L. 309.  >
À Charles Spon,
le 8 avril 1653

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 8 avril 1653

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0309

(Consulté le 19/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Je vous envoyai ma dernière de trois grandes pages le 1er jour d’avril par la voie de M. Falconet, [1] laquelle, comme j’espère, vous aura été fidèlement rendue dès ce temps-là. Depuis ce jour-là, je vous dirai que le cardinal Mazarin [2] retient pour soi la charge de grand aumônier et qu’il se va faire prêtre. [2] M. de Croissy-Fouquet [3] et un autre prisonnier nommé M. de Vineuil-Ardier [4] ont refusé de répondre à M. le chancelier [5] qui y était allé pour les interroger, l’un disant qu’il doit être dans les prisons du Parlement et l’autre, qu’il est prisonnier de guerre. Ledit chancelier était assisté du président de Bellièvre [6] et de deux conseillers de la Cour, MM. Doujat [7] et Sevin [8] conseillers de la Grand’Chambre, tous deux grands mazarins. [3] Le cordelier [9] père Ithier [10] a fait amende honorable [11] à Bordeaux, [12] et remis en prison où il est obligé de vivre au pain et à l’eau avec la discipline, 40 jours durant, pour son entreprise. [4]

Le vendredi 4e jour d’avril, a été pendu [13] et brûlé à la Grève [14] un jeune homme de Chinon [15] pour le crime de sodomie. [16] Les jésuites [17] de Poitiers [18] l’avaient mis en condition dans la ville et fait précepteur d’un enfant de bonne maison qu’il a corrompu et gâté, et lui a donné la vérole. [19] Cela découvert et avéré, il fut sur le lieu condamné à mort ; appel à Paris où la sentence a été confirmée par arrêt de la Tournelle. [20] Voilà un vilain crime, duquel je voudrais qu’on ne parlât jamais, qui nous vient d’Italie et des collèges loyolitiques. Ce malheureux Chinonais n’avait que 17 ans et étudiait en théologie.

Le 5e d’avril, M. le chancelier est allé au Parlement de la part du roi [21] pour y faire lever les oppositions que Croissy-Fouquet avait apportées et toutes autres qu’il pourrait par ci-après y apporter. Il pensait en venir à bout, mais il est arrivé tout autrement : le Parlement, après quatre heures de délibération, a été de l’avis du dit Croissy-Fouquet et arrêt donné qu’il sera amené dans la Conciergerie [22] où son procès lui sera fait. Le Mazarin, qui rerum potitur[5] en fera ce qu’il voudra puisqu’il le tient ; sinon et à moins que cela, il faudra l’amener à Paris. Il y a eu dans les avis 38 mazarins, et 80 gens de bien et du bon avis, qui ne le sont point et ne le veulent être.

Ce 4e d’avril[6] Il y a environ trois mois que quelques jésuites, tant de ceux de Lyon que d’autres qui venaient d’Italie, apportèrent ici une certaine poudre qui venait des Indes, [23] d’une vertu admirable contre les fièvres quartes. [24][25] Cette drogue fut incontinent en crédit ut solent omnia nova, præsertim quum nacta tales præcones ; [7] mais tôt après, l’expérience manqua et ceux qui n’avaient pas voulu s’en servir en ont été loués. J’ai parlé hardiment contre cette nouveauté en plusieurs lieux où ces bons pères passefins en promettaient miracle et où elle n’a rien fait du tout. Enfin, nous n’avons pas été tout seuls de cet avis : M. Chifflet, [26] médecin de l’Archiduc Léopold, [27] en a fait un petit livre en quatre feuilles in‑4o imprimé à Bruxelles, [28] que j’ai eu aujourd’hui deux heures entre mes mains et aussitôt l’ai rendu ; je l’ai tout lu, il n’est point mal fait ; on l’aurait pu faire un peu plus thérapeutique, sed non omnibus datum est habere nasum[8][29] ni de ressembler à M. Piètre [30] ou à M. Moreau. [31] En voici le titre, en attendant que j’en puisse recouvrer ou faire venir de Bruxelles quelques exemplaires : Pulvis febrifugus orbis Americani, iussu serenissimi Principis Leop. Gulielmi etc. ventilatus, ratione, experientia, auctoritate a Io. Iac. Chiffletio, etc., anno 1653[9]

Ce 7e d’avril. À la bonne heure, voilà qu’on me rend votre lettre du 1er d’avril, laquelle me cause une joie extraordinaire, pro more ac ut singulæ tuæ solent[10] J’ai bien reçu, Dieu merci, votre paquet du mois passé, et vous en ai par ci-devant écrit et remercié. Je vous remercie pareillement de l’épitaphe de votre archevêque. [11][32] Pourquoi les chartreux n’ont-ils point été à son enterrement ? [33] Votre archevêché n’est pas encore donné. On l’offre au cardinal de Retz [34] avec la liberté, à la charge qu’il ne bougera de Lyon et qu’il renoncera à l’archevêché de Paris ; il ne veut point entendre à ce marché. [12] Le Phedrus [35] de feu M. Rigault [36] in‑4o est fort rare, l’in‑12 se trouve plus aisément ; mandez-moi ce que vous en désirez. [13] M. Lotichius [37] a revu son Pétrone [38] et l’a fort augmenté ; il fera un gros in‑fo et l’a voulu envoyer à Paris, l’adressant à moi ; mais cela ne se peut faire à Paris, il y a trop de moines, et de jésuites et de prêtres qui mettent leur nez partout, ne quid eis decedat de lucro[14] il y a déjà quatre ans ; ils pourront dorénavant le faire imprimer à Francfort. [39] C’est le même Lotichius qui scripsit res Germanicas[15] en trois volumes in‑fo, que M. Ravaud [40] m’avait promis de me faire venir de Francfort, je voudrais les tenir.

J’ai recouvré Arcana Iesuitica. Pour l’Histoire de Tonquin[41][42] je verrai M. Devenet. [16][43] Puisque vous avez quelque chose de M. Volckamer [44] pour moi et que le paquet de M. Musnier [45] n’est point encore parti de Gênes, [46] je vous prie de tâcher de me l’envoyer par le premier coche. Payez le port du dit paquet comme vous fîtes le mois passé pour le paquet du P. Théophile [47] et mettez ces deux ports sur mon compte ut utrumque refundam, quod faciam libetissime[17] si vous ne trouvez quelque autre voie commode. Voyez encore un peu ce que fera M. Rigaud, votre libraire, de notre manuscrit en lui donnant patience et puis après, je lui en écrirai. Ne lui en parlez plus s’il vous plaît. [18] Ne pourrais-je point avoir par votre moyen ce sermon de M. François Roure [48] contre les Chananéens ? [19][49] Il a été imprimé à Orange, [50] mais n’y a-t-il point à Lyon quelque libraire qui ait correspondance à Orange qui en puisse faire venir, aussi bien que des œuvres de ce philosophe renommé que M. Du Rietz [51] m’a nommé, M. Rodon, [52] et duquel M. de Sorbière, [53] notre ami, a depuis peu fait mention dans une harangue latine, laquelle m’a été ici rendue le mois passé de sa part, page 20 ? [20] Je hais naturellement ces Chananéens, principalement les spirituels[54] et vous m’obligerez fort de me procurer ce sermon. Peut-être que nos libraires de la Religion, qui ne l’ont pas vu, ne seront pas fâchés de l’imprimer et de le rendre commun de deçà, vu que Paris abonde de tels marchands ; in quo genere [21] je connais fort bien les uns et les autres. Pour le Paul Éginète[22][55] il est céans pour vous et destiné pour votre étude, et n’en déboursez rien, je vous en fais présent de bon cœur ; si vous l’acceptez aussi volontiers que je vous le donne, je ne suis point mal ; je vous l’enverrai à la première commodité. Je vous prie de me mander par votre première si le paquet que vous avez pour moi de M. Volckamer est gros et combien il peut peser environ. Je vous supplie pareillement de présenter mes très humbles recommandations à Messieurs nos bons amis, MM. Gras, Falconet et Garnier, Huguetan et Ravaud.

Plusieurs villes de Guyenne, [56] ne voulant point suivre le train et la révolte de Bordeaux, se sont remises au service du roi et ont fait de nouvelles protestations de fidélité. On dit que le duc d’Orléans [57][58] s’en va aux eaux de Bourbon [59] et que delà il pourra bien aller jusqu’en Languedoc ; mais il n’y fera rien, n’y ayant aucun crédit et guère d’argent. Ce prince est malheureux pour son irrésolution et vraiment traîne-gibet, [23] qui perd et ruine tous ceux qui s’attachent à lui : témoins, feu M. de Montmorency, [60] le comte de Soissons, [61] etc., et même le cardinal de Retz. [24]

Toute notre grande ville est en dévotion jubilatoire [62] in singulis suis partibus[25] mais il y a bien des églises à visiter. Cela fera gagner les cordonniers et les chaussetiers, [26][63] comme aussi les médecins et les chirurgiens pour ceux qui s’échaufferont et en pourront devenir malades. Le roi même y va à pied pour donner bon exemple aux autres. Je vis hier notre premier président, garde des sceaux[64] en faire de même. Intellegis quid sibi velint initiales illæ lettræ, S.P.Q.R. ? [27] En voici une explication que m’a autrefois donnée un savant prêtre : Stultus Populus Quærit Romam. Je viens tout présentement de consultation [65][66] avec M. Moreau qui vous baise les mains et vous écrira bientôt pour vous remercier des livres que vous lui avez envoyés le mois passé.

M’étant rencontré au Pays latin, [67] M. Jost [68] m’a donné avis qu’il y avait ici un libraire de Lyon nommé M. Devenet qui avait quelques livres. Cela fut cause que je l’allai voir, aussitôt nous fîmes connaissance, j’achetai aussi quelques livres de lui, et parlâmes fort de vous. Il me témoigna qu’il vous honorait fort. Je lui parlai d’un paquet de livres que j’avais délivré à M. Jost pour vous, il me témoigna qu’il s’en chargerait très volontiers et qu’il l’enfermerait dans sa première balle s’il n’était déjà emballé. Cela est cause que je l’ai repris de M. Jost qui ne pense à faire paquet qu’après Pâques, et l’ai délivré à M. Devenet qui vous le fera rendre franc de port, comme j’en ai accordé avec lui. Il est si honnête homme qu’il n’en voulait point de port, et ai eu de la peine à lui faire prendre. Je ne vois point de ces gens-là à Paris : vos gens de Lyon sont honnêtes et entendus, ceux d’ici n’ont ni l’un, ni l’autre.

M. le chancelier retourna hier matin au Parlement avec des nouvelles jussions pour faire lever toute sorte d’empêchements, afin d’obliger M. de Croissy-Fouquet de répondre et que son procès lui soit fait sans être amené dans la Conciergerie. [28] Le Parlement a consenti qu’on ne l’amènera point à la Conciergerie ; qu’à cette inconstance près, [29] on lui fera son procès, mais à la charge que les interrogatoires, recollements et confrontations seront apportés au Parlement, [30] et qu’autrement on ne passera point outre ; de sorte que ces quatre Messieurs ne sont que pour instruire son procès et non pas pour le juger. [31]

M. Ravaud n’a-t-il point eu de nouvelles de ses livres de Francfort ? N’avez-vous encore rien reçu à Lyon des nouveaux livres de Strasbourg de M. Sebizius ? [69] Peut-être que les émotions qui sont dans la Suisse [70] empêcheront encore le commerce de ce côté-là. [32] On dit que M. Naudé [71] sera ici dans deux mois avec un grand bateau qu’il amènera plein de livres doubles, [33] qu’il viendra ici pour vendre ou changer.

Je vous donne avis que dans votre paquet vous trouverez le Paulus Egineta que je vous ai promis ci-dessus, quem grato animo, si placet, accipias velim[34]

Il y a ici un ancien médecin de Montpellier nommé M. de Soliniac [72] qui y était venu, à ce qu’on dit, pour la maladie de feu M. de Fenouillet, son évêque. [35][73] M. de Belleval [74] y est pareillement, j’ai encore parlé à lui ce matin, on dit qu’il a acheté une charge de conseiller à Montpellier. M. Huguetan [75] imprime-t-il in‑fo les œuvres de M. Rivière, [76] ou in‑4o ? [36] On dit ici que, bientôt après les fêtes, le roi et toute la cour iront faire à Fontainebleau [77] un voyage de douze jours : voici tantôt le temps de se promener ; le roi est jeune, qui ne peut pas demeurer en place longtemps. Le roi sera couvert, étant là, de deux rivières de Seine et de Marne, et n’aura rien à craindre des courses du prince de Condé, [78] duquel on ne dit ici rien de certain. [37]

Si vous ne trouvez moyen de m’envoyer bientôt le paquet que vous avez pour moi de M. Volckamer (soit par quelque ballot de livres envoyés à M. Devenet ou à quelque autre, ou par le coche ou autrement), je vous prie de l’ouvrir et de me mander ce qu’il contient afin qu’étant ainsi averti, je puisse donner quelque ordre et même d’en écrire à Nuremberg [79] pour le paiement d’icelui, s’il est besoin, par la voie de M. Picques [80] qui ne manque point toutes les semaines.

Un des lieutenants du grand prévôt de l’Hôtel [38][81] me vient de dire qu’hier au soir, la nouvelle arriva que les Anglais et les Hollandais se sont accordés, et que leur paix est faite entre eux par l’entremise d’un ambassadeur vénitien. [39][82] Je n’en suis point marri, mais j’en connais qui auront regret de cette paix, par le moyen de laquelle les Anglais, étant de toutes parts libres, pourront aisément entreprendre sur plusieurs de leurs voisins. Je ne sais point en quel état est Bordeaux, mais il est à craindre que les malcontents de Guyenne et de Languedoc, quamcumque profiteantur religionem[40] n’aillent là chercher du secours pour se maintenir. Il y a ici un des fils de M. de Saumaise, [83] qui dit que Monsieur son père voudrait bien revenir en France y achever ses jours. Je voudrais qu’il y fût et que nous eussions une bonne paix.

Je me recommande à vos bonnes grâces et à mademoiselle votre femme, et vous assure que je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce mardi 8e d’avril 1653.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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