Le médecin espagnol Thomas Puellez, [2] que la nouvelle reine [3] avait amené avec elle d’Espagne, est mort à Fontainebleau. [4] Il aimait mon second fils Carolus [5] d’une manière à lui procurer quelque bonne fortune, mais il est demi-stoïque et c’est tout dire. [1] Il y en a plusieurs sur les rangs qui recherchent la place du défunt : Guénault, [6] des Fougerais, [7] Brayer [8] et Rainssant [9] courent après ; Piètre [10] le mérite encore mieux qu’aucun par son érudition, mais il est encore malade et n’est pas hors de danger. Celui qui ne désire rien est encore plus heureux, comme sont tous ceux qui n’ont point d’ambition. La cour est une mauvaise hôtellerie pour un homme de probité. Vallot [11] est malade de fièvre, rhumatisme [12] et érysipèle. [13] On dit aussi que c’est de regret de ce que le roi [14] lui a reproché qu’il était espion et pensionnaire du sieur Fouquet. [15] Il y en aura bien qui courront ce bénéfice s’il vient à vaquer. Je ne sais ce que peuvent être devenus MM. Pecquet [16] et de Belleval, [17] mais voilà leur marmite renversée par la disgrâce de M. Fouquet. [2] Jamais Pecquet ne l’a traité, il n’était là que pour les laquais ; croyez-moi, c’est un homme qui ne sait pas grand’chose. [3] M. Fouquet est toujours dans le château d’Angers, [18] malade d’une fièvre quarte. [19] Avant sa prison, il avait pris du quinquina [20] et avait été saigné de la salvatelle [21] par le conseil de Vallot, et néanmoins il n’en est pas guéri. [4] Les jésuites sont bien fâchés de sa perte, il était leur grand patron. Ils ont tiré de lui plus de 600 000 livres depuis peu d’années, vous savez comme ces bons pères aiment fort le bien public et le bien de leur prochain. Mais à propos de quinquina, il ne fait point ici de miracle : quand le corps est bien déchargé par la saignée [22] et les purgatifs, [23] il peut par sa chaleur résoudre ou absorber le reliquat de la matière morbifique ; à moins que cela, il ne fait qu’échauffer. Ceux mêmes à qui il a fait cesser la fièvre n’en ont pas été tout à fait guéris, car elle est revenue, quoiqu’ils eussent été bien purgés. L’opiniâtreté et la durée de ces fièvres quartes viennent de la disposition mauvaise et presque carcinomateuse de la rate, [24] qui occupe sa propre substance. [5] Je n’ai jamais donné du quinquina, j’en ai vu qui, pour s’y être trop fiés, sont devenus hydropiques. [25] Je ne voudrais point purger dans le fort de la fièvre quarte, il me semble que ce serait trop hasarder ; mais je purge souvent à la fin de l’accès avec beaucoup de succès ; même dans la grande chaleur, je leur fais quelquefois avaler quatre grands verres de tisane [26] laxative de trois gros de séné ; [27] cela fait bien ouvrir le ventre et emmène une partie de la cause conjointe, et empêche l’importunité des grandes sueurs dont ils se plaignent souvent. Pour ce qui est de saigner au commencement de l’accès, je ne le fais jamais, il y a de l’imprudence et de la témérité à le faire. Je suis, etc.
De Paris, ce 21e de septembre 1661.
1. |
Guy Patin se serait-il laissé à caresser l’idée que son fils Charles eût pu devenir médecin de la reine Marie-Thérèse s’il eût possédé un caractère moins stoïque (ombrageux) ? |
2. |
« On dit figurément d’une maison que la marmite y est renversée pour dire qu’on n’y va plus dîner » (Furetière). La marmite de Gourville (Mémoires, pages 135‑136), agent de Fouquet, qu’il avait accompagné à Nantes, vacillait seulement :
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3. |
Mépriser si rudement Jean Pecquet (v. note [15], lettre 280) fait peu honneur à Guy Patin, qui fut un temps son ami : l’immortel descripteur des voies du chyle resta fidèle à Nicolas Fouquet, vivant en prison à ses côtés jusqu’à la fin de son procès (20 décembre 1664) et à son départ pour la prison perpétuelle à Pignerol. Les Archives de la Bastille (volume 2, page 357) reproduisent une lettre du roi à D’Artagnan (v. note [2], lettre 715), datée de Nantes, le 7 septembre 1661 :
Dans les mêmes Archives (volume 1, page 405), cette autre lettre du roi à M. de Besmaus, datée de Paris, le 26 février 1665 :
Après un temps d’exil à Dieppe, sa ville natale, Pecquet fut autorisé à revenir pratiquer la médecine à Paris, mais Patin n’en a plus dit mot dans la suite des lettres. Pecquet aurait pris l’habitude de soigner tout le monde (y compris lui-même) avec de généreuses lampées d’eau-de-vie : {a} « M. le surintendant Fouquet le voulut avoir pour son médecin de plaisir, c’est-à-dire pour l’entretenir, à ses heures perdues, des plus jolies questions de la physique : ce que Pecquet faisait admirablement. Mais, comme si on ne pouvait jamais être entièrement heureux chez les grands, son cehval s’étant abattu sous lui dans les rues de Paris, il eut la jambe cassée. Il venait d’ordinaire aux conférences de M. Rohault, {b} et s’y faisait écouter autant que personne. Ce fut là que, le voyant d’ordinaire, je liai amitié avec lui comme avec un homme de fort bon commerce. Dans la disgrâce de son maître, m’étant retiré en province, je n’entendis plus parler de lui jusqu’en l’année 1670, que je le rencontrai chez un de mes amis à la campagne. Quand je ne l’aurais pas reconnu à l’air de son visage, son haleine me l’aurait fait sentir, à cause de la méchante habitude qu’il avait de boire de l’eau-de-vie. Il en conseillait l’usage à ses amis, comme un remède à tous les maux ; mais l’eau-de-vie fut pour lui une eau de mort. Elle lui brûla les entrailles et avança ses jours, qu’il aurait pu employer au service du public. » {c} |
4. |
V. note [12], lettre de Hugues ii de Salins, datée du 16 décembre 1656, pour la salvatelle, qui est une veine de la main. Nicolas Fouquet, mort en 1680, était, semble-t-il, affligé de paludisme récurrent : fièvres tierce et quarte, dont l’extrait de quinquina a été le tout premier traitement efficace connu (v. note [7], lettre 309). |
5. |
Carcinomateux : « qui tient du cancer, qui est attaqué d’un cancer » (Trévoux). Une grosse rate indurée peut être un signe de paludisme chronique, sans être de nature cancéreuse. |
a. |
Du Four (édition princeps, 1683), no civ (pages 316‑319) ; Bulderen, no cclxix (tome ii, pages 300‑302) ; Reveillé-Parise, no dxciii (tome iii, pages 390‑392). |