L. 939.  >
À Charles Spon,
le 4 août 1668

Monsieur, [a][1]

Je vous dirai que votre M. Huguetan, [2] libraire de Lyon, est ici. Il m’a fait l’honneur de me venir voir un soir après huit heures et n’en est parti qu’à dix heures du soir. Il me fit un compliment fort bénin, comme vous savez qu’il est fort doucet. [1] Il me dit qu’il y avait près de 15 ans qu’il ne m’avait point vu, il me parla de vous avec beaucoup d’affection et de tendresse, et dit, avec raison, vérité et justice, que vous êtes le meilleur homme du monde ; en voilà plus qu’il n’en faut pour vous canoniser, mais de bon pour vous, ces fumées ne sont pas de votre goût, ô le malheur ! Il m’a parlé des œuvres de Alex. Massaria, [3] in‑fo, impression de Lyon, et qui sont encore sur la presse pour la deuxième fois. Je vous prie de me dire là-dessus, savoir si dans cet in‑fo on y a mis le traité de Abusu medicamentorum vesicantium et theriacæ in febribus pestilentibus, etc., [4][5][6] qui sont nommés dans le livre de M. Vander Linden, [7] de Scriptis medicis[2] Je vous prie d’y penser et d’en donner avis à M. Anisson [8] qui, par cet avertissement, en pourrait bien fort amender son impression présente car ce traité doit être excellent. C’est un abus insupportable de dire et vouloir faire accroire au peuple que febri pestilenti theriaca conveniat[3] il n’y a rien ce me semble si indigne d’un médecin dogmatique ; [9] il faut laisser cela aux barbiers, [10] aux bateleurs, aux charlatans [11] et aux apothicaires. [12] Nous n’avons ici, Dieu merci, guère de malades, et point de peste [13] du tout. On dit qu’elle est cessée à Soissons, [14] mais on parle encore de Rouen [15] et d’Amiens, [16] et plus de Bruxelles [17] où l’on dit qu’il y en a beaucoup. Ce sont des suites de la guerre, post bellum pestis et fames[4][18] Vous trouverez ici un petit billet de M. Huguetan pour recevoir chez lui un présent qu’il me fait. Quand vous l’aurez, je vous supplie de le donner à M. Anisson qui le mettra dans quelque balle avec son Febrilogia qu’il a imprimé in‑fo [19] et qu’il me veut envoyer, à ce que m’a dit Monsieur son fils [20] ce matin. Te et tuam, totamque familiam saluto. Vive, vale, et me ama.

Tuus ex animo, Guido Patin.

Parisiis, 4. Augusti, 1668[5]


a.

Ms BnF no 9357, fo 369, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon » ; à côté de l’adresse, de la main de Charles Spon : « 1668./ Paris, le 4 août./ Lyon, le 12 dudit,/ par M. Falconet./ Rispost./ Adi 21 dud./ Avec un paquet [de] lettres de Messieurs de Tournes. »

1.

Guy Patin a corrigé « doux » en « bénin » ; doucet : « diminutif de doux, qui se dit proprement d’une mine doucette, où il entre un peu du niais ou de l’hypocrite » (Furetière).

2.

V. note [29], lettre 925, pour la troisième édition des deux livres de Johannes Antonides Vander Linden (mort en 1664) sur les Écrits médicaux (Amsterdam, 1662, pages 16‑17). Elle ne pouvait répertorier la réédition des Alexandri Massariæ Opera medica [Œuvres médicales d’Alessàndro Massaria] qui se préparait alors à Lyon, qui parut chez Lyon, Philippus Borde, Laurentius Arnaud et Petrus Borde, 1669, in‑fo de 860 pages, sans privilège permettant de savoir si Laurent Anisson a cédé cette édition aux trois libraires qui l’ont finalement publiée (v. note [14], lettre 239 pour la précédente édition ibid. 1634).

Le traité de Massaria dont se préoccupait Guy Patin (cité par Linden) ne figure pas dans ces deux recueils :

De Abusu Medicamentorum vesicantium et Theriacæ in febribus pestilentialibus Disputatio.

[Discussion sur l’Abus des vésicatoires {a} et de la thériaque {b} dans les fièvres pestilentielles]. {c}


  1. V. note [39], lettre 246.

  2. V. note [9], lettre 5.

  3. Padoue, Paulus Melettus, 1591, in‑4o de 142 pages, où Massaria a surtout montré son enthousiasme aveugle pour les enseignements de Galien.

3.

« la thériaque convienne au traitement de la peste ».

4.

« après la guerre, peste et famine » ; Thomas d’Aquin : {a}

Ex bellis autem pestis et fames consequitur : hæc quidem aere cadaveribus infecto, illa incultis manentibus agris.

[Peste comme famine sont conséquences des guerres : l’une à cause de l’air infecté par les cadavres, l’autre à cause des champs qu’on a laissés incultes]. {b}


  1. Catena aurea in quatuor Evangelia, Expositio in Lucam [Chaîne d’or sur les quatre Évangiles, explication sur Luc], chapitre xxi, leçon 3.

  2. V. note [1], lettre 5, pour l’assimilation du typhus et d’autres fièvres contagieuses à ce qu’on appelait alors la peste.

5.

« Je vous salue, ainsi que votre femme et toute la famille. Vive et vale, et aimez-moi.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.

À Paris, ce 4e d’août 1668. »

V. note [2], lettre 932, pour la Febrilogia [Étude des fièvres] de Juan Lazaro Gutiérrez (Lyon, 1668).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 4 août 1668

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(Consulté le 24/04/2024)

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