L. 203.  >
À Charles Spon,
les 19 et 22 octobre 1649

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, les 19 et 22 octobre 1649

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0203

(Consulté le 19/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Je vous ai écrit le vendredi 8e d’octobre la dernière fois, il y avait deux lettres ensemble. Depuis ce temps-là, j’apprends que M. l’évêque de Riez, [2] nommé Dony d’Attichy, [3][4][5] par ci-devant minime[6] s’en va faire imprimer l’Histoire des cardinaux en latin, en deux volumes in‑fo[1] Je pense que vous savez bien que depuis environ neuf ans un honnête homme d’ici, nommé M. Aubery, [7] a fait imprimer l’histoire des cardinaux depuis le commencement de leur création jusqu’à la fin du siècle dernier, en cinq volumes in‑4o[2] Maintenant il travaille au sixième, qui ira jusqu’au cardinal de Richelieu, et le septième, jusqu’au Mazarin. [8] L’évêque de Riez se sera infailliblement servi du travail de M. Aubery pour en grossir son livre ; et s’il ne fait mieux, sans doute qu’il aura tâché de faire autrement. Nous aurons ici bientôt les Commentaires de César traduits par M. d’Ablancourt [9] avec des cartes et de bonnes notes géographiques, in‑4o[3] Aussi aurons-nous en même temps les Œuvres latines de M. de Balzac [10] in‑4o, qui seront en vers et en prose ; il y aura entre autres quelques épîtres latines. [4] On imprime ici l’École de Salerne en vers burlesques[11] Le traducteur [12] m’en a fait voir aujourd’hui quelques feuilles et m’a dit qu’il me voulait dédier cette traduction. Ce sera un petit in‑4o[5] L’évêque de Riez a eu par ci-devant un frère jésuite, et m’a été dit à l’oreille qu’un autre jésuite a travaillé pour lui à cette histoire des cardinaux : sic solent Cardinales et Episcopi[6] Un savant homme angevin, nommé M. Ménage, [13] s’en va faire imprimer ici un livre fort curieux qui sera intitulé Des Origines de la langue française. Il voudrait bien savoir d’où vient le terme Antimonium[14] faites-moi la faveur de me l’apprendre si vous le savez. [7] Le P. Petau [15] n’a pas été assez hardi pour entreprendre le voyage de Rome : on a fait assembler trois médecins, savoir leur ordinaire, qui est M. Guérin, [8][16] avec MM. Guénault [17] et Barralis, [18 qui tous trois ont déposé que s’il entreprenait ce voyage, il mettait sa vie en très grand hasard ; et de là s’ensuit, de peur de le perdre, qu’il n’ira pas. On imprime son deuxième tome de Incarnatione et par après il fera imprimer de Sacramentis, si la corde ne rompt, [9] et ce n’est pas ce qui me met fort en peine. Mais à propos d’impression, dites-moi s’il vous plaît en quel point d’avance est votre Sennertus ; [10][19] quand pensez-vous qu’il sera achevé ? Dites-moi pareillement quelque chose de Encyclopædia Alstedii[20] n’est-elle pas encore achevée ? [11] J’ai fait ici fête de votre Sennertus à bien du monde et à de mes amis de la campagne qui s’y attendent ; je m’attends bien que Messieurs vos libraires en auront bon débit. Le mercredi 14e de ce mois, j’ai soupé en grand festin et bonne compagnie ici chez un riche marchand nommé Jean Faveroles, [21] rue de la Chanvererie (il a plusieurs autres frères qui sont ici marchands). [12] Je suis leur médecin, il est mon bon ami. J’étais aussi le médecin de la plupart de ceux qui s’y trouvèrent, mais il y en avait un de Lyon nommé M. Rainon, [22] grosse tête emperruquée, âgé d’environ 38 ans. Comme nous parlions de la médecine et des médecins de Paris, il dit qu’il y en avait un à Lyon qui était l’Incomparable. Je souhaitais que ce fût vous qu’il voulût nommer. Quand je vis qu’il ne nommait personne, je vous nommai en disant que je vous tenais tel ; il ne fit pas semblant de vous connaître ; puis je nommai M. Gras, [23] puis M. Garnier, [24] et M. Falconet ; je lui dis encore qu’il y en avait un nommé M. de Rhodes, [25] que je ne connais pourtant que de nom. [13] Enfin, il nomma comme par exclamation un nommé M. Guillemin, [26] duquel pour lui faire dépit, je dis que je n’en avais jamais ouï parler, d’autant qu’il n’avait voulu nommer aucun des miens ni en louer aucun. Il le loue comme un saint et je pense qu’il l’eût canonisé s’il eût été pape ; qu’il avait la meilleure pratique de Lyon, qu’il était homme noble et généreux, qu’il étudiait fort, qu’il se levait dès deux heures du matin, etc. Je lui répliquai à cela que cet homme-là se tuerait de tant étudier et que c’était un moqueur de vivre ainsi ; qu’en l’âge auquel il était parvenu, il devait être savant sans se lever à deux heures pour se tuer par ces veilles trop immodérées. Ainsi, j’éludai ses louanges qui étaient trop affectées, et puis nous parlâmes d’autre chose. Il se trouve partout des oiseaux de Psaphon [27] et des gens assez sots pour les écouter. [14][28] Je dirais presque que ces gens-là sont gagés pour parler de ce qu’ils n’entendent pas. Je vous prie de me mander qui est ce M. Guillemin et quantus sit ; [15] je me souviens d’en avoir autrefois ouï parler à feu M. Guénault, [29] à qui je pense qu’il écrivait quelquefois.

Ce 17e d’octobre. Pour la vôtre datée du 8e d’octobre, laquelle a été neuf jours en chemin, je vous dirai premièrement que je la viens de recevoir et que je vous en remercie de tout cœur, comme aussi du bon accueil qu’avez fait à M. Mauger, mon compatriote ; [30] Dieu le veuille bien ramener. À ce que je vois du nombre des livres qu’il s’est achetés à Lyon, enfin celui d’Alstedius est donc achevé. [11] Je vous prie de me mander combien il coûte en blanc dans Lyon, et environ quand pourra être achevé le Sennertus[10] Je me tiens obligé à la bonté de M. Ravaud [31] pour les lettres de change qu’il lui a données ; je vous prie de lui dire que je l’en remercie, comme je fais à vous aussi pour toutes les peines qu’il vous a données. Je ne sais si tous ces voyages lui serviront, peregrinatio est inquieta, imo sæpe inutilis, corporis et animi iactatio ; [16][32][33] joint que son père est extrêmement irrité contre lui pour ce voyage qu’il a fait en votre ville. J’ai peur qu’il ne change de gamme et qu’au lieu de le souffrir se faire médecin de Paris, qu’il ne s’aille faire chartreux quelque part. [34][35] Si jamais il revient jusqu’ici, je tâcherai de le retenir par le moyen d’un expédient que j’ai à lui proposer.

Ne pensez point m’avoir de l’obligation quand je dis du bien de vous à vos Lyonnais, j’en suis si content et si très fort réjoui qu’il ne faut pas que m’en sachiez d’autre gré. Je suis alors du nombre de ceux qui habuerunt mercedem in vita sua[17][36] car, puisque je suis en termes de Sainte Écriture, fortis illa et suavis de te cogitatio mihi et merces amplissima, et magna nimis[18][37] et vous prie de croire qu’il ne se passe jour que je ne pense à vous plus de trois fois avec douceur et très ample satisfaction.

Si M. Bailly [38] votre chirurgien vous a parlé de moi, aussi ai-je fait de vous avec M. Rainon ; mais il ne m’a pas secondé, tant il avait à la tête son Guillaume et son Guillemin. [19] Votre M. Bailly est tout à fait l’homme de M. Garnier à ce que j’ai reconnu, et même il se dit son parent ou son allié. J’ai peur que vous ne vous moquiez de moi quand vous me comparez à un grand luminaire ; hélas, je me tiendrais heureux si je pensais être ou avoir place entre les plus petites étoiles du firmament. La peste [39] de Provence m’étonne et ai grande pitié de tant de pauvres gens qui n’ont rien mérité de pareil. Quand je vois qu’elle est si rude, qu’elle n’épargne pas même les médecins, je me souviens de ce beau mot qui est lib. 7, divini operis Metamorphoseôn : [40]

… inque ipsos sæva medentes
Erumpit clades, obsuntque authoribus artes
[20]

Au moins je souhaite que votre M. Bontemps, [41] qui a de si bonnes qualités que vous me dites, en réchappe. Notre M. Maurin [42] a ici quelque emploi, mais bien peu de santé. Il est tout hâve et tout desséché, presque tout tabide, [43] vivit tamen, aut saltem miseram vitam trahit[21] Le grand froid et le grand chaud sont également contraires à ces gens-là ; c’est pourquoi, en l’état qu’il est, il doit craindre l’hiver et l’été. Je vous prie de faire ce que vous pourrez pour ajouter à votre Sennertus le traité de Origine animarum in brutis afin que l’œuvre soit tant plus parfait, joint que ce traité est fort curieux. [22] Le livre de M. Vossius, [44] de Historicis Græcis, est sur la presse ; j’en ai vu la première feuille, où on promet qu’il en aura 75. Je ne dis rien de l’autre, qui sera de Latinis[23] Pour le Perdulcis [45] de M. Carteron, [46] je n’en ai point ouï parler, je souhaite que M. Ravaud se puisse souvenir à qui il l’a baillé. [24] Je ne dois point être malvoulu de nos libraires, [25] mais ils sont si coyons et si lâches que je le tiens perdu si je ne leur demande. Ôtez deux ou trois honnêtes gens qui sont parmi eux. Deux heures après votre lettre reçue, j’ai fait vos recommandations à M. Moreau, [47] m’étant trouvé avec lui chez un chirurgien pour un officier de finances qui laborat cephalalgia et insomnia diuturna, ex antiqua syphilide ; [26][48] il m’a témoigné de la joie quand il a su que vous aviez reçu sa lettre. [49]

Pour l’écrivain italien qui a médit des médecins, celui-là n’aura pas les gants : Pline [50] l’oncle, Montaigne, [51] et quelques autres en ont bien fait autant ; et Agrippa [52] aussi. [27] Mais pour ce qui est des médecins et des avocats ensemble, je vous dirai que je me souviens que l’an 1617, au mois de février, que l’hiver fut extrêmement rude, feu mon père [53] et feu ma mère [54] m’envoyèrent quérir du collège et me tinrent chez nous tant que le froid fût passé, ou au moins sa grande rigueur, de peur que je ne fusse pas bien chauffé au collège ; je me souviens que ces petites vacances m’étaient très agréables et qu’étant auprès d’un grand feu, fort à mon aise et où le bois ne coûtait rien, je lus presque tout entier un in‑fo des livres de feu mon père. C’étaient les Commentaires de Montluc [55] (que je n’ai céans qu’in‑8o). [56] Il peste et déclame là-dedans fort rudement contre le grand nombre de médecins, d’avocats et de procureurs, qu’il appelle vermine de Palais ; et si je ne me trompe, il invective contre un certain procureur de Bordeaux, nommé Menart < sic >, qui eut, ce dit-il, l’impudence de faire bâtir une des plus hautes maisons de la ville et fit mettre sur la porte ces deux vers :

Faux Conseil et mauvaises têtes
M’ont fait élever ces fenêtres
[28]

Un gentilhomme nommé Rampalle [57] a fait ici des Discours académiques, dans l’un desquels il s’étend fort contre l’inutilité du trop grand nombre des gens de lettres dans un État, où il n’épargne ni les médecins, ni autres. [29] J’avoue véritablement qu’en France il est trop de prêtres et de moines, et trop de ministres de chicane, j’entends procureurs et sergents de toutes façons. Je ne doute pas même que, dans la campagne et dans les petites villes, il n’y ait trop de médecins, et iceux même fort ignorants : dans Amiens, [58] qui est une ville désolée de guerres et de passages d’armées, il y a aujourd’hui 20 médecins. Mais ce dont il y a trop infailliblement en France sont des moines [59] et des apothicaires, [60] qui coupent misérablement la bourse et la gorge à beaucoup de pauvres peuples. En récompense, il est fort peu de bons et sages médecins, qui aient été bien instruits et bien conduits. J’en vois même ici qui malunt errare quam doceri[30] combien qu’ils aient de beaux moyens de s’amender. Pour la campagne, elle fourmille de chétifs médecins qui de se nihil nisi magnifice sentiunt[31][61] parce qu’ils ont mis le nez dans le Perdulcis [24] dont ils n’entendent peut-être que la moitié des termes, ou qu’ils ont ouï parler de Diamargaritum[32][62] d’apozèmes, [63] de juleps cordiaux [64] et de vin émétique. [65] La principale cause de ce malheur est la trop grande facilité des petites universités à faire des docteurs : on baille trop aisément du parchemin pour de l’argent à Angers, [66][67][68] à Caen, [69] à Valence, [70] à Aix, [71] à Toulouse, [72] en Avignon ; [73] c’est un abus qui mériterait châtiment puisqu’il redonde au détriment du public ; [33] mais de malheur, nous ne sommes point en état d’amendement. [74][75] Incidimus in miserrima tempora ; ― quibus omnia fatis In peius ruere, et retro sublapsa referri : [76]

Funditus occidimus, nec habet Fortuna regressum ; [34]

et tout cela par la faiblesse de nos princes, per improbitatem et effrænatam libidinem dominantium[35] Mais peut-être que Dieu enfin aura pitié de nous et qu’il les changera. Amen. Interea v. tu, flos amicorum, bene age, atque vale[36] Je suis de tout mon cœur, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 19e d’octobre 1649.

Je vous envoie ma lettre qu’un malheur arrivé mardi dernier à deux lieues d’ici, qui m’obligea d’aller aux champs tout à l’heure, me fit oublier d’envoyer ce même jour-là au bureau. [37] Il n’est ici arrivé rien de nouveau depuis ce temps-là. Nous ne savons rien, ni de Bordeaux, [77] ni d’ailleurs. [38] J’attends impatiemment le manuscrit pathologique. [39][78] Je vous supplie de faire mes recommandations à MM. Gras, Garnier, Falconet, Huguetan et Ravaud. Quand est-ce que le Sennertus sera achevé ? [10] Plusieurs à qui j’en ai parlé par ci-devant m’en demandent tous les jours des nouvelles. Un médecin de Chartres [79] m’a envoyé de l’argent pour lui en acheter un. Pourra-t-il bien être fait avant Noël prochain ? M. Harvæus, [80][81] médecin de Londres, premier auteur et inventeur de la circulation du sang, a fait un petit livret imprimé à Londres qu’il a dédié et envoyé à M. Riolan ; [82] C’est touchant cette même controverse. M. Riolan s’en va lui répondre, c’est un in‑12, qui ne sera pas si gros que le premier. [40][83] Il m’a dit qu’il a dessein de le dédier à celui qui est aujourd’hui notre doyen, M. Piètre, [84] fils de feu M. Nicolas Piètre [85] qui a été un homme incomparable ; et vraiment celui-ci n’est pas indigne d’un tel père, vu qu’il est bien sage et bien savant. Il y a ici quantité de fièvres [86] erratiques, [41][87] tierces, quartes, [88] dysenteries, [89] et les malades y sont en si grand nombre que je n’ai aucun loisir de me retourner que fort peu après souper. Je vous baise les mains de toute mon affection et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce vendredi 22e d’octobre 1649.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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