L. latine 219.  >
À Christiaen Utenbogard,
le 25 novembre 1662

[Ms BIU Santé no 2007, fo 117 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Christiaen Utenbogard, à Utrecht.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Il y a quelques jours, sur son invitation, j’ai remis à Johann Droüard, chirurgien de chez vous, [2] des lettres à votre intention, dont une pour Simon Moinet, que je vous demandais de lui remettre en toute sûreté ; [1][3] mais je vous écris maintenant pour une autre raison, en vous priant de pardonner ma curiosité : Samuel Desmarets, Français de souche qui est pasteur en Hollande, [4] homme fort savant et d’immense science, a publié jusqu’ici quantité d’ouvrages et d’opuscules qui m’ont permis de le connaître et dont j’ai un grand nombre ; mais un catalogue de tous ses ouvrages m’est tombé entre les mains, qui me fait connaître que beaucoup me manquent, dont je vous joins la liste, [2] en vous priant que quelque libraire de chez vous me les cherche et les achète ; notre Simon Moinet vous en remboursera le prix sans délai. [Ms BIU Santé no 2007, fo 118 ro | LAT | IMG] Dans toute la liste de ce qui me manque et que je vous envoie, plusieurs sont des opuscules plutôt que des livres ; mais peu importe ce qu’ils sont, pourvu que vous me les procuriez. Pensez donc à faire tout votre possible pour me les obtenir et vous me tiendrez pour lié à vous par la plus immense des reconnaissances. Ne vous souciez nullement du prix à payer, je vous le rembourserai intégralement, sans façon et de très bon cœur. Comment notre ami M. Marten Schoock se porte-t-il ? Quelle nouveauté nous prépare-t-il ? Quand la nouvelle édition de son traité de Cervisia et son livre de Fermentatione paraîtront-ils ? [3][5][6] que pense-t-il de nous envoyer son fils ? [7] Ce 18e de novembre, notre reine a accouché d’une petite fille. [8][9] Dans peu de jours, notre roi s’en ira à Dunkerque ; [10][11] dès qu’il en sera revenu, on dit que, même au milieu de l’hiver, il enverra une armée en Italie contre le pape, [12][13] sous les auspices et le haut commandement du prince de Condé, [14] qui aura sous ses ordres un éminent guerrier, M. Du Plessis-Praslin, maréchal de France. [15] Il n’y a pas même une lueur d’espoir pour Nicolas Fouquet. [16] Sachez aussi que nous aurons le roi d’Espagne ; [17] de notre côté dans cette guerre que nous méditons de mener contre le Jupiter capitolin, mais nous serons bien plus forts si Dieu continue d’être favorable à notre roi. [4][18] À quoi votre Voetius s’attaque-t-il de nouveau ?  Ne garde-t-il pas le silence, sans réagir contre le décret de votre magistrat ? [5][19][20] Mieux vaut se taire que mal agir. Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, ce 25e de novembre 1662.

Votre Guy Patin de tout cœur.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a envoyée à Christiaen Utenbogard, ms BIU Santé no 2007, fos 117 vo‑118 ro ; imprimée dans Brant, Epistola lxxi (pages 225‑227).

1.

La lettre de Guy Patin à Christiaen Utenbogard était celle du 12 novembre 1662.

2.

Le ms BIU Santé no 2007 ne conserve pas la copie de cette liste des ouvrages de Samuel Desmarets (v. note [14], lettre 76) que Guy Patin souhaitait acquérir. Elle n’accompagne pas non plus la version imprimée de la lettre.

3.

Marten Schoock ne réédita pas son traité « sur la Bière » (Groningue, 1661, v. note [1], lettre 719) ; celui « sur la Fermentation » (v. note [3], lettre 723) a paru au même endroit en 1663.

4.

Survol de l’actualité politique du moment : naissance (et mort rapide) d’Anne-Élisabeth, second enfant du couple royal ; voyage éclair de Louis xiv à Dunkerque, que la France venait d’acheter à l’Angleterre ; querelle avec le pape Alexandre vii (Jupiter capitolin) pour l’affaire des gardes corses ; retour en grâce du prince de Condé, en guerre ouverte contre la Couronne depuis 1650 ; prison de Nicolas Fouquet en attente de son procès ; alliance franco-espagnole. Le Soleil royal commençait à éblouir le monde.

5.

L’article de Bayle (1753, tome troisième, pages 33‑35) sur le théologien réformé allemand Matthias Nethenus (1618-1686) explique ce revers du parti voétien {a} dans une querelle qui intéressait beaucoup Guy Patin :

« Appelé à remplir une chaire en théologie à Utrecht, il accepta cette vocation le 24 avril 1654, et le 30 mai de la même année, Gisbert Voetius le créa solennellement docteur en théologie, après qu’il eut soutenu des thèses sur la transsubstantiation. {b} Il s’était élevé une dispute fort vive à Utrecht entre les théologiens et les chanoines titulaires sur l’usage des biens ecclésiastiques. {c} Les magistrats demandèrent aux ministres, en 1659, de donner leur avis par écrit sur cette matière ; ils se trouvèrent de deux opinions différentes. Nethenus recueillit, des écrits publiés là-dessus, les points sur lesquels ces Messieurs étaient d’accord, et publia en 1660 cette pièce en hollandais sous ce titre, Uniformité du jugement des ministres d’Utrecht sur l’usage des biens ecclésiastiques. Desmarets, {d} professeur à Groningue, y opposa de Courtes Réflexions, auxquelles Nethenus répliqua par un écrit intitulé Défense nécessaire de l’Uniformité des pasteurs d’Utrecht, qui parut en 1661. Les états de la province de Groningue écrivirent à ceux de la province d’Utrecht et au magistrat de la ville pour se plaindre des injures et des calomnies répandues dans le livre de Nethenus contre eux et contre Desmarets, premier professeur en théologie dans leur Université, demandant satisfaction. Les griefs parurent si bien fondés aux magistrats d’Utrecht que le 14 avril 1662, ils privèrent Nethenus de son emploi par une résolution […]. Le professeur déposé vécut sans emploi jusqu’en l’année 1669, qu’il fut appelé à Herborn {e} en qualité de pasteur, et d’inspecteur des Églises et de professeur en théologie. En 1674, il demanda par requête que la sentence portée contre lui à Utrecht fût annulée, mais il ne put l’obtenir. »


  1. V. note [8], lettre 534, pour le théologien calviniste extrémiste Gisbertus Voetius, meneur du parti voétien d’Utrecht, auquel adhérait Nethenus.

  2. V. note [5], lettre 952.

  3. Les échos de cette querelle ont retenti dans deux ouvrages de Marten Schoock et dans un autre de Gisbertus Voetius sur ce sujet (v. notes [25], [33] et [36], lettre de Christiaen Utenbogard, datée du 21 août 1656).

    V. note [13], lettre 234, pour les cinq chapitres de chanoines d’Utrecht. Christiaen Utenbogard avait été reçu comme laïc dans ce chapitre en 1662 (v. note [1], lettre latine 202).

  4. Samuel Desmarets, v. supra note [2].

  5. Ville allemande de Hesse.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 117 vo.

Cl. viro, D. Christiano Utenbogardo, Ultrajectum.

Ante paucos dies, Vir Cl. monitu Io. Droüard, Chirurgi vestratis,
literas ad te dedi, cum Epistola ad Sim. Moinet, pro qua Te rogabam, ut
ei tutò redderetur : Nunc a. alia de causa ad te scribo, pro qua Te rogatum
velim, ut ignoscas meæ curiositati : Samuel Maresius, gente Gallus, ut et
Ecclesiastes in Hollandia, vir sanè eruditus, et multæ lectionis, multa
hactenus edidit tam Opera quàm Opuscula, per quæ mihi innotuit, et
ex quib. multa habeo : nuper a. incidit in manus meas omnium ejus Operum
Nomenclator
, ex quo facilè cognovi quàm multa mihi deessent, quo-
rum Catalogum, ecce ad Te mitto, rogóq. ut per aliquem Bibliopolam
vestratem, ea mihi quærantur, ac emantur : pro quorum emptione im-
pensam pecuniam statim Tibi repræsentabit noster Simon Moinet.

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 118 ro.

In toto illo Indice eorum quæ mihi desunt, quem ad Te mitto, plura sunt Opus-
cula
quàm libri : sed nihil refert, qualiacumque sint, modò habentur. Cogita
ergo de illis recuperandis, quantum fieri poterit : et me quammaximo bene-
ficio Tibi obstrictum habebis. De pretio restituendo ne cures quidquam, totum
lubens et facilè refundam. Amicus meus noster D. Mart. Schoockius, quî valet ?
quid novi molitur ? nova ejus editio de Cervisia, et de Fermento, quando
procedit ? quid cogitat de Filio ad nos mittendo. Regina nostra filiolam
peperit, die 18. Nov. Rex noster cis paucos dies iturus est Dunquerkam,
unde postquam reversus fuerit, dicitur etiam media hyeme, missurus in Italiam,
exercitum contra Papam, sub auspicijs atque summa dictatura Principis
Condei,
qui sibi vicarium habebit egregium bellatorem, Dominum du Plessis-
Pralin,
Galliæ Polemarchum. De Nic. Fouquet, ne γρυ quidem. Scias
a. velim nos habituros Regem Hispaniæ nobis faventem in bello isto quod
adversus Iovem Capitolinum gerere meditamur. Sed longè fortiores
futuri sumus, si Deus Regi nostro favere pergat. Voetius vester quid
novi tentat ? siletne, et ac otiosus remanet, Magistratus vestri decreto ?
melius est tacere quàm malè agere. Vale, Vir Cl. et me ama. Datum
Parisijs, die 23. Octo 25. Novembris, 1662. Tuus ex animo Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Christiaen Utenbogard, le 25 novembre 1662

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(Consulté le 12/12/2024)

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