L. 169.  >
À Nicolas Belin,
le 27 mars 1649

Monsieur, [a][1]

Je vous remercie de votre dernière, comme aussi monsieur votre père, [2] de l’offre qu’il me fait de sa maison. Je pense que nous ne bougerons d’ici et que Dieu touchera le cœur de la reine [3] afin qu’elle nous donne bientôt la paix, [4] laquelle lui est aussi avantageuse qu’à nous-mêmes ; vu que si la guerre dure plus longtemps, elle y perd autant que pas un en ruinant le royaume qu’elle doit conserver tout entier au roi son fils, [5] qui est notre maître et contre lequel Paris n’a pas pris les armes, ains s’est seulement défendu contre ceux qui voulaient empêcher qu’il n’y vînt du pain. [1][6] Nous désirons ici le roi, et la reine aussi ; [7] mais il est vrai que le peuple et les bourgeois haïssent horriblement le Mazarin [8] et ne pensent pas qu’il puisse jamais revenir ici avec sûreté ; et crois, s’il est bien conseillé, qu’il ne l’entreprendra pas. Pour mon particulier, il ne m’en chaut, [2] celui-là ou un autre, vu que peut-être après lui il en viendra un autre qui sera encore pire et plus grand larron. Cela nous obligerait de dire comme ce bonhomme de jadis, Antigonum refodio[3][9] On a ici merveilleusement écrit sur la cause de la guerre et contre ce bateleur et comédien politique, on fait ici un recueil des bonnes pièces qui sera gros. [4][10] Nos députés sont encore à Saint-Germain, comme aussi ceux des princes et seigneurs nos généraux, avec ceux du parlement de Rouen [11] et celui de M. de Longueville. [5][12] Notre paix est bien plus aisée à faire que la leur, vu qu’ils ne sont pas si aisés à contenter que nous et qu’ils veulent absolument que le ministre d’État italien détale de la France. Dieu leur fasse la grâce de s’acquitter bientôt de leur commission et de s’accorder aussi pour le commun bien de la France, sive remaneat fungus ille Vaticanus, sive excedat[6] Je supplie très humblement monsieur votre père de ne se plus servir de pilules cochées, [7][13] ains plutôt de se purger [14] avec une infusion de trois drachmes de séné [15] et une once de sirop de roses pâles ; [16] que si ce remède lui est trop faible, qu’il y ajoute une drachme de diaphénic [17] ou de diaprunis [18] solutif ; que s’il ne se peut purger qu’avec des pilules, [19] qu’il en fasse faire exprès avec aloès, [8][20] poudre de séné et sirop de roses pâles. Les lavements [21] lui seront fort bons si parentur ex decocto emollientium, in quo bullierint senæ orientalis ʒ iij cum mellis communis  iiij ; [9] je n’en voudrais point de plus âcres ni de meilleurs, faciat periculum[10] Mais je le prie surtout qu’il se fasse saigner [22] au plus tôt ex brachio sano, propter intemperiem viscerum, et fluxum hemorrhoïdalem, etc. ; quod si fecerit, haud dubie non pænitebit[11] Laissons la dispute pour les Écoles, mais je pense que la paralysie [23] de monsieur votre père se fait a sero bilioso[12] et vous verrez par la saignée qu’il a de mauvais sang dans les veines. Je lui baise les mains de toute mon affection, comme aussi à vous et à tous nos amis de delà, et suis, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur. Amicus usque ad aras[13]

De Paris, ce samedi 27e de mars 1649.

Il y a aujourd’hui un mois que nous perdîmes un homme incomparable et plane Roscium in arte sua[14] savoir M. Piètre [24] notre ancien. [25] Nulla ferent talem sæcula futura virum[15][26] Il avait 80 ans. Je prie Dieu qu’il renvoie bientôt la santé à monsieur votre père, et à nous la paix avec le retour du roi à Paris ; ou s’il n’y revient, vivat, valeat, et hostes vincat[16] Les Espagnols et les Hollandais s’offrent de venir ici à notre secours contre le Mazarin, mais Dieu nous garde de telle accointance et de telle milice, une bonne paix vaudra mieux que tout cela.


a.

Ms BnF no 9358, fo 117, « À Monsieur/ Monsieur Belin le fils,/ Docteur en médecine,/ À Troyes » ; Reveillé-Parise, no xciii (tome i, pages 147‑149).

1.

Curieuse façon de simplifier les enjeux politiques de la Fronde.

2.

Chaloir : « vieux mot qui signifiait autrefois importer, avoir soin. Il n’est plus guère en usage qu’en cette phrase populaire, il ne m’en chaut, pour dire il ne m’importe. Il ne m’en peut chaloir, cela ne me peut être important » (Furetière).

3.

« Je cherche à déterrer Antigone. » Guy Patin a donné en 1667 l’explication de cette locution en renvoyant à Juste Lipse (v. note [3], lettre 905).

4.

V. note [127], lettre 166, pour le Mascurat de Gabriel Naudé.

5.

Outre le Parlement de Paris et les généraux frondeurs, le parlement de Normandie, rallié au duc de Longueville (v. note [4], lettre 168), avait envoyé des députés à Saint-Germain pour défendre ses intérêts propres ; l’émissaire de Longueville était un capitaine de ses gendarmes, dénommé Anctoville.

6.

« que ce champignon du Vatican [v. note [10], lettre 53] reste ici, ou qu’il s’en aille. » Le vif désir de Guy Patin que la paix fût promptement conclue l’emportait désormais nettement sur sa haine du cardinal Mazarin.

7.

Pilules cochées (Nysten, 1824) :

« pilules {a} employées autrefois comme drastiques. Les pilules cochées {b} mineures contenaient aloès, scammonée et trochisque {c} alhandal ; {d} les majeures contenaient en outre de la poudre d’hiera picra, {e} de racine de turbith et de fleurs de stéchas, avec du sirop de nerprun. »


  1. V. notule {a}, note [37], sur la triade 67 du Borboniana manuscrit.

  2. Leur nom dérive du grec kokkos (baie, graine) ou kokhos (écoulement abondant d’humeur), « soit à cause de leur forme, qui ressemble à celle d’une graine, ou à cause de leur propriété purgative ».

  3. V. note [7], lettre latine 341, pour trochisque  alhandal est synonyme de coloquinte.

  4. Les pilules cochées mineures étaient donc similaires aux pilules dites de Francfort, v. note [24], lettre 332.

  5. Hière-picre, v. première notule {a}, note [5], lettre 449.

8.

Aloès (Thomas Corneille) :

« plante dont, selon Dioscoride, les feuilles sont semblables à la squille. […]. Toute cette plante est puante et fort amère. Elle est attachée à une seule racine, comme à un pal. L’aloès croît en grande abondance aux Indes où il est fort gras. Aussi en apporte-t-on le jus épaissi. Pour être bon, il faut qu’il soit roux, gras, pur, luisant, fort amer, facile à se dissoudre, friable et de bonne odeur. […] Les propriétés de l’aloès sont de purger doucement les humeurs tant bilieuses que pituiteuses de l’estomac, en le fortifiant, de tuer et chasser les vers, et de résister à la corruption, quand on en prend au-dedans. Étant appliqué, il condense, restreint, dessèche et consolide les plaies. Vossius fait venir le mot aloès de l’hébreu Ahalot que les Grecs ont traduit aloê. D’autres le font venir de hals, la mer, à cause qu’il croît aussi beaucoup d’aloès aux côtes de la mer d’Asie et d’Arabie. »

V. notes [9‑i], lettre 220, pour d’autres propriété de l’aloès, décrites par Johann-Heinrich Alsted, et [24], lettre 332, pour les pilules d’aloès, dites de Francfort.

9.

« si on les compose d’une décoction d’émollients, où auront bouilli 3 drachmes de séné avec 4 onces de miel commun. »

10.

« qu’il en fasse l’essai.»

11.

« du bras sain, à cause de l’intempérie des viscères et de l’écoulement hémorroïdal, etc. ; s’il fait cela, il ne le regrettera sans doute pas. »

12.

« par une humeur bilieuse ».

13.

« Votre ami jusqu’au tombeau » ; lettre sans signature.

14.

« Et rien de moins qu’un Roscius en son art », v. note [132], lettre 166.

15.

« Aucun des siècles futurs ne portera un tel homme » ; Pétrarque (Affrica, livre vii, vers 634‑635) :

Similem cui nulla tulerunt
Tempora, nulla ferent
.

[Les siècles passés n’ont pas porté son semblable, ni les futurs ne le porteront].

16.

« qu’il vive, se porte bien et vainque les ennemis. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Nicolas Belin, le 27 mars 1649

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(Consulté le 24/04/2024)

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