< L. 735.
> À André Falconet, le 24 octobre 1662 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À André Falconet, le 24 octobre 1662
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Je vous dirai franchement qu’il m’ennuie quand je n’ai pas de vos nouvelles. Au moins, ne soyez point malade. Nous en avions ici grand nombre, de fièvres tierces, [2] quartes, [3] doubles tierces, hydropisies, [4] dysenteries. [5] On parle fort ici de la colère du roi [6] contre les Chigi, [7] neveux du pape, [1][8][9] d’où s’ensuivra une guerre en Italie si le roi ne reçoit satisfaction pour le mauvais traitement que l’on fait à M. de Créqui, [10] notre ambassadeur. On parle aussi de la diète de Ratisbonne [11] et que le roi y veut envoyer M. le cardinal de Retz. [2][12] Plût à Dieu qu’il rentrât en grâce, il est homme d’esprit, qui aime la belle gloire et le public auquel infailliblement, il ferait du bien. Le partisan Catelan [13] s’est rendu prisonnier et est dans la Bastille. [14] On croit qu’il a traité en secret et qu’il n’est point assez sot pour s’enferrer de la sorte s’il n’en a eu quelque assurance. [3] On continue de bâtir au Louvre, [15] et l’ouvrage avance fort et sera fort beau. [4] On abat l’hôtel de Longueville. Le roi a donné en récompense à M. de Longueville [16] le bel hôtel de Chevreuse ; son fils aîné, nommé le comte de Dunois, [17] s’est rendu jésuite. [5] On parle de donner la seconde fille de feu M. le duc d’Orléans au duc de Savoie, [18][19][20] vous savez que la première est à Florence. [21] On parle aussi de la troisième [22][23] pour le prince de Danemark, [6][24] et même il y en a ici un ambassadeur [25] fort leste et fort brave, mais je crois qu’il y vient pour autre chose ; je suis son médecin et ami. [7] M. Vander Linden fait imprimer à Leyde [26] l’Hippocrate en deux volumes in‑8o grec et latin où il mettra des notes. [27] [28] M. Martinus Schoockius [29] a fait imprimer l’an passé un livre de Cervisia qu’il m’a dédié. [30] Il le fait imprimer fort augmenté. J’attends de lui son nouveau livre de Fermento et fermentatione et quelque autre nouveauté. [8] Les députés d’Avignon [31] s’en sont retournés après avoir prêté serment de fidélité et d’obéissance au roi, et avoir fait toutes les protestations nécessaires. Un rieur disait ce matin en bonne compagnie que la donation d’Avignon aux papes était l’effet de la peur qu’on a du sacré feu de purgatoire, [32] qui est la mère nourrice des moines. [33] Ô la gentille invention, ô la belle fiction que ce feu de purgatoire ! disait-il. Ce pape n’était point sot, qui en a inventé l’histoire pour faire bouillir son pot et < celui > de quelques millions de gens oiseux que saint Paul appelait ventres pigri, [9][34] auquel nous pouvons ajouter fruges consumere nati. [10][35] Enfin Dunkerque [36] est à nous, le roi d’Angleterre [37] nous l’a rendue pour 2 500 000 livres ; il en a retiré sa garnison et la nôtre y est entrée. [11] Le roi [38] va souvent à Versailles [39] y voir les bâtiments qu’il y fait faire ; néanmoins, on dit qu’il y a quelque chose encore plus douce qui l’y en fait faire souvent le voyage. [12][40] Nous sommes ici accablés de doubles tierces, de fièvres quartes, de dysenteries. Je suis bien aise que monsieur votre fils [41] soit où vous l’avez envoyé, mais prenez garde qu’il ne s’y débauche. Ordonnez-lui quelque surveillant qui le tienne de court. [13] Je m’informerai demain de M. Le Blanc, professeur en droit [42] que je ne connais que de nom. [14] L’on dit que quelques cardinaux se sont battus à coups de poing et de chandeliers en présence du pape, les uns pour la France, et les autres contre : Mulciber in Troiam, pro Troia stabat Apollo. [15][43][44] Je le tiens pour une fable, Rome est un pays de respect et de cérémonie où Sa Sainteté ne permettrait pas ces folies. Les politiques disent ici qu’il faut attendre un courrier que le roi a envoyé en Espagne, sur la réponse duquel le roi prendra ses mesures pour la guerre qu’il médite en Italie. Un apothicaire de Lyon, que vous m’avez autrefois adressé, m’est venu dire adieu et m’a demandé une lettre pour vous. Je lui ai promis celle-ci, que < sinon > je vous aurais aujourd’hui envoyée par la poste. Nous attendons d’Angleterre le beau livre savant et curieux de M. Samuel Bochart, [45] ministre de Caen, [46] de Animalibus Sacræ Scripturæ. [16] M. Anisson, [47] libraire de votre ville, a été ici ; il m’a promis d’imprimer mes deux manuscrits de feu M. Gaspard Hofmann, [17][48] Dieu lui en fasse la grâce ! Le voyage du roi pour Dunkerque est différé, il devrait partir demain. On travaille au procès de M. Fouquet, [49] on lui a donné deux rapporteurs, savoir M. d’Ormesson, [18][50] maître des requêtes, et M. de Sainte-Hélène, [19][51] conseiller au parlement de Rouen. [52] Il y a ici deux hommes de qualité qui ont gagé de la terminaison de son procès : l’un dit qu’il ne peut être jugé qu’après Noël à cause de beaucoup de formalités qui restent à faire ; l’autre dit que ce sera devant la Saint-Martin. L’affaire tirera de long sans doute : Messieurs de la Chambre de justice [53] prennent leurs vacations depuis la Saint-Simon Saint-Jude, jusqu’à la Saint-Martin. [20] Notre M. Piètre [54] est au lit malade d’un abcès du ventre qu’il vide avec de grandes douleurs. [55] Cela vient du côlon, je pense qu’il en guérira. C’est un homme fort savant, mais qui devient tout atrabilaire, [56] par ambition, et d’avarice. Ôtez-lui ces deux passions, c’est un des premiers hommes du monde, comme il est des plus savants. Je prie Dieu qu’il guérisse, ce serait une grande perte pour nos Écoles. M. Merlet [57] est aujourd’hui notre ancien, [58] qui se porte bien, mais il a 80 ans passés : Mala merx, mala ætas, [21] ce disait un vieillard dans Plaute ; [59] mais les Hébreux disent Iuvenes mori possunt, senes diu vivere non possunt. [22][60] Le voyage du roi pour Dunkerque est différé et remis après la fête. On dit que le roi a ordonné à M. de Créqui, son ambassadeur à Rome, de revenir à Paris. Le roi a envoyé à Sedan [61] un homme entendu avec commission d’y faire faire 6 000 mousquets ; cela sent bien la guerre. Tâchez d’obtenir du bonhomme M. Sanche [62] que monsieur votre fils étudie beaucoup, qu’il ne s’éloigne guère de la maison et qu’il ne se laisse empaumer d’aucune mauvaise compagnie. [23] J’ai vu aujourd’hui des partisans et des conseillers de la Cour qui ne savent que dire de M. Fouquet. Ils disent que l’on travaille tout de bon à son procès et que le roi en veut voir la fin ; mais bien plus encore ceux qui le poursuivent, qui, dit-on, en veulent fortement à sa vie. Le roi est fort secret, et son Conseil aussi ; à peine y a-t-il quelqu’un qui ose dire ce qu’il sait. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc. De Paris, ce 24e d’octobre 1662. | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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