de ce vers renommé, et vanté par Auguste : [32][33]
Puisque la richesse de Rome est évangélique, et la pauvreté d’Orange [34] évangélique pareillement, ne fait-il pas mieux, en ce siècle superstitieux et malheureux, de préférer la richesse à la pauvreté ? Nunc plurimus auro venit honor, [10][35] il change de religion [36] et on lui baille de l’argent de retour, n’est-ce pas signe que celle qu’il quitte est meilleure que celle qu’il prend ? On lui promet sans doute quelque grosse pension, quis nisi mentis inops oblatum respuit aurum ? [11][37] c’est grande pitié que de l’homme, s’il n’est sage et à peu près content. Tantum religio potuit suadere malorum, quæ peperit sæpe scelerosa atque impia facta. [12][38] Je ne vous ai point flatté M. Sorel, [39] tout ce que je vous en ai mandé est très vrai, ce que vous reconnaîtrez aisément par la lecture de ses œuvres, si vous les avez, et entre autres par son Anti-Roman, autrement nommé le Berger extravagant, et par sa Philosophie qui est en quatre volumes in‑4o, laquelle il cherche à faire réimprimer tout autrement meilleure. On ne fait presque rien ici faute d’ouvriers ; il y a néanmoins de lui quelque chose sur la presse, mais cela va très lentement. [13] Je vous remercie du commencement en taille-douce du livre de M. Duhan. [40] Cela sera fort gentil et les trois chapitres de feu M. Cousinot [41] rendront ce livre plus recommandable. Pour l’édition de la Pharmacopée de feu M. Cousinot, si vous la jugez digne de voir le jour, vous ne sauriez manquer ; sa veuve, [42] qui est fille de M. Bouvard, [43] est ma bonne amie. [14] Il a un gendre nommé M. Du Guesclin, [44] conseiller au Grand Conseil, et un fils [45] qui est savant et riche bénéficier, avec lesquels tous j’ai une étroite amitié et qui vous donnent tous assurance de faire ce qu’il vous plaira pour l’honneur du défunt. [15] Je vous supplie d’assurer encore une fois M. Duhan que j’ai bonne envie de travailler et de coopérer à la distribution de son livre ; mais je m’étonne pourquoi il s’amuse à demander un privilège, duquel il n’a du tout que faire : quelque bon que puisse être son livre, on ne lui contrefera point à Paris quand il en aura envoyé ici quelque cent ; joint qu’il en doit distribuer bon nombre hors du royaume. L’affaire de votre chirurgien Lombard adhuc est in motu ; quo sit enim ruiturus humor nescio, suis unaquæque pars nititur rationibus, quarum ambages diriment ipsi iudices, [16] qui font du bien d’autrui large courroie quand ils veulent. [17] Je m’attends à vous pour la thèse de Zurich, [18][46][47] mais le tout, s’il vous plaît, à votre commodité. Les jansénistes [48] de deçà ne se tiennent pas vaincus, ils ont bonne espérance de remonter sur leurs bêtes. Il y a des gens à Rome qui leur donnent de quoi espérer en dépit des carabins qui sont sortis de la braguette du P. Ignace, [49] et de tout le crédit qu’ils ont acquis en ce pays de corruption par leurs petites finesses et fourberies spirituelles. [50] L’évêque d’Angers [51] est propre frère de M. Arnauld, docteur de Sorbonne, [52] grand janséniste qui a fait le livre De la fréquente Communion, [53] et qui sans doute favorise ce parti-là ; mais je n’en ai rien ouï dire davantage, hormis que j’apprends que l’archevêque de Sens, [19][54][55] les évêques de Beauvais [56] et de Comminges [20][57][58][59] ont tous trois fait publier quelque chose dans leurs diocèses (Protestations contre la bulle, etc.) [21][60] contre cette infâme et romanesque bulle quæ est vere bulla bullata. [22] Pour le livre de M. Chifflet, [61] je vous en enverrai un à la première commodité qui se présentera, il est ici sur la presse in‑8o. Cette poudre [62] n’a eu de deçà aucun crédit præter gratiam novitatis ; [23] les fous y ont couru à cause que les loyolites la vendaient bien cher. Ea tamen miratur vulgus quæ non intelligit, [24] mais l’effet en ayant manqué presque en tous les rencontres, on s’en moque ici aujourd’hui. J’avais traité [63] une fille nubile de la fièvre quarte, [64] et si heureusement que l’accès était réduit à deux heures seulement. La mère impatiente, audita fama pulveris istius Loyolitici, [25] en acheta une prise d’un loyolite 40 livres, dont elle avait grande espérance à cause du grand prix (il est vrai que ces gens-là vendent tout bien cher, et même leurs bourdes). Le premier accès post assumptum pulverem [26] fut de 17 heures, et beaucoup plus violent qu’aucun autre qu’elle eût eu auparavant. Aujourd’hui, elle a peur de la fièvre de sa fille et d’ailleurs, a grand regret de son argent. Voilà comment le monde va, qui n’est qu’un sot et qui veut être trompé ; nec tamen per me decepietur, me nemo ministro fur erit, etc. ; fere ad nuptam quæ mittit adulter ; funus promittere patris nec volo, nec possum. [27][65] Nous en avons ici quelques-uns des nôtres qui n’en parlent point si clairement que moi, mais ce sont des patelins qui flattent ces bons pères et qui choient ou qui n’osent choquer les intérêts Stygiæ Societatis. [28][66] Ce sont de faux frères et trepidi decoctores (decoquunt enim famæ suæ), volebam dicere doctores. [29] Cette poudre est fort chaude, qui ne purge [67] en aucune façon. Ils disent qu’elle est diaphorétique, [68] nugæ bullatæ ! [30] aussi bien que tout ce que l’on dit de la chair des vipères : [69] sunt figmenta medicastorum et mendacia pharmacopœorum, rei suæ studentium, [31] ils en promettent merveilles avec leurs préparations, et tout cela pour tromper le monde ; je n’en ai jamais vu aucun bon effet. Toute cette polypharmacie [70] n’est qu’un abus, les fièvres pourprées [71] se doivent guérir par méthode aussi bien que les autres maladies, extra illum methodum nulla est salus. [32] Je ne vous puis rien dire de l’opinion de Zwelferus [72] in Pharmacopœiam Augustanam, [33][73] je l’ai prêtée [74] à M. Riolan il y a plus d’un mois, il y a trouvé quelque chose là-dedans contre l’antimoine. Peu des nôtres se servent de cette chair de vipères, encore sont-ce des suppôts des pharmacopoles, et tout cela afin de gagner ; mais les gens de bien s’en moquent. Néanmoins, je pense que pour la garder (à telles fins que de raison), l’esprit-de-sel y est fort bon, [75] ou même l’infusion en eau-de-vie, [76] et la sécher à l’ombre ; mais il faut avoir de vraies et légitimes vipères, sans se servir de couleuvres comme plusieurs font, joint que les vraies vipères sont rares et chères. [34] On dit ici que le prince de Condé se porte mieux ; que le roi [77] s’en va lui faire faire son procès ; [35] que le prince de Conti [78] viendra bientôt et qu’il y a espérance qu’il épousera une des nièces du cardinal Mazarin ; [36][79][80][81] que M. de Nemours [82] s’en va épouser Mlle de Longueville, [37][83] et que son archevêché de Reims sera donné à M. Molé, [84] garde des sceaux, quæ tamen singula nondum omnio constant. [38] Un de mes amis m’a depuis peu apporté un beau volume in‑4o de la ville de Leyde, [85] intitulé Ioannis Antonidæ Vander Linden, Doctoris et Profess. Medicinæ practicæ ordinarii in Acad. Lugduno-Batava, Medicina Physiologica, nova curataque Methodo, ex optimis quibusque Auctoribus contracta, et propriis Observationibus locupletata. Amstellodami, apud Io. a Ravestein, 1653. [39][86][87] Le livre est fort bien et lestement relié. C’est un présent que l’auteur m’envoie par cet ami qui lui a maintes fois parlé de moi ; quand je pourrai trouver occasion de lui envoyer quelque présent de deçà, je tâcherai de m’en acquitter. Il y a en tout le livre 884 pages, nullus in toto libro est Index, neque capitum, neque alphabeticus, [40] ce qui est fort incommode. Tous les anatomistes y sont souvent cités, et entre autres nos bons amis Hofmannus, [88] Riolan et Bartholin, [89] et ce très souvent. Je l’envoyai aussitôt à M. Riolan, qui me l’a rendu au bout de deux jours et m’a dit que ce livre devait être intitulé Medicina philologica, [41] et que tout ce livre n’était que de la crème fouettée ; [42] que cet auteur est un homme docte, mais que c’était écrire de anatomicis, non anatomicus ; [43] qu’il n’avait rien appris en tout ce gros volume. Les Institutions de feu M. Hofmann y sont souvent citées. [44] M. Riolan fait un centon de plus de 200 auteurs qui ont écrit de venenata stibii natura [45] et qui ont déposé quelque chose contre sa malignité. Cette drogue est fort décriée de deçà, il n’y a plus que ceux qui se peuvent résoudre à voir la mort de ceux de qui ils espèrent hériter qui en permettent l’usage ; si bien que ce remède semblera à la fin être institué et établi in gratiam heredipetarum, [46] des enfants qui ont hâte de succéder à leurs parents, etc. On a ici chanté un Te Deum, [90] fort solennel dans Notre-Dame [91] en présence du roi, de la reine, [92] du Mazarin et des cours souveraines [93] pour la reprise de Sainte-Menehould [94] et l’extinction de la guerre civile. Maintenant on ne parle plus que de nouveaux impôts [95] pour avoir de l’argent, et entre autres d’un parlement à Poitiers. [96] France, misérable France, jusqu’à quand seras-tu misérable ! Je vous baise cent fois les mains et suis de toute mon âme, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur, Guy Patin. De Paris, ce 16e de décembre 1653. | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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