< L. 308.
> À Charles Spon, le 1er avril 1653 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À Charles Spon, le 1er avril 1653
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Je vous envoyai ma dernière datée du 7e de mars par la voie de M. Garnier, [2] votre confrère, auquel j’avais fait réponse pour une lettre qu’il m’avait fait l’honneur de m’écrire. Les Anglais avaient retenu prisonnier jusqu’ici le troisième fils de leur feu roi, [3] que l’on nomme le duc de Gloucester. [4] Enfin, ils l’ont mis en liberté et l’ont envoyé à Calais avec 50 000 écus qu’ils lui ont donnés. On dit qu’il ne vient point de deçà, mais qu’il s’en va en Hollande y trouver sa sœur la princesse d’Orange, [5] qui est veuve. Il y a un proverbe grec qui chante que Stultus ille est qui occiso patre sinit vivere liberos, [1][6] mais les Anglais témoignent par ce fait qu’ils ne craignent rien. Ils lui ont défendu de rentrer de sa vie en Angleterre et que si on l’y trouvait jamais, ils le feraient mourir. Le roi [7][8] a tant dansé pour son ballet qu’il en est devenu malade. [9] Il a été saigné [10] le dimanche 9e de mars pour la fièvre qui le tenait bien fort. Le même jour on l’a fait jouer, [11] il a gagné 3 000 pistoles, cela l’a si fort réjoui qu’il en est guéri. [2] Le Mazarin [12] a envoyé demander permission de manger de la viande ce carême [13] au curé de Saint-Germain-l’Auxerrois. [14] Il lui a refusé. Le Mazarin lui a renvoyé faire la même demande avec une attestation signée de deux médecins de la cour. Il l’a derechef refusée, alléguant qu’il ne connaissait point ces gens-là. Le même curé a été voir la reine [15] et l’a priée d’empêcher qu’en ce saint temps de carême on ne dansât plus le ballet. Elle ne lui a rien promis, mais elle a trouvé mauvais pourquoi il voulait empêcher les plaisirs et divertissements du roi. Le Conseil du roi a résolu d’assiéger Bellegarde, [16] on en fait ici les apprêts, les pionniers et mineurs sont ici qui n’attendent qu’après de l’argent. [3] On [a] déjà envoyé devant dix compagnies du régiment des gardes pour commencer, avec les troupes qui < se > joindront dans la province par les ordres de M. d’Épernon [17] et des états de la Bourgogne. [18] On [dit] pareillement qu’il faudra que Bordeaux [19] se rende bientôt au roi, étant enfermée tantôt [de] tous côtés. [4] On dit que le roi et la reine ne bougeront d’ici et que le Mazarin ira en Bourgogne à cause de Bellegarde, et delà qu’il passera à Bordeaux. Ce 14e de mars. Mais Dieu merci, voilà que je reçois votre lettre du 7e de mars, laquelle m’a fort réjoui. Je suis bien aise de savoir des nouvelles de votre santé et vous remercie très affectueusement des quatre livres du P. Th. [20] que m’avez envoyés, et du petit cinquième pareillement. J’ai envoyé au coche de Lyon tout à l’heure mon second fils, [21] lequel sur-le-champ m’a apporté et rendu le paquet, lequel a été maltraité dans le coche par quelque ferraille qui a gâté six feuilles de l’in‑4o du P. Th., mais il n’importe. J’ai envoyé le tout à mon relieur sur-le-champ, et moi-même ai porté la lettre et le paquet à M. Moreau [22] que je pensais prendre à la fin de son dîner, mais il était déjà sorti. J’ai jeté l’œil sur l’in‑4o du P. Th. où je l’ai entre autres vu fort en colère contre le bon Érasme, [23] nec tamen miror, cum probe meminerim authorem libri esse hominem Loyoloticum : [5] ces gens-là sont liés par le ventre et n’osent dire la vérité malgré les supérieurs de peur que l’on ne les mette à la porte. Au reste, j’ai reçu le tout franc de port. Je vous prie de tenir compte pour moi, tant du prix que vous ont coûté lesdits livres que pour le port même, et de m’en envoyer le billet afin qu’en payant comptant, je m’acquitte envers vous de ce côté-là puisque je ne le puis faire de l’autre, vous étant trop particulièrement obligé en tant d’autres façons. Faites-moi pareillement le bien de me mander si ce P. Th. est aujourd’hui à Lyon ou en Savoie [24] et si l’on n’imprime rien de nouveau de lui à Lyon. Il a autrefois pr[omis] un livre de apostatis religiosis où il avait dessein de mettre Judas tout le premier. [6][25] Je pense que cet ouvrage serait fort curieux, il n’oublierait point là-dedans Érasme, qui a été en sa jeunesse moine de l’Ordre de Saint-Augustin, [26][27] Buchanan, [28] ni Scaliger le père, [29] que Génébrard [30] et Scioppius [31] ont accusés d’avoir été cordeliers, [32] et tant d’autres quos fama obscura recondit. [7] L’Histoire des conclaves sera un livre bien friand, mais l’imprimeur [33] qui le fera doit se garder que les loyolites, qui sont les janissaires du pape, ne le découvrent et ne le mettent en peine p[ar un] procès ; cela se ferait plus sûrement près du lac Léman. [8] Si l’impression des œuvres de M. Rivière [34] est commencée, [9] vous me pouvez bien mander si c’est in‑fo et quels traités cet ouvrage contiendra : y aura-t-il quelque théorie, comme j’ai ouï dire ? Je voudrais qu’il y eût ajouté quelque belle pathologie avec une bonne méthode générale qui ne fût pas tant pharmaceutique et guère chimiste. Ces deux dernières pièces [10] donnent trop de mauvais exemples aux jeunes gens qui ne sont pas encore confirmés in fide neque in operibus artis, [11] et qui en abusent trop légèrement, pessimo multorum detrimento et publico incommodo. [12] Le Sennertus [35] in‑fo avance-t-il, en deux tomes, quand sera-t-il achevé ? M. Rigaud [36] ne travaillera-t-il jamais pour nous sur le manuscrit de notre bon et cher ami, feu M. Hofmann ? [13][37] On imprime quelque chose de lui à Nuremberg, [38] j’espère que M. Volckamer, [39] à qui j’ai écrit depuis peu, m’apprendra ce que c’est par sa première réponse ; il m’a mandé que c’étaient des questions de médecine. Cette nuit dernière a été, par commandement du roi, arrêté prisonnier un conseiller de la Cour, nommé M. de Croissy-Fouquet. [40] Il était un des exilés, avec défense de rentrer dans Paris. On a découvert qu’il y était, caché chez un tonnelier, on l’a mené à la Bastille. [41] Il a jusqu’ici merveilleusement été du parti du prince de Condé, [42] cela met sa personne en plus grand danger. [14] On dit que le roi sortira de Paris au premier beau temps et qu’il ira prendre l’air à Fontainebleau, [43] mais que la reine demeurera à Paris. [15] J’ai fait présent à M. Riolan [44] d’un petit livret fraîchement imprimé à Londres et fait par M. Caspar Bartholin, [45] de lacteis thoracicis. [16] Il l’a, ce dit-il, lu avec grand plaisir et puis l’a réfuté. Il en a fait un petit livret d’environ quatre feuilles qu’il fera imprimer bientôt ; [46] c’est contre l’opinion de Pecquetus : [47] il dit qu’il a bien raffiné là-dessus et que ni Bartholin, ni Pecquet n’entendent pas ce mystère. [48][49] M. Du Buisson, [50] libraire de Montpellier, est enfin arrivé, il étalera la semaine prochaine ses livres dans une boutique de la rue Saint-Jacques [51] qu’un libraire lui prête, aussi bien que son nom, afin de les pouvoir ici débiter impunément. [17] Je tâcherai d’y aller et vous manderai ce que j’en aurai vu ou acheté. Il s’est vanté d’avoir beaucoup de livres rares et curieux, et principalement d’histoires. Le duc de Damville [52] est disgracié et congédié de la cour, on croit que c’est quelque soupçon que l’on a eu de quelque faveur du roi envers lui. [18] On parle de faire le procès de M. de Croissy-Fouquet : M. le chancelier [53] a été au Parlement, où ont été nommés des commissaires pour l’interroger ; c’est la garce de son valet de chambre qui l’a trahi et fait prendre ; on dit pourtant qu’il n’en mourra point, pour la crainte et la conséquence des représailles. M. le chancelier est retourné au Parlement le 18e de mars y porter l’amnistie pour le comte Du Dognon [54] qui remet son gouvernement au roi moyennant un bâton de maréchal de France et 500 000 livres qu’on lui promet ; on n’en tient pourtant encore rien d’assuré. [19] Le même jour, le roi est parti pour aller à Fontainebleau avec le Mazarin. [15] On dit que c’est pour divertir le roi de la pêche d’un étang ; d’autres, que le duc d’Orléans [55] s’y doit rendre ou tout au moins, y envoyer de sa part pour y faire son accord, sed omnia sunt incerta. [20] il en est revenu trois jours après. Je vous supplie de présenter mes très humbles recommandations à Messieurs vos confrères, MM. Gras, Garnier et Falconet. On a ici reconnu quelques capitaines de M. le Prince qui y ont été arrêtés et mis dans la Bastille. On nous promet ici un jubilé [56] pour quelque temps avant Pâques, c’est une consolation pour ceux qui y croient, et même pour ceux qui n’y croient point car il y a beaucoup de gens qui y gagnent. < Ce > samedi 22e de mars. J’ai vu passer ce matin en grande pompe dans la rue un chariot couvert d’un deuil superbe, tiré de six beaux chevaux bien enharnachés, suivi de plusieurs cavaliers et de quelques autres carrosses à six chevaux qui prenaient le chemin de la rue de la Harpe. [21][57] C’est le corps de feu M. de Nemours [58] que l’on porte à Annecy [59] en Savoie [60] pour être mis dans le tombeau de ses ancêtres. C’est celui que M. de Beaufort, [61] son beau-frère, tua en duel [62] le mois de juillet passé. Et tout cela n’est que malheur et vanité de prince, sorte de gens qui ne font la plupart bien que lorsqu’ils meurent. S’il ne se fût point laissé tuer, il pourrait encore être en vie et avoir épargné toute la dépense de ses funérailles. Il n’est rien tel que de vivre, bonum est nos hic esse. [22][63] Je voudrais bien m’empêcher de vous donner des commissions, mais pardonnez-moi, s’il vous plaît, en voici encore une qui me presse : je vous supplie de me chercher un livre imprimé à Lyon intitulé Breviarium Chronologiæ sacræ et humanæ, auct. Theop. Raynaudo, cum Auctario Claudii Clementis, in‑fo grandi, [64] et du même auteur, De Modo procedendi in Societate, in‑8o, Preces sanctorum, in‑8o, De sacra Synode Bisontina, etc., De origine Carthusianorum ; [23] et en même temps, je vous demande pardon de tant de peines que ma curiosité vous donne. Ce 25e de mars. Le prince de Condé a ici envoyé un trompette en faveur du conseiller arrêté nommé M. de Croissy-Fouquet. Il était au Bois de Vincennes, [65] on l’a ramené à la Bastille ; l’on dit qu’il doit être examiné cette semaine, mais l’on doute si on ira jusqu’à la mort, pour la juste appréhension des représailles dont le prince de Condé menace. On tient ici pour mort votre cardinal de Lyon [66] et qu’il en est venu un courrier exprès à M. le maréchal de Villeroy. [24][67] On [dit] aussi que M. d’Aisnay [68][69] aura l’archevêché de Lyon, et que le Mazarin aura la charge de grand aumônier et ses abbayes : sic omnes fluvii currunt ad mare, quod numquam redundat. [25][70] On dit ici, après la reine, que le roi de Pologne [71] est mort de poison que ses sujets lui ont donné, [72] ayant reconnu qu’il avait envie de se rendre souverain dans son royaume. Il a un frère [73] qui pourra bien être son successeur comme fils de roi et frère des deux derniers rois. Ce dernier avait été jésuite, par après cardinal, enfin roi ; et puis le voilà mort : Omnia fuit, et nihil expedit, [26][74] il est venu au gîte, comme tous les hommes y viennent tous les jours. Je vous supplie très humblement de faire mes recommandations à M. Duhan, [75] libraire de Lyon, et de le remercier en mon nom du livre du P. Théophile, qu’il m’a envoyé. [5] Je suis bien en peine de M. Musnier, [76] médecin de Gênes, [77] duquel je n’ai reçu aucune lettre il y a longtemps. Je vous prie de faire en sorte que M. Ravaud [78] vous délivre le paquet qu’il doit recevoir pour moi de ce pays-là et d’en payer tout ce qu’il faudra ; et puis après, nous aviserons du moyen de les faire venir de deçà tandis que vous l’aurez chez vous en votre garde. Je suis fort en peine de ce M. Musnier et en ai quelque sinistre opinion en l’esprit. Votre Sennertus en deux tomes sera-t-il bientôt achevé ?[13] Imprime-t-on à Lyon en français ou en italien, in‑8o ou in‑4o, les conclaves des papes et depuis quel temps ?[8] A-t-il commencé devant 100 ou 200 ans en çà ? Ce livre doit être bien curieux et bien agréable. On dit ici que ceux de Bordeaux se sentant fort pressés et se voyant en danger, commencent à vouloir se bien remettre au service du roi et à demander l’amnistie. [4] J’ai délivré la Vie de M. Dupuy, [79][80] faite par M. Rigault, à un honnête homme lyonnais nommé M. de Caimis, [81] qui l’a mis dans sa valise et qui m’a promis de vous le faire délivrer dès que sa valise sera à Lyon. Voyez-y à la page 39 et 40 où le cardinal de Richelieu [82] est déchiffré ; [27] et recevez ce petit présent en bonne part en attendant que le paquet, que je vous envoie par la voie et dans une des balles de M. Jost, [83] vous soit rendu, comme il me promet que ce sera, avant la fin du mois présent. Ce 1erd’avril. J’ai reçu nouvelles ce matin de M. Musnier de Gênes, lequel a pensé mourir, il a été cinq semaines au lit. Son paquet de livres était encore à Gênes lorsqu’il m’a écrit, mais il me mande qu’il s’en va bientôt l’envoyer à Marseille. Les troupes du prince de Condé ont repris la ville de Sarlat. [28][84] Le P. Faure, [85] cordelier qui suis histrionicis concionibus [29] avait gagné l’an passé l’évêché de Glandèves, [86] a attrapé depuis quelque temps l’évêché d’Amiens. [87] Un autre cordelier nommé le P. Ithier, [88] avec de l’argent qu’il avait touché de deçà, avait entrepris une conspiration dans Bordeaux pour remettre cette grande ville entre les mains de M. de Vendôme [89] et de M. de Candale, [90] qui étaient là tout près. Les moines et les moinesses étaient de la partie, mais le tout a été découvert. Le P. Ithier a été fait prisonnier, et même est déjà pendu si le prince de Conti, [91] qui autrement était perdu, n’a eu quelque respect pour la conséquence des représailles. [30] On dit que les Espagnols menacent Calais [92] du siège, on y a envoyé d’ici quelques troupes. Le procès de M. de Croissy-Fouquet va fort lentement, il y a grande apparence qu’on ne lui fera rien. C’est peut-être de peur que le prince de Condé ne se venge de deçà sur quelqu’un qui serait innocent. Le Mazarin a le cordon bleu [93] et est grand aumônier à la place de votre défunt cardinal, [31] mais on ne dit point encore assurément qui aura l’archevêché de Lyon ; néanmoins, on croit que ce sera M. l’abbé d’Aisnay. [25] Unum mihi superest quod scribam : [32] faites-moi la faveur de me conserver en vos bonnes grâces et de croire que je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, Guy Patin. De Paris, ce 1er d’avril 1653. | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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