L. 111.  >
À Claude II Belin,
le 20 septembre 1644

Monsieur, [a][1]

Je vous donne assurance que monsieur votre fils [2] fait une bonne partie de ce qu’il peut pour vous contenter, et moi aussi, en ce que nous pouvons souhaiter de lui. Je l’ai exhorté à continuer sérieusement, comme je crois qu’il fera. Dieu lui en fasse la grâce. Je vous envoie les parties de l’apothicaire de M. Bareton [3] avec un petit mot qu’il m’a délivré, je vous prie d’en faire ce que jugerez à propos afin de sortir de cette affaire ; le tout néanmoins, sans vous en donner beaucoup de peine et en gardant la bienséance vers eux puisque vous êtes leur médecin. Il y a apparence que ces gens-là n’ont guère d’honneur, d’avoir si peu de soin de ne pas payer une dette de cette nature. Le roi [4] et la reine [5] sont à Fontainebleau [6] avec toute la cour. La reine d’Angleterre [7] est aux bains de Bourbon [8] avec deux des nôtres, savoir MM. Chartier, [9] et de Poix ; [10] et Mlle de Longueville [1][11] y est allée aussi depuis huit jours avec M. Brayer. [2][12] Les affaires du roi d’Angleterre [13][14] sont en très mauvais état contre le Parlement [15] de son royaume. Le prince d’Orange [16] a pris le Sas de Gand, [3][17] et le duc d’Enghien [18] a pris Philippsbourg. [4][19] Tarragone [20] n’est pas encore prise, [5] ni le pape fait, les cardinaux se battent rudement pour faire valoir leur parti. [21] M. de Saumaise [22] va quitter la Hollande, et s’en vient demeurer à Paris moyennant 6 000 livres de pension annuelle à prendre sur l’élection. [6] Il a depuis peu fait imprimer un livret de Coma à Leyde, [7][23] on nous en promet dans peu de jours, aussi bien que plusieurs autres qui sont en chemin. M. Arnauld [24] continue de triompher malgré tous les efforts de la noire et forte machine qui étend ses bras jusqu’à la Chine[8][25][26][27] Je vous baise les mains et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Patin

De Paris, ce 24e de septembre 1644.


a.

Ms BnF no 9358, fo 90 ; Triaire no cxiv (pages 420‑421) ; Reveillé-Parise, no lxxvi (tome i, pages 118‑119).

1.

Mlle de Longueville, Marie d’Orléans (1625-1707), était la fille du duc de Longueville et de sa première épouse Louise de Bourbon-Soissons (morte en 1637, v. note [6], lettre 35). En 1641, quand le duc de Longueville s’était remarié avec Anne-Geneviève de Bourbon-Condé, sœur du duc d’Enghien (le Grand Condé) et du prince de Conti, la belle-mère et la belle-fille n’avaient que six ans de différence d’âge ; la mésentente régna toujours entre elles. V. note [4], lettre 277, pour d’autres renseignements sur Mlle de Longueville.

2.

Nicolas Brayer (Château-Thierry 1606-6 octobre 1678) avait été reçu premier de sa licence. Comme tel, il avait disputé le 11 juillet 1628 sur la question An ictericus aspectu avis icteri curetur et intermoriatur avis, et qua ratione id fiat ? [La vue d’un loriot (avis icterus, oiseau jaune) guérit-elle le malade ictérique (qui a la jaunisse) et l’oiseau en meurt-il alors, et en raison de quoi cela se fait-il ?].

Le mois suivant, il avait été reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, après son père et son frère aîné tous deux prénommés Gaspard (v. note [9], lettre 126).

M. Andry (Encyclopédie méthodique, 1790, tome premier, pages 162‑163) :

« Brayer devint le premier médecin de son temps. Singulièrement attaché à la Faculté, il assistait régulièrement à tous les actes de l’École ; plein d’estime pour ses confrères, il aimait à les appeler et à les consulter chez ses malades. Appelé lui-même en consultation, ses conseils, toujours utiles à celui qui les réclamait, n’avaient jamais rien d’offensant pour le médecin ordinaire. On jugera facilement de la confiance qu’il avait inspirée en apprenant que l’exercice de son état lui valait 80 000 livres par an ; mais si cette fortune est la preuve de ses talents, l’usage qu’il en fit établit encore mieux l’éloge de ses vertus : outre les aumônes qu’il distribuait aux pauvres de sa paroisse, qui montaient à la somme de 12 000 livres tous les ans, sa profession le mettait à portée de soulager les indigents de sa bourse et de ses conseils. “ Il faut, disait-il, recevoir un écu d’or du riche pour le donner dans l’occasion à celui qui en a besoin ”. Il vieillit dans l’exercice de son art avec les mêmes succès, aimé de ses confrères et chéri de ses malades : quoique possesseur d’une fortune considérable, il fut béni du peuple ; quoique partisan de l’antimoine, il fut estimé de Guy Patin. Il préféra sa liberté à la place de premier médecin du roi et mourut universellement regretté le 6 octobre 1678, à l’âge de 72 ans, d’une maladie dont il avait prévu et prédit l’issue. »

Tallemant des Réaux a accordé une mention à Nicolas Brayer dans l’historiette qu’il a consacrée à Jean ii de Champrond (v. note [28], lettre 391).

3.

Ville natale de Charles Quint, Gand (Belgique, Gent en néerlandais), sur l’Escaut, à une quarantaine de kilomètres en amont d’Anvers, était alors la capitale de la Flandre espagnole (v. note [29], lettre 7). Le Sas (écluse) de Gand était une de ses portes, bâtie par les Espagnols en 1570. Le prince d’Orange, Frédéric Henri de Nassau (v. note [8], lettre 66), venait de s’en emparer.

4.

Philippsbourg (Philippsburg) est une ville du Bade-Wurtemberg, située sur un bras du Rhin, entre Mannheim et Karlsruhe. Elle était nommée Udenheim avant que Philippe-Christophe de Sotteren, évêque de Spire (v. note [4] du Naudæana 3) qui y avait son palais, la fortifiât (1618-1623) pendant la guerre de Trente Ans et lui donnât son nom (Philippo-Burgum). Philippsbourg faisait alors partie du grand-duché de Bade et avait une très haute importance stratégique car elle était la seule place forte sur la rive droite du Rhin entre Brisach et Hermanstein (aujourd’hui Ehrenbreitstein). Sa prise par Turenne et le duc d’Enghien, le 9 septembre, fut donc considérée comme un très grand succès militaire, et causa une vive joie à la cour (Triaire).

5.

Après son grave échec devant Lérida, dont il avait été obligé d’abandonner le blocus (v. note [10], lettre 107), le maréchal de la Mothe-Houdancourt (v. note [10], lettre 115), afin de rétablir sa réputation militaire, était allé assiéger Tarragone (9 août 1644). Il éprouva un nouvel échec et se crut forcé de lever le siège à l’approche d’une armée espagnole de secours (Triaire).

6.

L’élection était le « tribunal où les élus [v. note [50], lettre 152] rendent leur justice, où on juge les différends sur les tailles et impôts en première instance » (Furetière). Il faut ici comprendre que l’élection de Paris était chargée de régler la pension promise à Claude i Saumaise pour le convaincre de revenir exercer ses talents en France.

7.

Cl. Salmasii Epistola ad Andream Colvium super cap. xi primæ ad Corinth. epist. de cæsarie virorum et mulierum coma [Lettre de Claude i Saumaise à André Colvius (érudit hollandais, 1594-1671) sur le chapitre xi de la première épître aux Corinthiens au sujet de la chevelure des hommes et la coiffure des femmes] (Leyde, Elsevier, 1644, in‑8o).

Ce passage de saint Paul y était en discussion :

« Je veux cependant que vous le sachiez : le chef de tout homme, c’est le Christ ; le chef de la femme, c’est l’homme ; et le chef du Christ, c’est Dieu. Tout homme qui prie ou prophétise le chef couvert fait affront à son chef. Toute femme qui prie ou prophétise le chef découvert fait affront à son chef ; c’est exactement comme si elle était tondue. Si donc une femme ne met pas de voile, alors qu’elle se coupe les cheveux ! Mais si c’est une honte pour une femme d’avoir les cheveux coupés ou tondus, qu’elle mette un voile. […] Jugez-en par vous-même. Est-il décent que la femme prie Dieu la tête découverte ? La Nature elle-même ne vous enseigne-t-elle pas que c’est une honte pour l’homme de porter les cheveux longs, tandis que c’est une gloire pour la femme de les porter ainsi ? Car la chevelure lui a été donnée en guise de voile. »

8.

V. notes [46], lettre 99, pour ce sobriquet fielleux que Théophile de Viau a créé pour désigner les jésuites et [47], lettre 101, pour De la fréquente Communion d’Antoine ii Arnauld, qui triomphait alors.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 20 septembre 1644

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(Consulté le 26/04/2024)

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