Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 5 manuscrit, note 38.
Note [38]

« Voyez ce jugement vers la fin de ses livres de la Doctrine civile, dans les notes sur le premier livre des Politiques. »

La longue note de Juste Lipse sur le chapitre ix, De Memoria rerum [Le Souvenir des faits], livre i de ses Politicorum [Politiques] {a} contient une critique des principaux historiens antiques, suivie de ces considérations sur trois modernes : {b}

Sunt et ævi nostri Historici duo, quos tangam. Franciscus Guicciardinus, prudens peritusque scriptor, et qui tales lectores suos facit, liber est et verax ; ab affectibus immunis ; si tamen ab odio, quod retegere mihi non semel videtur in Ducem Urbinatem. Sententias bonas utilesque inserit, sed parum astrictas. Vitia duo propria huius ævi non effugit, quod et iusto longior est, et quod minutissima quæque narrat, parum ex lege aut dignitate Historiæ : quæ, ut Ammianus ait, discurrere per negotiorum celsitudines assueta, non humilium minutias indagare caussarum. Sed nec orationes eius satis vegetæ mihi, aut castigatæ : languent sæpe, aut solute vagantur. Denique, uno verbo, inter nostros, summus est Historicus : inter veteres, mediocris.

Paulus Jovius multorum iudicia magis acerba, quam libera experitur. Acriter valde in virum eunt. Ego de eo sic censeo. Stilo bonum gravemque esse, et plane ad historiam : iudicio ac fide, ambiguum. Ubi affectus non distrahunt, rectum ; ubi illi adsunt, obnoxium. Ad gratiam scilicet se dat et auram. Laudationum nec causam sæpe habet, nec modum. Genti suæ, Vastio, Medicæis, nimis ex professo addictus ; his quidem ita, ut Laurentium Medicem parricidii reum velut apud iudices agat. Orationibus quoque aut frigidus interdum, aut ineptus. Laudandus tamen legendusque ob multiplicem et variam rerum seriem, quas redegit composite et dilucide in unum Historiæ corpus. Imo nec in Persicis aut Turcicis tam vanus, quam videri volunt : et fidem ei in plerisque adstuunt Turcici Annales, qui nuper prodierunt.

De Petro Bembo aliquid addam ? Illustri dignitate et fama vir fuit : quam tamen Historia sua Veneta apud me non auxit. Iacet in narrationibus, vel friget : in verbis affectatiunculas habet materie aut viro serio parum dignas. Nulla vox nisi ex Tulliano aut Iuliano penu : et quæ sic dici non possunt (quippe nova, vel iis ignota) miro verborum ambitu comprehendit. Ipsa etiam tota scriptio et formulæ sic compositæ, quasi hæc omnia Romæ gesta, et republica illa stante. Sunt in quibus rideam ; sunt in quibus indigner. Et cum tam curiose a verbis sibi caverit, reperio alibi, quæ, non dicam Tulliana non sint, sed vix Latina.

[Je dirai un mot sur deux historiens de notre temps. François Guichardin, {c} écrivain prudent et connaisseur, et qui rend ses lecteurs tels, est libre et authentique, dénué de passions, sinon qu’il m’a plus d’une fois paru ne pas cacher sa haine envers le duc d’Urbino. {d} Il insère de bons et utiles jugements, mais ils sont pauvrement justifiés. Il n’échappe pas à deux défauts propres à notre temps : il est plus long qu’il ne convient, et il se perd dans les moindres détails, ce qui s’accorde mal avec les règles et la dignité de l’histoire ; laquelle, comme dit Ammien, {e} a coutume de considérer les affaires de haut, et non de ramasser les miettes de leurs humbles causes. À mes yeux, son discours n’est ni assez vif, ni assez châtié : souvent il se traîne, ou erre sans bride. Pour finir et un mot, parmi les modernes, c’est un éminent historien, mais il est médiocre si on le compare aux anciens.

Paul Jove {f} s’essaie à juger quantité de choses avec bien plus d’âpreté que d’indépendance, il s’attaque très vivement aux hommes. Voici ce que je pense de lui : son style est bon et grave, conforme à ce que doit être l’histoire, mais ses avis et sa fidélité sont ambigus ; il est juste quand ses sentiments ne l’égarent pas, mais fâcheux quand il les exprime, car alors, il se laisse aller à la complaisance et à l’adulation, et ses louanges n’ont ni raison ni mesure. Il est trop visiblement soumis à ceux de sa patrie, à Vasto, {g} aux Médicis ; quant à ceux-là, il va jusqu’à plaider, comme s’il était devant un tribunal, l’innocence de Laurent de Médicis accusé de parricide. {h} Son discours est aussi parfois fade ou maladroit. Néanmoins, il faut le louer et le lire pour la richesse et la diversité de sa narration, qu’il a ramassée avec méthode et clarté en un seul corps historique ; et il ne s’égare pas en disant des Turcs et des Persans qu’ils veulent avant tout paraître, en quoi les annales turques, tout récemment publiées, lui donnent généralement raison. {i}

Ajouterai-je quelque chose sur Pietro Bembo ? {j} Bien qu’il ait été un personnage de haut rang et de grand renom, son Histoire de Venise ne m’a rien apporté : ses narrations sont viles ou ennuyeuses ; son vocabulaire est plein d’afféteries peu dignes d’un homme sérieux et de la matière qu’il traite. Il n’emploie aucun mot qui ne soit tiré du lexique de Cicéron ou de Jules César, et il assemble en un surprenant fatras ceux qu’on ne peut pas tenir pour tels (car nouveaux et inconnus de ces deux auteurs). Toute sa manière d’écrire et les élégances qu’il en façonne donnent l’impression que tout se passe à Rome, et que la République y est encore debout. Tantôt il me fait rire, tantôt il m’indigne ; et tandis qu’il prend tant de soin à choisir ses mots j’en trouve, ici et là, certains qui, sans parler de n’être pas cicéroniens, peuvent difficilement être tenus pour latins].


  1. V. note [22], lettre 177, ici appelées de la Doctrine civile.

  2. Édition d’Amsterdam, 1632, 2e partie, pages 25‑26.

  3. V. note [14], lettre 816.

  4. V. note [40] du Naudæana 3.

  5. V. note [33] du Borboniana 3 manuscrit.

  6. V. note [2], lettre 533.

  7. Alfonso d’Avalos, marquis de Vasto (1502-1546), condottiere hispano-italien, natif d’Ischia.

  8. Allusion aux multiples et sanglants différends qui opposèrent Laurent de Médicis, dit le Magnifique (1449-1492), à la papauté.

  9. Une note marginale renvoie aux :

    Historiæ Musulmanæ Turcorum, de monumentis ipsorum excsriptæ, libri xviii. Opus Jo. Leunclavii Amelburni, lectu dignissimum : quod gentis originem, progressus, familias et principatus diversos, res Osmaneas a Suleimane Schacho, ad Suleimanem ii memoria nostra, cum aliis maxime raris, et hactenus ignotis, continet…

    [Dix-huit livres d’Histoire musulmane des Turcs, tirés de leurs propres écrits. Ouvrage de Johannes Leunclavius {i} parfaitement digne d’être lu, contenant l’origine et l’expansion de leur peuple, leurs dynasties et diverses principautés, les affaires ottomanes de notre temps depuis Soliman le Magnifique {ii} jusqu’à Sélim ii, {iii} avec d’autres faits fort remarquables et jusqu’ici inédits…]. {iv}

    1. Johann Löwenklau, historien allemand, 1541-1594.

    2. Régnant de 1520 à 1556.

    3. Régnant de 1566 à 1574.

    4. Francfort, héritiers d’Andreas Wechelus, 1591, in‑fo de 898 colonnes.
    5. Comme historien, le cardinal Pietro Bembo (v. remarque 1, note [97] du Naudæana 1) a surtout publié les Rerum Venetarum Historiæ Libri xii [Douze livres de l’Histoire de Venise] (Paris, Michael Vascosanus, 1551, in‑8o).

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    Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
    Borboniana 5 manuscrit, note 38.

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    (Consulté le 26/04/2024)

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