L. 752.  >
À Charles Spon,
le 5 juin 1663

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 5 juin 1663

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(Consulté le 20/04/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Je vous rends grâces de votre très belle, très bonne et grande lettre. Quand M. de Zollikofer [2] vous verra à Lyon, je vous supplie de vous souvenir du jeton [3][4] d’argent que je vous ai envoyé pour lui. Si vous en désirez pour vous, je vous en enverrai pour vous et pro uxore carissima[1] Votre mal d’yeux [5] ne vient que de trop veiller et de trop étudier, nihil remittis, nec te respicis[2] Point de veilles, point ou peu de vin, quelques saignées et purger [6] souvent sont les vrais remèdes à ce mal ; sed me contineo[3] vous savez mieux que moi ce qu’il y faut faire. Dieu soit loué que vous vous en portez mieux. Ce que j’ai délivré à M. Josse [7] pour vous vous sera rendu par M. Bailli. Je ne me souviens point de ce que vous m’écrivez touchant cet Opus Marianum[8] je ne sais ce que c’est, peut-être qu’un petit mot de votre part m’en fera souvenir. [4] M. Bailli vous rendra le paquet franc de port. M. Morisset [9] est fort habile homme, parle bien latin et entend bien la pratique. Ce n’était point son fait de quitter Paris où il avait assez d’emploi et aurait bien pu en avoir davantage. Favet non supra modum pharmacopœis ; [5] mais les désordres de sa famille et sa vanité trop ambitieuse, avec le nombre de ses créanciers, l’ont obligé de prendre le parti qui s’est offert de Turin [10] et que plusieurs autres avaient refusé. Agit annum ætatis 69[6] nous sommes de même licence [11] et de même pays : il est natif de Beauvais [12] même, fils d’un sergent, et moi d’un petit village nommé Hodenc-en-Bray [13] à trois lieues delà, mais de bonnes gens que je ne voudrais pas avoir changés contre de plus riches. [14][15] J’ai céans leur portrait devant mes yeux, je me souviens tous les jours de leur vertu et je serais bien aise d’avoir l’innocence de leur vie, qui était admirable. Non sic vivitur in urbibus, præsertim Parisiis[7] nous vivons à Paris comme Juvénal [16] a dit de Rome : Hic vivimus ambitiosa paupertate omnes, etc. Qui minus cupit ille ditior est[8] Je ne vois plus que de la vanité, de la misère et de l’avarice, de l’imposture et de la fourberie, Hæc tetigit, Gradive, tuos urtica nepotes[9][17][18] Je pourrais vous dire avec le prophète non est qui faciat bonum, non est usque ad unum, omnis caro corrupit viam suam[10][19] Dieu nous a réservés pour un siècle fripon et dangereux, il y aura bientôt grande conséquence d’être homme de bien et gratis pænitet esse probum[11][20] tant est grande la corruption de toutes sortes de gens depuis tantôt 40 ans, par la guerre, par deux {infâmes} [12] cardinaux qui ont été deux grands tyrans, et par le règne des partisans qui ont tout dérobé et épuisé la France, sed usquequo Domine ? [13][21] Mais voilà un mauvais entretien que je vous fais des calamités et de la misère de notre siècle. Pardonnez, s’il vous plaît, à ma passion, je voudrais bien qu’il n’y eût point tant de méchants et que le monde voulût amender, rari quippe boni. Utinam epiphora tua cito desinat et nunquam revortatur ; fuge lectionem multum, et lucubrationes nocturnas[14][22][23] Victor Conradus Schneiderus [24] a fait cinq tomes de Catarrhis [25] in‑4o où il tâche de raffiner sur les défluxions [26] et sur les larmes, mais tout cela est bien long ; c’est un professeur en médecine de Wittemberg en Saxe. [15][27] M. Ravaud [28] m’a délivré un Cardan [29] en blanc, de papier commun, et < nous > avons porté et présenté à M. le premier président [30] son beau en maroquin, qui a témoigné en avoir grande joie, etc. Post hæc aliud scribam[16] et particulièrement sur ce que vous témoignez de la joie de < ce > qu’ils m’ont donné un Cardan. Je ne sais rien de nouveau du livre de M. Bouvard, [17][31] aussi ne vaut-il rien. Pour M. Cousinot, [32] son gendre, qui était un galant homme, je voudrais bien que les opuscules que vous avez de lui fussent imprimés. [18] Je m’offre d’en prendre un cent, papier de façon < sic >, aussi bien que les épîtres de feu M. Naudé, [33] notre cher ami. [19] Je baise les mains à M. de La Poterie, [34] duquel je voudrais bien savoir quand sera achevée l’édition de toutes les œuvres du P. Théophile, [35] duquel j’ai les deux premiers tomes que M. Piget [36] me vendit il y a environ quatre mois. Pour les lettres de M. Naudé, les imprime qui pourra, je n’avancerai pas d’argent, ce n’est ni la raison, ni la coutume ; mais j’en prendrai cent exemplaires que je m’offre de payer comptant, selon les termes de ma lettre que vous avez du 3e de mars. [20] Il me semble que cela est assez raisonnable. Je ferai vos recommandations à M. Fouquet < sic pour Joncquet >, [37] qui court après à busquer fortune avec M. Vallot, [38] et duquel les soins ont fort embelli le Jardin royal. [39] Je m’enquerrai de votre M. Langier < sic pour Laugier >. [21][40] Pour le Journal des jansénistes[41] qui est un fort bon livre, ceux qui en ont ici quelques exemplaires de reste les vendront 22 livres en blanc, sans marchander ni rien rabattre. C’est le prix qui a été fait dès le commencement. Si M. de Gonsebac [42] en veut un à ce prix-là, je pense que j’en pourrai bien avoir un ; cela ne se vend qu’en cachette. Je lui baise très humblement les mains. C’est M. de Saint-Amour, [43] docteur de Sorbonne, [44] qui l’a composé et l’a fait imprimer à ses dépens, et qui y a mis son nom et qui est sorti du royaume propter metum Iudæorum, vel potius propter metum paganorum baptisatorum[22] qui se disent chrétiens et qui sont pires que des juifs. Vous savez quels sont ces bonnes gens dont j’entends parler, vous ne doutez point que ce sont des carabins qui sont sortis de la braguette du P. Ignace, [45] qui voulut passer pour prophète de la nouvelle loi, qui composent cette noire et forte machine qui étend ses bras jusqu’à la Chine[23][46][47]

3e de juin. Je viens de parler à M. Joncquet qui vous baise les mains ; [21] il m’a dit que M. Langier est retourné en son pays où il croit qu’il est mort. Le roi [48][49] a été malade de la rougeole, [50] pour laquelle il a été saigné [51] quatre fois, et a quibus feliciter convaluit[24] La reine mère [52] est tout à fait hors de fièvre, il ne lui faut plus que du temps pour la remettre. Elle n’a point pris de vin émétique [53] et en a dit de belles vérités à Guénault [54] même qui lui en voulait donner. La Chambre de justice [55] est transférée à l’Arsenal, [56] et gare la tête ! Il court ici un gros factum pour M. Fouquet in‑4o [57] dans lequel se voient d’étranges choses. [25] Je ne m’étonne pas si nous sommes si malheureux en France, on voit là-dedans bien des voleries. Ses amis ont grand’peur pour lui, et ont raison ce me semble, vu le pouvoir très grand de ses ennemis qui sont à ce qu’on dit M. le chancelier[58] M. Colbert, [59] M. Le Tellier [60] et autres. Je baise les mains à M. de La Poterie, je vous prie de lui dire qu’il tâche de me recouvrer tant qu’il pourra des lettres latines de feu M. Naudé, notre bon ami ; j’ai trouvé un bon moyen de faire paraître l’édition. Le roi est bien guéri de sa rougeole ; l’on dit qu’il viendra voir la reine sa mère dans deux jours, il a jusqu’ici été à Versailles. [61] On parle fort du procès de M. Fouquet, et même de l’amener à la Bastille ; [62] il est encore dans le Bois de Vincennes. [63] On me mande de Francfort qu’il y a des Épîtres médicinales nouvellement imprimées de Thomas Bartholin [64] in‑4o, et qu’il y est parlé de moi ; [65] je ne sais pourquoi et n’en sais point davantage. [26] Je m’étonne de tant de méchants livres qu’on imprime tantôt partout. Il y a ici un médecin de Niort, [66] nommé M. Lussauld, [67] qui veut y faire imprimer une Apologie pour les médecins, contre ceux qui les accusent de trop déférer à la nature ; [27] il entend M. Amyraut [68] ministre de Saumur, [69] qui en a ainsi parlé dans le dernier tome de sa Morale chrétienne ; mais il ne trouve point de libraire qui s’en veuille charger et < je > ne sais s’il en viendra à bout tant nos gens sont froids et peu entreprenants. [70] M. Gras [71] se travaille en vain de combattre la saignée : elle est trop bien fondée sur la nécessité, laquelle nous oblige de nous en servir, et ce fort heureusement. Il y a des tonneaux à Hambourg, [72] qui viennent de Nuremberg, [73] dans lesquels il y a un paquet pour moi, et ce peut être quelque traité nouveau Mich. Dilherri, qui ante hæc multa scripsit[28][74] et adressé à M. Volckamer, notre bon ami commun. Te et tuam carissimam saluto. Vale, vir cl., et me ama.

Tuus ex animo, Guido Patin.

Parisiis, die Martis 5 Iunii 1663[29]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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