À André Falconet, le 18 août 1665, note 4.
Note [4]

Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou, livre cxx, règne de Henri iv, année 1598 (Thou fr, volume 12, pages 225‑228) :

« Philippe [ii] roi d’Espagne mourut au mois de septembre, {a} mois où Charles Quint son père était aussi mort. {b} […] Étant à Madrid au mois de juin précédent, il n’avait pu assister aux spectacles et aux jeux qui s’y font avec un grand concours de peuple la veille de la fête de Saint-Jean-Baptiste : les douleurs de la goutte, qui le tourmentait, devenaient plus violentes et il se sentait affaiblir peu à peu. […] il voulut être transféré malgré l’avis de ses médecins à Saint-Laurent de l’Escurial {c} parce que, disait-il, il faudrait l’y porter après sa mort et qu’il aimait mieux y être transféré vivant. Saint-Laurent de l’Escurial est à six lieues de Madrid. Des hommes l’y portèrent dans son lit en huit jours de temps. Il parut d’abord en meilleure santé, quoiqu’il ne pût marcher ; mais les douleurs de la goutte ayant augmenté et une fièvre double tierce étant survenue, il voulut se confesser le 22e de juillet, jour de la fête de sainte Madeleine, et reçut le saint viatique. {d} […] Il vint à Philippe dans le genou droit un abcès qui lui causa un ulcère si douloureux qu’il lui ôtait entièrement le repos. On ouvrit l’abcès par l’avis du médecin Olias de Tolède et l’écoulement du pus diminua un peu la douleur ; mais il parut aussitôt quatre autres abcès au-dessus de la poitrine. Comme la première opération avait été heureuse, on les ouvrit aussi. L’humeur de ces abcès se répandant sur tout le corps engendra une si grande quantité de poux qu’on ne pouvait presque lui ôter ses chemises et que, pendant que quatre hommes le tenaient suspendu dans un drap, autant que sa faiblesse le permettait, deux autres suffisaient à peine pour le nettoyer tour à tour. Après la fièvre double tierce, survint une fièvre étique {e} qui ne le quitta plus. Il lui vint des ulcères aux pieds et aux mains ; il eut la dysenterie, des épreintes et enfin, une hydropisie déclarée accompagnée d’une quantité prodigieuse de poux qui fourmillaient sur tout son corps. […] Il prit quatre jours avant sa mort des mains de Ferdinand de Tolède un crucifix sur lequel il dit qu’il voulait expirer, comme son père était mort quarante ans auparavant, en le tenant en ses bras. Il se fit aussi apporter un fouet encore sanglant, dont il assurait que Charles Quint avait autrefois fait usage. Il ordonna de couvrir son corps dès qu’il serait ouvert et de ne l’ouvrir qu’en présence de Christophe de Mora. Ayant encore prié son fils d’avoir soin de cet officier, il donna à ses enfants sa bénédiction ; et les ayant renvoyés, il perdit la parole. On lui donna de la confection d’hyacinthe pour ranimer les esprits et la chaleur naturelle, mais ce remède inutile ne prolongea sa vie et ses douleurs que de deux jours. Il mourut le dimanche 13e de septembre, âgé de 72 ans, après un règne de 40. »


  1. 1598.

  2. En 1558.

  3. V. note [8], lettre 1003.

  4. V. note [15], lettre 251.

  5. V. note [8], lettre 98.

Dans son Histoire de France… (Paris, 1605, v. note [10] du Patiniana I‑1), Pierre Matthieu a corroboré les étonnantes circonstances médicales (aujourd’hui inexplicables) de la mort de Philippe ii (livre premier, quatrième narration, chapitre xv, tome i, fo 64 ro‑vo) :

« Douze ou quinze ans avant sa mort, il ne but point de vin, ne mangeait qu’à certaines heures de certaines viandes et à certain poids. La chaleur naturelle défaillant en lui pour digérer l’humeur de sa goutte, on lui ouvrit la jambe plusieurs fois avec d’extrêmes douleurs. Quelques jours avant sa mort, on lui coupa un doigt de la main pour couper chemin à la gangrène. C’étaient les intérêts de la longue demeure, {a} la nature ne lui voulant pas donner pour rien une longue vieillesse. La mort ne le voulut point prendre que premièrement elle ne lui eût fait sentir que les princes les plus grands de la terre trouvent des issues de la vie aussi misérables et honteuses que les plus pauvres du monde. Elle l’assaillit par une sale phtiriase, et une armée innombrable de poux, en laquelle il était lui-même le champ du combat, le combattant et le combattu. » {b}


  1. Demeure : « en termes de Palais, se dit des retardements du temps qui court au delà du terme où on est obligé de payer, ou de faire quelque chose. Les intérêts d’une somme mobilière ne sont dus qu’à cause de la demeure, sont adjugés du jour du commandement fait de payer, qu’on est en demeure » (Furetière).

  2. De Thou et Matthieu n’ont rien dit sur ce que trouva l’autopsie de Philippe ii.

    Consulté sur ce curieux cas clinique, le Pr Olivier Chosidow (Université Paris-Est Créteil), dermatologue à l’hôpital Henri-Mondor (Assistance publique-hôpitaux de Paris) et éminent spécialiste des ectoparasitoses cutanées, n’a pas su y trouver une interprétation moderne et rationnelle. Néanmoins, tout cela rappelle la mort de Sylla (v. note [14] du Borboniana 4 manuscrit) décrite par Plutarque dans ses Vies des hommes illustres (Sylla, chapitre xxxvi, traduction d’Alexis Pierron, 1844) :

    « Cette vie de débauche nourrit en lui une maladie qui n’avait eu que de légers commencements. Il fut longtemps à s’apercevoir qu’il s’était formé dans ses entrailles un abcès qui, ayant insensiblement pourri ses chairs, y engendra une si prodigieuse quantité de poux que plusieurs personnes, occupées nuit et jour à les lui ôter, ne pouvaient en épuiser la source, et que ce qu’on en ôtait n’était rien en comparaison de ce qui s’en reproduisait sans cesse : ses vêtements, ses bains, les linges dont on l’essuyait, sa table même, étaient comme inondés de ce flux intarissable de vermine, tant elle sortait avec abondance ! Il avait beau se jeter plusieurs fois le jour dans le bain, se laver, se nettoyer le corps, toutes ces précautions ne servaient de rien ; ses chairs se changeaient si promptement en pourriture que tous les moyens dont on usait pour y remédier étaient inutiles, et que la quantité inconcevable de ces insectes résistait à tous les bains. On dit que, parmi les Anciens, Acastus, fils de Pélias, et, dans des temps plus modernes, le poète Alcman, Phérécyde le théologien, Callisthène d’Olynthe pendant qu’il était en prison, et Mutius, le jurisconsulte, moururent de la même maladie ; et, s’il faut en citer d’autres qui, sans avoir rien fait de remarquable, ne laissent pas d’être connus, j’ajouterai Eunus, cet esclave fugitif qui suscita le premier la guerre des esclaves en Sicile, et qui, conduit prisonnier à Rome, y mourut de la maladie pédiculaire. »

    Un point commun notable entre ces deux prétendues victimes des poux est la puissante haine dont ils furent les cibles posthumes, avec la ferme volonté de rendre leur mémoire à jamais ignominieuse : jalousie de Jules César contre Sylla, son encombrant prédécesseur qui pouvait porter ombrage à sa propre gloire ; exécration des protestants de l’Europe entière contre le roi très-catholique qui avait tout fait pour les exterminer. La réalité et la cause de ces deux pédiculoses mortelles ont sans doute été plus politiques que médicales.

    V. note [41] du Naudæana 2, pour un lien possible entre les poux et la goutte dont souffrait Philippe ii.

Dominicus Baudius (v. note [30], lettre 195) a évoqué ce curieux trépas dans quelques vers de son poème intitulé In obitum Philippi ii Hispaniarum Regis [Sur la mort de Philippe ii, roi des Espagnes] (pages 493‑498 de la nouvelle édition des Poemata [Poèmes], Leyde, 1607, v. note [36] du Patiniana I‑3) :

                    Qui tot innocentibus
Vitam eripi præcepit, aut lentus tulit :
Vitam per omnes ipse mortium gradus
Exspirat ægram, rosus a spurca lue
Pediculorum. Maximus regnantium
Sub verme fœdo vivus ac videns perit
.

[Lui qui a commandé d’arracher la vie à tant d’innocents, ou qui la leur a lentement ôtée, le voila qui quitte lui-même une vie malsaine en gravissant une à une toutes les marches de la mort, rongé par l’immonde maladie des poux. Soumis à l’ignoble vermine, le plus grand des souverains se voit périr tout vif].

V. note [49] du Borboniana 3 manuscrit pour la réplique de Baudius à ceux qui lui ont reproché la cruauté et la crudité de ces vers.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 18 août 1665, note 4.

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(Consulté le 05/12/2024)

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