< L. 485.
> À Charles Spon, le 19 juin 1657 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À Charles Spon, le 19 juin 1657
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Je vous envoyai ma dernière le vendredi 8e de juin, de sept grandes pages, que je pense qu’avez reçue. Depuis ce temps-là, l’on dit ici que le pape [2] est fort malade à Rome et qu’il n’y a pas d’apparence qu’il aille bien loin ; et même que la peste [3] augmente fort à Gênes. [4] On dit que le pape ne peut rien retenir des excréments de son ventre ni de sa vessie, que les jésuites [5] y perdront beaucoup, qu’il est leur grand et excellent patron. Je m’étonne comment cet homme, qui sait tant de choses et qui doit être illuminé de tout point, s’amuse à se laisser gagner à ces maîtres passefins, qui sont les plus grands fourbes et les pestes de la chrétienté, et qui ont de coutume de corrompre tous les princes dont ils approchent par leurs infâmes flatteries et puants mensonges. Pour vous rendre compte d’un livre que M. Brusius [6] m’a rendu de votre part, qui est un petit in‑4o intitulé Io. Danielis Horstii Observationum anatomicarum decas i, etc., [1][7] je vous dirai que, par hasard et sans autre dessein, j’y ai lu aujourd’hui quelques pages deçà et delà ; et pour vous en dire mon avis, je voudrais que cet homme n’écrivît plus de la sorte car il donne mauvais exemple à d’autres qui feront encore pis. Certes, ces gens-là sont chétifs médecins et si on ne voyait de deçà plus clair à traiter des malades, on n’en guérirait guère. Si vous trouviez à acheter dans Lyon son Introductio ad medicinam de la dernière édition, qui est, comme je crois, la troisième, vous m’obligeriez fort d’en prendre une pour moi. [2] Nous compterons quelque jour ensemble et nous paierons toutes nos dettes. Les jésuites persécutent ici cruellement quelques libraires qu’ils ont soupçonnés avoir imprimé quelque chose pour le Port-Royal, [8][9] et entre autres les 18 lettres. [10] Ils en ont fait mettre un prisonnier qu’ils ont fait enlever en plein minuit, et se sont rendus les maîtres de sa maison et ont fouillé partout. Il s’appelle Desprez, [3][11] à l’enseigne de Saint-Prosper, rue Saint-Jacques. [12] Ils ont aussi découvert l’imprimeur [13] nommé Langlois, [14] qu’ils ont mis dans la Bastille ; [4][15] l’on dit que c’est pour une pièce qu’ils ont imprimée en faveur du cardinal de Retz [16] contre la dernière Assemblée du Clergé, [17] et particulièrement contre M. de Marca, [5][18] archevêque de Toulouse, [19] qui est un étrange compagnon et un dangereux garçon, en tant que pour faire fortune il a par ci-devant joué divers personnages ; et a entre autres été un des malheureux commissaires qui envoyèrent à la mort feu M. de Thou, [20] en votre ville l’an 1642. Il y a eu du bruit à la cour entre la reine [21] et M. le duc d’Anjou : [22] elle l’a menacé de lui faire donner le fouet, [23] et même l’a commandé ; mais ni le gouverneur, qui est M. le maréchal Du Plessis-Praslin, [24] ni le sous-gouverneur n’ont osé l’entreprendre ; dont il a été averti et a dit à la reine qu’ils ont bien fait tous deux de n’accepter pas cette commission, qu’il n’est plus en âge d’avoir le fouet et que quiconque l’entreprendra est assuré que lui-même lui donnera de son épée au travers du corps. [6] La reine fâchée de cela a crié et a dit qu’elle ne voulait plus demeurer à la cour, mais revenir à Paris, etc. Le Mazarin [25] s’est chargé de faire cet accord. La reine a commencé sur les plaintes de ses filles d’honneur, lesquelles lui ont dit que quand M. le duc d’Anjou les rencontrait, il voulait leur lever la cotte, et usait vers elles de termes étranges et lascifs. Ce 11e de juin. On dit ici que le P. Labbé, [26] jésuite de Lyon, y a fait imprimer un livre fort curieux in‑4o intitulé Politica nova Cardinalis Mazarini. [7] Si cela est, je vous supplie de m’en acheter un et de me l’envoyer à votre commodité, je pense qu’il ne sera pas gros. On dit ici que le roi sera dans trois jours à Laon [27] et que delà il prendra le chemin de Metz [28][29] pour être près de Francfort ; [30] où pour aller et y être le 1er jour d’août, partiront d’ici dans 15 jours les deux seigneurs que le roi y envoie, savoir MM. le maréchal de Gramont, [31] et de Lionne. [32] Quelques-uns disent aussi que l’on envoie M. de Longueville [33] en Suisse, [34] mais on n’en dit pas encore la cause. On dit que la peste [35] se renouvelle alentour de Naples, [36] et aussi qu’elle recommence à Rome ; qui est une nouvelle bien chatouilleuse pour le pape et pour le général des jésuites, qui sont des individus qui ne quitteront jamais leur place qu’à grand regret. On parle encore de l’accord qui se traite entre nous et les Hollandais, mais on dit qu’il s’y rencontre beaucoup de difficultés et qu’il pourra bien arriver que jamais il ne se fera ; quod utrique genti esset valde incommodum, [8] vu que de part et d’autre il y a grande intelligence pour le commerce. Ce 12e de juin. Et voilà votre très agréable lettre que je reçois, pour laquelle je vous rends très humbles grâces. Je vous prie d’assurer M. Fourmy [37] que dès demain je me transporterai chez le syndic des libraires, nommé M. Ballard, [9][38] où je porterai ses papiers et ferai son affaire ; ou bien, s’il y a de la difficulté, je la lui manderai. Je suis bien aise que ce beau livre soit bientôt achevé, tâchez de faire en sorte que la table en soit bonne. Cet auteur [39] est un des bons qui aient jamais été à Montpellier. [40] Je fais grand cas de son traité de Indicationibus, de Hepatitide, de Morbis renum et vesicæ ; je ne dis rien du traité de Morbis mulierum dans lequel il y avait trop de fautes typographiques, j’espère que cette seconde édition qui aura passé par vos soins en aura été amendée. [10] J’espère qu’aujourd’hui vous recevrez ma dernière lettre, laquelle est de sept pages, où je crois que vous apprendrez beaucoup de petites nouvelles. Je vous remercie du souvenir qu’avez eu pour moi envers M. Io. Daniel Horstius, de l’amitié duquel je veux faire état. [11] S’il me fait l’honneur de m’écrire, je ne manquerai pas de lui faire réponse. Je vous loue d’avoir empêché qu’il ne mît dans son nouveau livre quelques injures contre la mémoire de notre bon ami feu M. G. Hofmann [41] qui a été un personnage de grand mérite. Un partisan m’a dit à ce soir que les électeurs de l’Empire [42] sont fort brouillés ensemble et qu’ils sont bien loin de s’accorder. Il ne m’importe qui sera empereur, mais je souhaite fort que la guerre ne recommence point en Allemagne : ce pauvre pays n’a que trop été tourmenté par ci-devant par les Suédois, les jésuites et la Maison d’Autriche. L’on dit ici que le prince de Conti [43] a charge de faire entrer un grand convoi dans Valence, [44] et en cas que les Espagnols le veuillent empêcher, de leur donner bataille. D’Aquin [45] n’entrera jamais en comparaison avec M. Guillemin ; [46] on ne dit rien ici de lui, ni en bien, ni en mal, mais seulement que la duchesse de Savoie [47] se porte mieux. M. Alcide Musnier, [48] médecin de Gênes, m’a autrefois mandé que lorsque nous fîmes assiéger Pavie [49] par le prince Thomas [50] l’an 1655, on imprimait dans ladite ville la seconde partie des Commentaires de Phrygius [51] sur les Histoires épidémiques d’Hippocrate, [12] et qu’il espérait que l’on en achèverait l’impression puisque le siège était levé ; je n’en ai point ouï parler depuis : qu’en savez-vous, n’en avez-vous rien appris ? Pour M. Musnier, je ne sais ce qu’il est devenu, j’ai belle peur pour lui. Il y a cinq mois que je n’ai pas reçu de ses lettres, j’ai bien peur que la peste ne l’ait enveloppé avec beaucoup d’autres ; ce que je ne vous dis pas sans grand regret car il était excellent homme et bon ami. On a imprimé depuis peu en Italie Consilia medicinalia Silvatici : [52] un médecin de Bruxelles [53] nommé M. de Farvacques, [13][54] grand ami jadis de feu M. Naudé [55] et par après de M. Moreau, me l’a ainsi mandé, avec quelques autres livres qu’ils ont reçus d’Italie, eiusmodi Consilia et Responsa sunt in‑fo, Patavii, 1656 ; [14] il m’offre de me les envoyer avec tout ce que je pourrai désirer de ce pays-là, mais je l’en ai remercié. Je pense qu’il en viendra à Lyon ; s’il vous plaît d’en parler à M. Huguetan, peut-être qu’il en a ou qu’il en pourra faire venir de Padoue. Il y a un autre livre, Hier. Ochi de Febre lib. 7 cum paradoxis, Venetiis, 1657, in‑4o, < et > Franc. de Francisco de Venæ sectionis abusu, Neap. 1655, in‑12. [15][56][57] Si tout cela vous vient, je l’achèterai. Ce 13e de juin. Je vous prie de dire à M. Fourmy que j’ai parlé à M. Ballard, syndic des libraires, lequel m’a dit que si le livre est achevé, qu’il peut en toute assurance le mettre en vente ; mais que pour faire l’enregistrement, il faut avoir le privilège même, sur lequel il écrira ledit enregistrement quand je lui présenterai. Il faut donc qu’il me l’envoie au plus tôt avec quelques exemplaires de son Varanda, [10] comme par exemple, pour acquitter son privilège, ou autres endroits, [16] s’il veut m’y employer. M. le prince de Condé [58] a fait aller le partisan Girardin [59] du Catelet [60] à Valenciennes, [61] d’où il a écrit de deçà à plusieurs de ses amis. Aujourd’hui l’on dit que le prince l’a fait emmener à Anvers [62] et qu’il lui a fait demander qu’il rende grande somme d’argent qu’il a touchée du bien du dit prince, aux gabelles, [63] et ailleurs. On dit que la peste recommence à Rome ; si elle y augmente, et qu’elle prenne le pape, le général des jésuites et autres tels carabins, au diable le premier que j’en plaindrai ! On dit que l’on réimprime à Strasbourg le Religio medici in‑8o [64] avec des commentaires trois fois plus amples que par ci-devant. J’ai céans ces commentaires de l’an 1652, [ce] qui est peu de chose. Ce livre-là n’avait pas besoin de tel[le]s scolies, personne n’était pas capable de travailler sur ce livre s’il n’avait l’esprit approchant de celui de l’auteur, qui est gentil et éveillé. Ce badin de commentateur est un grand sot, il pense avoir fait un grand coup quand il cite Van Helmont, [65] qui n’est qu’un malheureux ignorant et un imposteur public. Le génie du premier auteur du livre vaut mieux que tous ces commentaires, qui ne sont que de la misérable pédanterie d’un jeune homme allemand [66] qui pense être bien savant. [17] Ce 14e de juin. On parle ici de quelques cruautés plus que barbares que les Espagnols ont faites à des Français qu’ils ont pris sur mer, avec menace de faire encore pis à l’avenir. On parle d’un voyage du roi à Sedan, [67] à Nancy, [68] à Metz. Je viens d’apprendre que les libraires lassés de M. Ballard ont élu dans les formes ordinaires un autre syndic, présent M. l’intendant civil, selon la coutume. Ce nouveau syndic est M. Béchet, [69] un des plus riches libraires de la rue Saint-Jacques, duquel j’obtiendrai ce qu’il faudra pour M. Fourmy, comme j’eusse fait de M. Ballard. On parle ici de nouveau bruit en Allemagne à cause du roi de Suède [70] qui fait mine d’y vouloir entrer pour brouiller les affaires de la Maison d’Autriche et empêcher l’élection d’un nouveau empereur. On dit aussi que dans l’Angleterre on verra bientôt d’autres désordres pour la mésintelligence qui est survenue entre Cromwell [71] et Lambert, [72] qui s’est acquis grand crédit dans les armées de mer et de terre, d’où Cromwell a grand soupçon et de la jalousie. [18] M. Girardin a ici écrit de Bruxelles : le prince de Condé lui demande 50 000 écus de rançon et lui n’en offre que le tiers. On dit que notre armée assiège Montmédy. [19][73] J’ai ce matin rencontré par la rue Saint-Denis [74] un conseiller de votre ville nommé M. Chapuis, [75] lequel m’a dit que M. le prieur Jugeact [76] se louait fort de moi (je vous supplie de lui faire mes recommandations), et qu’il veut venir voir ma bibliothèque. [77] J’ai autrefois céans traité son beau-frère, nommé M. Guéton, [78] et depuis, j’ai traité sa propre femme, laquelle était malade rue Dauphine. [20][79] Il m’a dit qu’il est homme de bibliothèque et qu’il m’offre toute sorte de services à Lyon pour des livres d’Allemagne et d’Italie. Je me souviens bien qu’il m’a autrefois parlé de M. Guillemin et que de ce temps-là, il m’offrit la même grâce pour le recouvrement des livres que je pourrais désirer. On m’a parlé aujourd’hui de deux livres que l’on imprime, savoir du livre de Silvaticus, Consilia et Responsa medicinalia, [14] imprimé in‑fo l’an passé à Padoue et aujourd’hui à Genève ; l’autre est Odericus Rinaldus, [80] en cinq volumes in‑fo. C’est celui qui a continué les Annales de Baronius [81] à Rome, il était père de l’Oratoire ; [82] on dit que M. Borde les imprimera à Lyon, qu’en savez-vous ? J’en avais ouï parler à M. Ravaud autrefois. [21] Tous les Allemands qui sont ici ne parlent que de leurs pilules de Francfort [83] dont ils font un grand secret : qu’en savez-vous de leur matière ? Dicuntur fieri ex aloe macerata in aqua fragariæ, alii dicunt violarum, [22][84][85][86] instruisez-moi de cela s’il vous plaît. Il y a en cette ville un médecin de Lyon nommé Belaître, [87] qui est venu y chercher de l’emploi et qui s’y est marié. Il se fait tout blanc de son épée, [23] il se moque des médecins de la Faculté de Paris, il dit qu’ils saignent trop, qu’ils n’ordonnent point de sel de corail, [88] qu’il est tout autrement plus savant qu’eux, etc. Peut-être qu’il est vrai, qu’en croyez-vous, connaissez-vous cet homme, quel âge a-t-il, de quel bois se chauffe-t-il ? [24] Au moins, s’il n’est fort savant, il faut qu’il soit grand vanteur, grand emballeur et grand menteur car on m’a rapporté de lui des choses fort étranges qu’il débite de deçà, peut-être pour tâcher de se mettre en crédit ac ut imponat vulgo nimium credulo. [25] Tous biens sont tantôt communs au monde, il n’y a plus qu’à trouver moyen de les avoir et [après] [26] de les attraper per fas aut nefas, [27] comme font les grands et les princes. Ne vous souvenez-vous point, quand vous avez étudié à Paris, d’avoir vu feu M. Nicolas Piètre [89] qui vir fuit eximius et medicus incomparabilis, [28] qui mourut ici l’ancien de notre Compagnie [90] l’an 1649 ? L’on m’a fait aujourd’hui et tout présentement (dont j’ai grande joie) présent de son portrait, dans lequel il est merveilleusement représenté au naturel. Mihi erit ista effigies tanti viri incitamentum ad studium et ad virtutem. [29] Il n’y en a pas treize à la douzaine comme celui-là, il a eu lui tout seul ce que plusieurs autres n’ont point. L’on m’a dit aujourd’hui que l’on réimprime en Allemagne Pharmacopœia Augustana, cum uberioribus commentariis Io. Zwelfer. [30][91][92] Ce commentateur est un fort habile homme dans les opérations de pharmacie et dans les préparations des médicaments ; et même, a moins menti que plusieurs autres in prædicandis compositorum medicamentorum facultatibus. [31] Néanmoins, pour un homme qui a vu et su la vérité, il ne l’a pas dite assez hardiment ; les jeunes gens qui liront son livre n’en profiteront point tant qu’il serait à désirer. Peut-être qu’il aura mieux fait en cette troisième édition. Il court ici une Réponse à la lettre de M. l’archevêque de Toulouse sur la délibération du Clergé du 14 novembre 1656. [32][93][94] Il y a 56 pages, in‑4o. Cet archevêque nouveau y est terriblement étrillé et le bon du conte, c’est que l’on dit qu’il mérite bien cela. Il y a encore deux autres pièces, dont l’une est intitulée Lettre de M. le cardinal de Retz au pape, elle est en latin et en français ; l’autre est du même cardinal à Messieurs les députés de l’Assemblée générale du Clergé de France. [33][95] Il n’y a que huit pages à chacune. J’en ai mis deux dans mon paquet avec la 18e lettre du Port-Royal, pour vous être portées à la première commodité ; vous en prendrez votre part et donnerez, s’il vous plaît, l’autre à notre cher ami M. Gras, à qui je suis très humble serviteur ; comme aussi au bon M. Sauvageon, à MM. Falconet, Guillemin et Garnier, mes très humbles recommandations. Je viens d’apprendre que ce médecin de Lyon nommé Belaître se fait aussi nommer M. Picoté ; qu’il est logé au faubourg de Saint-Germain [96] où il a un frère prêtre, habitué à Saint-Sulpice, [97] qui fait tout ce qu’il peut pour lui donner de la pratique ; que ce prêtre Picoté [98] est celui qui refusa l’absolution à M. de Liancourt, [99] grand seigneur prétendu janséniste, d’où est provenu tant de bruit et particulièrement les deux lettres de M. Arnauld, [100] dans la seconde desquelles il se rencontra une proposition qui a tant fait faire d’assemblées en Sorbonne [101] il y a tantôt deux ans. [34] J’ai ouï parler de ce Picoté car, le carême dernier, je traitai un honnête homme d’une douleur néphrétique [102] dans ce faubourg, où il venait quelquefois en mon absence et y proposait d’étranges remèdes. Je ne l’ai jamais vu, mais je gagerais bien qu’il est un pur empirique [103] et misérable charlatan fort ignorant. Ce frère prêtre était le confesseur du malade, à cause de quoi le médecin y venait, mais par souffrance seulement, [35] et l’on n’y faisait rien de tout ce qu’il disait. Sed per ea qua audivi ab illo præscripta, possem affirmare in arte illa vix aliquid eum scire quam profitetur. [36] N’ai-je point ouï dire que depuis un an M. Sauvageon [104] a fait imprimer à Lyon, de nouveau, la Pharmacie de Bauderon ? [37][105] Si cela est, je vous prie de m’en acheter un et de me l’envoyer quand vous voudrez. Le libraire qui fait imprimer l’Histoire de feu M. le président de Thou, [106] nommé M. Courbé, [107] m’a dit aujourd’hui que l’on commence l’impression du troisième tome, [38] lequel finira à la mort de Charles ix, [108] et qu’aussitôt il les mettra en vente pour faire de l’argent qui servira à faire imprimer le reste, lequel contiendra pour le moins quatre volumes. Il est vrai que Henri iv tout seul est bien gros et je crois qu’il fera bien trois volumes en français. Le cardinal Rapaccioli [109] est mort à Rome ; [39] la peste [110] y renouvelle ; le pape [111] y a été fort malade, unde fit ut multi Cardinales serio cogitarint de Papatu. [40] La femme de l’ambassadeur de Hollande [112] est ici morte en trois jours. M. de Guitaut, [113] capitaine des gardes de la reine, fort vieux et accablé de gouttes, est mort en Picardie à Montreuil. [41][114] Il est aussi mort ici un secrétaire du roi, près de Saint-Paul, nommé M. de La Place, [115] qui a donné à l’Hôpital général, [116] où l’on a enfermé tous les pauvres mendiants depuis peu, près de 4 000 livres de rente. On dit que la reine s’ennuie à La Fère. [117] Mais voici une mauvaise nouvelle, laquelle me déplaît fort, mais elle ne manquera pas de réjouir les carabins [42] du P. Ignace : [118] c’est que M. Padet, [119] proviseur du Collège d’Harcourt, [120] homme d’honneur et qui depuis 40 ans a été un de ceux qui a le plus défendu l’Université contre la malice des jésuites, est fort malade d’une fièvre continue, [121] et même, dit-on déjà, avec rêverie. [122] J’ai bien peur qu’il n’en meure car il est fort vieux, je pense qu’il n’a guère moins que 75 ans. Il est professeur du roi, licencié de Sorbonne, et a enseigné 30 ans la philosophie dans Harcourt, on le peut vraiment appeler l’Atlas de l’Université de Paris. [43][123] Dans la rue aux Fers, [44][124] près des Innocents, [125] où sont logés plusieurs marchands de soie, il y en a un fort riche nommé M. Bidal [126] qui a 16 garçons en sa boutique et en son magasin. L’un d’iceux, natif de Rouen, nommé Mustel, [127] âgé de 21 ans, a été découvert l’avoir volé et en deux mois lui avoir pris pour 6 000 livres de bonnes pièces d’étoffe de soie. Dès qu’il a été arrêté, il a promis de tout confesser, et même a nommé son receleur, aussi de Rouen, qui pour lors était à Paris et qui fut aussitôt arrêté ; il n’était logé qu’à 20 pas de là. Ils sont tous deux prisonniers au Châtelet [128] et seront tous deux pendus [129] dans peu de jours rue Saint-Denis, au bout de ladite rue aux Fers. Le receleur s’appelle La Croix, [130] il envoyait la marchandise dérobée à sa femme et à deux grandes filles nubiles qu’il avait, qui la revendaient. Toutes trois se sont sauvées et ont bien fait, car elles sont criminelles. Nouvelles sont arrivées que le Turc [131] a fait assiéger en Dalmatie une ville dite Cattaro, [132] et que le cardinal Bichi [133] est mort. Si le Turc s’approche davantage de l’Italie, adieu le pape et le général des jésuites, adieu toute la moinerie. [45] Mais à propos de moines, [134] il y en a un ici qui m’a fort sollicité de lui vendre toutes les œuvres de Ioan. Heurnius. Je lui ai répondu que je n’avais jamais vendu livre, mais que, pour celui-là, je croyais qu’on le réimprimait à Lyon in‑fo, [135] je n’en suis pourtant pas bien assuré. M. Huguetan le réimprime-t-il ? S’il ne le réimprime pas, obligez-moi de me le mander et de faire qu’il me renvoie aussi mon Heurnius que je leur ai prêté, il me pourra quelquefois servir ; [46] et me ferez grand plaisir, comme aussi de croire que je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, Patin. De Paris, ce mardi 19e de juin 1657. | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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