« grammairien ».
Guy Patin déplorait ici ce que Pierre i Seguin, Primarius Regiæ Medicus [premier médecin de la reine] avait écrit à la page e ij de son Elogium M. Ioan. Martini archiatri [Éloge de M. Jean Martin, archiatre], placé en tête des Prælectiones in librum Hippocratis… (v. note [3], lettre 31) : {a}
Tunc igitur aureum Coï senis de capitiis pertusionibus librum accurate et eleganter enarravit atque Josephi Scaligeri in Hippocratis explicatione σφαλματα notavit ac correxit, unde tanti Grammatici odium et invidiam incurrit conviciorumque plaustrum patientissime tullit vir modestissimus.
[Alors donc, il {b} a commenté avec précision et distinction le livre en or du vieillard de Cos {c} sur les plaies de la tête, et il a dénoncé et corrigé les bévues de Joseph Scaliger dans son explication d’Hippocrate ; à cause de quoi cet homme très doux a encouru la haine et l’hostilité du grammairien, et supporté avec immense patience une pleine charretée d’insultes].
- La notule {a‑v} de cette même note plaide fermement pour la mort de Martin en 1601, et non en 1609. Il fut premier médecin (archiatre) de Marie de Médicis pendant quelques mois de 1601.
- Martin.
- Hippocrate.
L’ouvrage attaqué par Seguin était le :
Hippocratis Coi de capitis vulneribus liber, latinitate donatus a Francisco Vertuniano, doctore medico Pictaviensi. Eiusdem Fr. Vertuniani Commentarius in eundem. Eiusdem Hippocratis textus Græcus a Iosepho Scaligero Iul. Cæ. F. castigatus cum ipsius Scaligeri castigationum suarum explicatione.
[Livre d’Hippocrate de Cos sur les plaies de la tête, traduit en latin par François de Saint-Vertunien, médecin poitevin ; {a} avec le commentaire du même Fr. de Saint-Vertunien sur ce livre, et le texte grec du même Hippocrate, corrigé par Joseph Scaliger, fils de Jules-César, {b} et l’explication de ses corrections]. {c}
- V. note [5] du Patiniana I‑4.
- V. infra note [5].
- Paris, Mamert Patisson, 1578, in‑8o, grec et latin juxtalinéaires ; dédié à Laurent Joubert, chancelier de l’Université de Montpellier (v. note [8], lettre 137).
En son temps, cette parution avait soulevé un tollé dans la Faculté de médecine (Nisard, Joseph Scaliger, chapitre v, pages 196‑197) :
« Un grammairien oser commenter Hippocrate ! oser y découvrir des choses que les bons médecins n’y ont pas vues, même en rêve ? Par Minerve, c’est le monde renversé. Assurément cet homme est fou, ou pour le moins perturbateur du repos public. Qu’on l’enferme et qu’on le saigne à blanc ! »
À en croire Érasme (L’Éloge de la Folie, xlix), les humanistes accablaient les grammairiens de la pire des réputations :
Ad eos accingar, qui sapientiæ speciem inter mortales tenent, et aureum illum ramum, ut aiunt, aucupantur, inter quos Grammatici primas tenent, genus hominum profecto, quo nihil calamitosius, nihil afflictius, nihil æque Diis invisum foret, nisi ego miserrimæ professionis incommoda dulci quodam insaniæ genere mitigarem. Neque enim pente καταραις, id est, quinque tantum diris obnoxii sunt isti, quemadmodum indicat epigramma Græcum, verum sexcentis, ut qui semper famelici, sordidique in ludis illis suis, in ludis dixi, imo in φροντιστηριοις vel pistrinis potius, ac carnificinis inter puerorum greges, consenescant laboribus, obsurdescant clamoribus, fœtore pædoreque contabescant, tamen meo beneficio fit, ut sibi primi mortalium esse videantur. Adeo sibi placent, dum pavidam turbam, minaci vultu voceque territant : dum ferulis, virgis, lorisque conscindunt miseros, dumque modis omnibus suo arbitratu sæviunt, asinum illum Cumanum imitantes. Interim sordes illæ, meræ munditiæ videntur, pædor amaricinum olet, miserrima illa servitus regnum esse putatur, ut tyrannidem suam nolint cum Phalaridis aut Dionysii imperio commutare. Sed longe etiam feliciores sunt, nova quadam doctrinæ persuasione. Siquidem cum mera deliramenta pueris inculcent, tamen, Dii boni, quem non illi Palæmonem, quem non Donatum prae sese contemnunt ? idque nescio quibus præstigiis mire efficiunt, ut stultis materculis et idiotis patribus tales videantur, quales ipsi se faciunt. Iam adde et hoc voluptatis genus, quoties istorum aliquis Anchisæ matrem, aut voculam vulgo incognitam, in putri quapiam charta deprehenderit, puta bubsequam, bovinatorem aut manticulatorem, aut si quis vetusti saxi fragmentum, mutilis notatum litteris, alicubi effoderit : O Iupiter, quæ tum exsultatio, qui triumphi, quæ encomia, perinde quasi vel Africam devicerint, vel Babylonas ceperint. Quid autem cum frigidissimos et insulsissimos versiculos suos passim ostentant, neque desunt qui mirentur, iam plane Maronis animam in suum pectus demigrasse credunt. At nihil omnium suavius, quam cum ipsi inter sese mutua talione laudant ac mirantur, vicissimque scabunt. Quod si quis alius verbulo lapsus sit, idque forte fortuna hic oculatior deprehenderit, Ηρακλεις, quæ protinus tragœdiæ, quæ digladiationes, quæ convitia, quæ invectivæ ? Male propitios habeam omneis Grammaticos, si quid mentior. Novi quemdam πολυεχνοτατον, græcum, latinum, mathematicum, philosophum, medicum, και ταυτα βασιλικον, iam sexagenarium, qui cæteris rebus omissis, annis plus viginti se torquet ac discrutiat in Grammatica, prorsus felicem se fore ratus, si tam diu liceat vivere, donec certo statuat, quomodo distinguendæ sint octo partes orationis, quod hactenus nemo Græcorum aut Latinorum ad plenum praestare valuit. Perinde quasi res sit bello quoque vindicanda, si quis coniunctionem facit dictionem ad adverbiorum ius pertinentem. Et hac gratia, cum totidem sint grammaticæ quot grammatici, imo plures : quandoquidem Aldus meus unus, plus quinquies grammaticam dedit, hic nullam omnino quantum vis barbare aut moleste scriptam prætermittit, quam non evolvat, excutiatque : nemini non invidens, si quid quantumlibet inepte moliatur in hoc genere, misere timens, ne quis forte gloriam hanc præripiat, et pereant tot annorum labores. Utrum insaniam hanc vocare mavultis, an stultitiam ? Nam mea quidem haud magni refert, modo fateamini meo beneficio fieri, ut animal omnium alioqui longe miserrimum, eo felicitatis evehatur, ut sortem suam neque cum Persarum regibus cupiat permutare.
[J’arrive {a} à ceux qui se donnent, parmi les mortels, l’extérieur de la sagesse et convoitent, comme ils disent, le rameau d’or. Au premier rang sont les grammairiens, race d’hommes qui serait la plus calamiteuse, la plus affligée et la plus accablée par les dieux, si je ne venais atténuer les disgrâces de leur malheureuse profession par une sorte de douce folie. Ils ne sont pas seulement cinq fois maudits, c’est-à-dire exposés à cinq graves périls, comme dit une épigramme grecque ; ce sont mille malédictions qui pèsent sur eux. On les voit toujours faméliques et sordides dans leur école ; je dis leur école, je devrais dire leur séjour de tristesse, ou mieux encore leur galère ou leur chambre de tortures. Parmi leur troupeau d’écoliers, ils vieillissent dans le surmenage, assourdis de cris, empoisonnés de puanteur et de malpropreté, et cependant je leur procure l’illusion de se croire les premiers des hommes. Ah ! qu’ils sont contents d’eux lorsqu’ils terrifient du regard et de la voix une classe tremblante, lorsqu’ils meurtrissent les malheureux enfants avec la férule, les verges et le fouet, lorsque, pareils à cet âne de Cumes, {b} ils s’abandonnent à toutes les formes de la colère ! Cependant, la saleté où ils vivent leur semble être du meilleur goût et leur puanteur exhaler la marjolaine. Leur malheureuse servitude leur apparaît comme une royauté et ils n’échangeraient pas leur tyrannie contre le sceptre de Phalaris {c} ou de Denys. {d} Mais leur plus grande félicité vient du continuel orgueil de leur savoir. Eux qui bourrent le cerveau des enfants de pures extravagances, comme ils se croient supérieurs, bons dieux ! à Palémon et à Donat ! {e} Et je ne sais par quel sortilège ils se font accepter comme ils se jugent par les folles mamans et les pères idiots. Ils prennent aussi d’extrêmes plaisirs à découvrir sur des parchemins pourris, soit le nom de la mère d’Anchise, {f} soit quelque expression inusitée comme busequa, bovinator, manticulator, {g} ou encore à déterrer un fragment d’inscription sur un morceau de vieille pierre. Ô Jupiter ! quelle exaltation ! quel triomphe ! Auraient-ils vaincu l’Afrique ou pris Babylone ? Leurs versiculets les plus froids et les plus sots, ils les colportent, leur trouvent des admirateurs et se persuadent que l’âme de Virgile a passé en eux. Rien ne les enchante davantage que de distribuer entre eux les admirations et les louanges, et d’échanger des congratulations. Mais que l’un d’eux laisse échapper un lapsus et que, par hasard, un plus avisé s’en aperçoive, par Hercule ! quelle tragédie ! quelle levée de boucliers ! quelles injures et quelles invectives ! Que j’aie contre moi tous les grammairiens, si j’exagère ! J’ai connu un savant aux connaissances très variées, tout à fait un maître en grec, latin, mathématiques, philosophie et médecine, et presque sexagénaire, qui a tout quitté depuis plus de vingt ans pour se torturer à étudier la grammaire. Il se dirait heureux s’il pouvait vivre assez pour définir à fond les huit parties du discours, ce que personne jusqu’ici, ni chez les Grecs ni chez les Latins, n’a pu faire à la perfection. Comme si c’était motif de guerre d’enlever une conjonction au domaine des adverbes ! On sait qu’il y a autant de grammaires que de grammairiens, et même davantage, puisque mon ami Alde, {h} à lui seul, en a imprimé plus de cinq. Il n’en est pas de si barbare et de si pénible que notre homme consente à négliger ; il les feuillette et les manie sans cesse ; il épie les moindres sots qui débitent quelques niaiseries sur la matière, craignant toujours d’être volé de sa gloire et de perdre son travail de tant d’années. Appelez cela, à votre choix, insanité ou folie, ce m’est indifférent, pourvu que vous m’accordiez que c’est par mes bienfaits que l’animal, de beaucoup le plus malheureux de tous, s’élève à une telle félicité qu’il refuserait de troquer son sort contre celui du roi de Perse]. {i}
- C’est la Folie qui parle.
- Référence à Lucien (Le Pêcheur), qu’Érasme a citée dans son adage Induitis me leonis evuxium [Vous me revêtez de la peau du lion] (no 266) :
À Cumes, {i} un âne, las de sa captivité, avait cassé son licou et s’était enfui dans la forêt. Là, ayant par hasard trouvé une peau de lion, il s’en recouvrit le corps. Et il se comportait ainsi comme un lion, terrifiant hommes et bêtes de sa voix et de sa queue. C’est que les habitants de Cumes ne connaissent pas le lion. Cet âne déguisé régna donc ainsi quelque temps, pris pour un lion monstrueux et craint comme tel. Jusqu’à ce qu’arrive à Cumes un étranger qui avait souvent vu des lions et des ânes (et il lui était facile de les distinguer d’après l’indice des oreilles qui dépassaient et d’autres présomptions). Il comprit qu’il s’agissait d’un âne, le rossa de belle manière, le ramena et le rendit à son maître qui le reconnut. Ce faisant, il fit bien rire tous les Cumains, qui étaient restés si longtemps, pour ainsi dire, morts de peur à cause d’un lion imaginaire. »
- Près de Naples (v. notule {b‑i‑1}, note [23] du Naudæana 3).
- Tyran d’Agrigente au vie s. av. J.‑C.
- Tyran de Syracuse au ve s. av. J.‑C. (v. notule {a}, note [37], lettre 291).
- Deux fameux grammairiens latins.
- Père d’Énée (v. note [14], lettre d’Adolf Vorst, datée du 4 septembre 1661).
- Trois mots latins signifiant « bouvier », « chicanier » et « filou ».
- Aldo Manuzio dit Alde l’Ancien (1449-1515), imprimeur vénitien (v. note [16], lettre latine 38).
- Traduction de Pierre de Nolhac (1927).
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