L. 153.  >
À Charles Spon,
le 24 mars 1648

Monsieur, [a][1]

Pour réponse à la vôtre que je viens de recevoir, je vous remercie de la joie qu’avez de ma convalescence ; ce ne sera que pour vous servir quand j’en aurai le moyen. Vous usez donc de manne [2] avec du séné ; [3] je pense que le sirop de roses pâles [4] vous vaudrait mieux, minus calet et tutius purgat[1][5] Le mal que vous me dépeignez de votre aîné [6] me fait peur. La vérole [7] et la rougeole [8] sont les pestes du poumon ; utinam tandem convalescat[2] Le lait d’ânesse [9] ne lui servira guère si vous ne lui faites garder un grand et exact régime de vivre, [10] et si vous ne le purgez [11] de six en six jours, à cause de l’ordure que fait le lait. [3] Dieu vous conserve les vôtres, et à moi les miens. J’aime bien les enfants, j’en ai six et il me semble que je n’en ai point encore assez. [12] Je suis bien aise qu’ayez une petite fille. Nous n’en avons qu’une, laquelle est si gentille et si agréable [13] que nous l’aimons presque autant que nos cinq garçons. [4] Je suis très humble serviteur à M. Gras, [14] je vous prie de lui témoigner, et ai bien regret de ne l’avoir vu avant son départ pour lui donner les dernières assurances et la confirmation du service que je lui ai voué. Il recevra par mon premier paquet un Encheiridium anat. et pathol. de M. Riolan, [15] qui n’est qu’un petit présent au prix de ce que je voudrais lui donner. M. Constantin [16] ne m’est point venu revoir depuis. [5] Il me souvient seulement qu’il me parla des médecins et professeurs qui sont aujourd’hui à Montpellier [17] avec beaucoup de mépris. Je vous promets que j’enverrai par le premier coche qui partira pour Lyon le paquet de M. Huguetan, [18] pourvu néanmoins que j’y puisse mettre quelque petite chose. Pour le portrait d’Alstedius, [19] je ne l’ai jamais vu, combien que j’en aie céans grande quantité ; je m’en enquerrai et vous l’enverrai aussitôt si je le puis recouvrer. [6] M. Meturas [20] n’aime point à faire de changes avec ses compagnons, [21] c’est pourquoi il a moins de débit ; tout est ici bien froid à la rue Saint-Jacques. [7][22] On m’a dit que ce que M. Gassendi [23] fait imprimer à Lyon est si gros qu’il en faudra faire deux volumes. On réimprime ici in‑8o le livre de la Perfection du Chrétien attribué au Cardinal de Richelieu, [24] comme s’il était raison que les fourbes et les tyrans fissent des livres aussi bien que les sages, les fous et les ignorants. [8] Je n’ai ni ouï parler, ni vu ici le deuxième et le troisième factum de M. le maréchal de La Mothe ; [25] je vous prie de me les acheter et me les envoyer à la première commodité. [9] La thèse [26] de M. Guillemeau [27] en trois placards est achevée, on la fait en livre in‑4o de Saint-Augustin. [10] Elle sera faite cette semaine et puis après, je penserai à faire partir tout ce que je vous destine. J’ai écrit à M. Hofmann [28] vendredi dernier qu’il m’envoie Χρηστομ. παθολ. [11] avec promesse de lui donner du mien propre puisque nous sommes en état de ne rien tirer des libraires. Je lui enverrai un Botal, [12][29] le bonhomme ne connaît pas grand’chose à la saignée. [30] Pour le grand Simon Piètre [31] qui mourut l’an 1618, il était frère de Nic. Piètre, [32] notre ancien [33] aujourd’hui, et était le fils aîné de M. Simon Piètre [34] qui mourut l’an 1584. Il n’a rien écrit que des annotations françaises sur les Opérations de chirurgie de notre Gourmelen [35] et d’autres annotations françaises sur la Chirurgie de Paul Éginète [36] traduite en français par Daléchamps, [37] de l’impression de Paris, qui est in‑4o[13] C’est lui qui a donné les six conseils de son père. [14] Il était professeur du roi et faisait de fort bonnes leçons à Cambrai[15][38][39] Les honnêtes gens qui l’ont autrefois connu adorent aujourd’hui sa mémoire. Je n’ai rien vu écrit du thé [40] præter Iac. Bontium[16][41] on s’en moqua ici. Je ne sais si l’Histoire du Brésil [42][43] en parle, je ne l’ai point. [17] Ni Bontius, ni Renodæus, [44] ni Vésale [45] de decocto rad. Chinæ[18] n’avaient point vu ni consulté Ptolémée, [46] Scaliger [47] ni Cluverius [48] pour apprendre qu’il faut dire Sinæ et Sinenses ; adde quod error communis non facit ius[19] Vos deux traducteurs de la Chirurgie d’Aquapendente, [20][49] qui ont si mal réussi, me font souvenir que tous les traducteurs font de même ; au moins puis-je assurer qu’il n’y a livre traduit de ma connaissance, et que j’aie jamais vu, dans lequel il n’y ait la même chose, c’est-à-dire beaucoup de bévues et trop de fautes. [50] Je m’étonne comment M. de Serres [51] a du loisir dans Lyon de s’amuser à traduire. [21] Pour les médecins de la campagne, je ne m’en étonne point, je sais bien qu’il y en a bien de repos faute d’avoir la réputation de bien savoir la pratique ou pour y avoir mal réussi. La même chose se voit à Paris tous les jours, combien que les jeunes médecins y puissent être mieux éclairés par la fréquentation qu’ils peuvent y avoir avec les anciens. Le roi [52] et la reine [53] partirent hier pour aller à Chartres, [54] religiosi voti nomine[22] Ils seront ici de retour vendredi au soir et n’y séjourneront que le mercredi, jour de la fête. M. le Prince [55] et M. de Longueville, [56] deux beaux-frères, sont allés à Coulommiers en Brie, [57] ville qui appartient au dernier des deux, pour s’y ébattre. [23] On dit que M. de Modène [58] a eu la tête tranchée à Naples [59] pour la trahison qu’il voulait faire à M. de Guise, [60] son maître et bienfaiteur. [24] La grande Anatomie de M. Riolan [61] commence à rouler, il en est au troisième livre qui est du cœur et du poumon. [25] On en fait tous les jours une feuille seulement à cause qu’il prépare toujours sa copie de plus en plus, qui est la raison pour laquelle cet ouvrage ne saurait pas aller plus vite, jusqu’à ce qu’il ait tout revu.

Les prisonniers du grand Châtelet, [62] massacreurs et voleurs, ont été condamnés, il n’y a que deux heures, à être rompus [63] tout vifs, et la femme Campi [64] à être pendue. [26][65] Ils en appellent au Parlement où ils seront transférés aujourd’hui. Il y a grande apparence que jeudi ou vendredi sans faute ils seront exécutés. Dii meliora ! [27] Je vous baise les mains de toute mon affection et suis de toutes les facultés de mon âme, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Patin.

De Paris, ce mardi 24e de mars 1648, à trois heures après-midi.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 24 mars 1648

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(Consulté le 12/10/2024)

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