L. 904.  >
À André Falconet,
le 12 mars 1667

Monsieur, [a][1]

Le roi [2] a donné l’évêché de Nantes à M. l’abbé de La Vallière, [3] oncle de la dame [4] qui est en crédit. [1][5] On parle aussi de la mort de l’évêque de Condom, [2][6][7] et l’on dit que le roi s’en ira en Champagne vers la fin du mois pour y faire une grande revue devers Châlons [8] et que delà, il s’en ira en Bretagne voir son armée navale. [3] Il y a ici bien des marchands malcontents, tant à cause du commerce interrompu par la guerre étrangère et la pauvreté publique que par les banqueroutes arrivées, et qui peuvent arriver le mois prochain. Mon fils Carolus [9] vous salue, il me vient de dire qu’il a reçu une lettre de Pologne par laquelle on lui mande que les Cosaques [10] ont enlevé en un coin de la Pologne plus de 30 000 âmes qu’ils ont envoyées vendre à Constantinople. [11] M. de Vardes [12] est remis en liberté. [4] Le roi viendra au Parlement sur la fin du mois avec sa déclaration pour la réformation de la chicane, en dépit des procureurs et des greffiers[13]

M. Chicot, [14] ci-devant médecin du roi et qui a traité Louis xiii [15] l’an 1642 avec MM. Bouvard [16] et Barralis [17] au voyage de Perpignan, [18] qui demeure à Senlis [19] et fort vieux, fait imprimer son livre d’opuscules de médecine en latin, que je vous enverrai quand il sera achevé. [5] Il est là-dedans de l’opinion commune que l’antimoine [20] peut être bon, pourvu qu’il soit bien préparé et bien donné ; transeat maior[6] mais il n’ôte pas la difficulté et n’enseigne pas cette préparation innocente ni les précautions pour le bien donner. Je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 12e de mars 1667.


a.

Bulderen, no ccccxliii (tome iii, pages 228‑229) ; Reveillé-Parise, no dccxlii (tome iii, pages 641‑642).

1.

L’évêque de Nantes, Gabriel de Beauveau de Rivarennes, avait abdiqué en 1666 et mourut en 1667. Son successeur était Gilles de La Baume Le Blanc de La Vallière (né en 1616), frère cadet de Laurent, le défunt père de Mlle de La Vallière (v. note [12], lettre 735), maîtresse de Louis xiv, qui commençait à souffrir la concurrence de Mme de Montespan. J’ai corrigé les précédentes éditions qui qualifient l’évêque de Nantes de frère de Louise. Gilles de La Vallière abdiqua en 1677 (Gallia Christiana).

2.

Louis-Charles de Lorraine (de la branche de Guise), moine cistercien (v. note [23], lettre 992), était évêque de Condom depuis 1659 ; il ne mourut (à Paris) que le 1er juin 1668 (Gallia Christiana).

3.

Toujours de faux bruits servant à divertir l’attention portée aux préparatifs de la guerre de Dévolution.

4.

V. note [4], lettre 803, pour l’emprisonnement du marquis de Vardes à Montpellier. Il n’était libéré que sous condition de ne pas quitter son gouvernement d’Aigues-Mortes. On ne l’autorisa à réapparaître à la cour qu’en 1683.

5.

Joannis Chicotii, Consilarii et Medici Regii, Posteriores Cogitationes, seu Epistolarum et Dissertationum medicarum editio altera auctior et emendatior.

[Dernières réflexions, ou nouvelle édition, augmentée et corrigée, des Lettres et Dissertations médicales de Jean Chicot, {a} conseiller et médecin du roi].


  1. V. note [31], lettre 436, pour ce médecin et les précédentes éditions de ses « Épîtres et Dissertations » (Paris, 1656 et 1666). Dans celle-ci, la seule addition conséquente est une De Cholera morbo Epistola ad Pamphilum Medicum [Épître sur le Choléra morbus (v. note [24], lettre 222) à Pamphylus, médecin (prénommé Théodore)] (pages 229‑242).

  2. Paris, Emmanuel Langlois, 1667, in‑8o de 242 pages.

Guy Patin a parlé du voyage de Louis xiii à Perpignan dans sa lettre du 24 mai 1642 à Claude ii Belin.

6.

« passons sur la majeure » : locution scolastique pour éluder la question principale d’un syllogisme (ici « l’antimoine peut être bon ») et s’intéresser à « la mineure » (aux conséquences qui en découlent, ici comment en supprimer la toxicité), v. note [21], lettre latine 98.

Le livre de Jean Chicot (v. supra note [5]), traite principalement de l’antimoine (émétique) dans le chapitre iiii (pages 42‑57), Quomodo et quantum purgandum [Comment et combien de fois il faut purger] de la dissertation de purgandi Ratione [sur la Manière de purger], avec cet avis plutôt sage (pages 48‑49) : {a}

Verum, de præscribendo emetico, serio cogitans, intelligo, quam difficili, et scopuloso loco verser, novi enim præstantissimos Medicos, qui emetica præsidia rejiciunt, atque inter emetica, antimonium, velut deleterium, et toxicum traducunt, et ad eam opinionem, tanquam ad saxum adhærescunt, maluntque eam sententiam quam adamaverunt, pugnacissime defendere, quam sine pertinacia quid constantissime contingat exquirere. Neque is sum, qui ambitioso supercilio procax, tantorum virorum authoriatem, aut famam ausim perstringere : sed videant viri gravissimi, ne nimia contendendi libidine, tanto remedio sint iniquiores.

Eorum quamvis non omnino probata sententia, floret plerumque cum acumine ingenii, tum admirabili quodam lepore dicendi, quo etiam peritioribus imponunt, et pauci sunt Medicorum, qui ad hunc viscum pennas non reliquerint.

[À vrai dire, quand je réfléchis sérieusement aux indications de l’émétique, je comprends combien je me penche sur une question difficile et épineuse : je connais en effet de très éminents médecins qui refusent de recourir aux vomitifs et qui, parmi ces médicaments, font passer l’antimoine pour délétère et toxique ; ils se cramponnent à cette opinion comme à un rocher et préfèrent défendre cette sentence, qu’ils chérissent passionément, que s’acharner à comprendre pourquoi ils la prononcent avec une absolue constance. Je ne suis pas non plus du genre à oser piquer, avec impudente prétention, l’autorité ou le renom de si grands hommes ; mais, sans me laisser par trop aller au plaisir de les combattre, ces très sérieux personnages me semblent fort injustes envers un si puissant remède.

Bien que je n’approuve pas entièrement leur jugement, il brille généralement tant par l’acuité de leur intelligence que par leur admirable talent à le défendre ; et face à ce gui, {b} peu de médecins sont capables de ne pas poser la plume]. {c}


  1. Ce délicieux fragment est strictement identique à celui qui figurait dans la première édition du livre (Paris, 1656, pages 68‑69).

  2. En élégant latiniste, Chicot n’a pas choisi par hasard le mot viscum qui désigne le gui et la glu qu’il contient. Il faut, me semble-t-il, y voir une oblique allusion à l’adage disant que « Les grives chient leur propre mort » (v. note [2], lettre de Charles Spon, datée du 13 août 1657) et, par ricochet, au prénom de Patin ; mais s’il a entendu comme moi le mot viscum, il ne s’en est pas offusqué car il a plusieurs fois mentionné avec éloge le livre de Chicot, jusqu’à sa troisième et ultime édition (Paris, 1669, v. note [7‑2], lettre 990).

  3. Suit un long et habile plaidoyer en faveur de l’antimoine, sous condition qu’on l’utilise avec prudence et discernement, mais sans expliquer comment le rendre moins dangereux.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 12 mars 1667

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(Consulté le 26/04/2024)

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