< L. 332.
> À Charles Spon, le 25 novembre 1653 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À Charles Spon, le 25 novembre 1653
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Ce 11e de novembre. Je délivrai hier à M. Gonsebac, [2] qui était tout prêt de partir pour s’en retourner à Lyon, trois volumes in‑8o, dont l’un était en veau et les deux autres en parchemin. [1][3] Le premier est pour vous, s’il vous plaît, et les deux autres pour Messieurs nos bons amis Gras et Falconet, auxquels vous me ferez plaisir de les délivrer en mon nom, si cela n’est déjà fait. Dans un mois d’ici, je vous dirai quelque chose du nouveau travail de M. Riolan, [4] lequel sera alors bien avancé si Dieu lui conserve sa santé. [2] Le siège de Sainte-Menehould [5] continue. [3] L’on dit que le roi, [6] avec toute la cour, reviendra à Paris le 22e de ce mois et que le prince de Conti [7] est en chemin pour revenir à Paris par la permission du roi ; [4] ce qui fait espérer qu’il pourra, étant ici, faire quelque accord pour son frère, [8] ce qui me semble néanmoins très difficile vu l’état auquel sont les affaires présentes. Il est contremandé. [5] On dit ici que tous les ports d’Angleterre et de Hollande sont fermés pour 40 jours, tandis qu’ils traitent ensemble pour s’accorder. Le comte d’Alais, [9] par ci-devant gouverneur de Provence, [10] est ici mort le 13e de novembre. Il est le dernier de la race des Valois. Il était le cher ami de M. Gassendi. [6][11] Il ne laisse qu’une fille [12][13][14] mariée à M. le chambellan, [15] cadet de la Maison de Guise. [7][16] Ce comte d’Alais était le plus savant gentilhomme de France. Il avait chez lui un médicastre chimique [17] qu’il avait amené de Provence, qui dit, voyant son maître malade, que ce n’était rien ; comme le mal augmenta, on y appela un des nôtres qui dit que c’était un catarrhe suffocant, [18] et qu’il le fallait saigner au plus tôt et avoir du conseil ; ce que ce Provençal refusa d’abord, et puis après y fit venir deux autres ouvriers tels que lui qui lui donnèrent de l’antimoine, [19] cuius vapore maligno statim extinctus fuit, et per stibium Stygias ebrius hausit aquas. [8][20][21] Il n’a été que trois jours malade. Ainsi par poison chimique passent les princes en l’autre monde, mais il n’y a pas de quoi les regretter bien fort puisqu’ils le veulent bien : volenti enim et patienti non fit iniuria. [9] Ces gens ne sont-ils pas bien malheureux de faire provision et de garder ces charlatans [22] en leur famille ? On dit que le roi sera ici de retour dans la fin du mois et que ceux de Sainte-Menehould commencent à traiter pour se rendre ; et que dès que le roi sera venu, il ira au Parlement pour y faire faire le procès au prince de Condé comme à un rebelle et ennemi de l’État. [10][23][24] Ce 19e de novembre. M. Huguetan [25] nous a fait l’honneur de dîner céans aujourd’hui. Nous y avons bu à votre santé, il m’a raconté comme M. Moreau [26] avait été au Collège royal [27] y voir ses livres, qui lui avait fort témoigné la singulière affection qu’il a pour vous, dont j’ai été très aise combien que je m’en tinsse bien assuré ; mais je vous prie de croire que je ne lui cède en rien en votre endroit, combien qu’il y ait très peu, ou plutôt point du tout de comparaison du côté de la science que Dieu lui a élargie très sublime et à pleine mesure au prix de la petite part qu’il m’en a faite ; mais sic placuit Superis, quærere plura nefas. [11] Ce 20e de novembre. Et pour répondre à votre belle et grande lettre que je viens, il n’y a qu’un quart d’heure, de recevoir, pour laquelle je vous remercie de très grand cœur, je vous dirai que M. de Saumaise [28] est mort à Spa [29] dans le mois de septembre, quo enim die nescio. [12] Une damoiselle malade, laquelle connaît toute cette famille, me dit hier que la veuve [30] est en chemin pour revenir à Paris. Je la verrai alors et vous en écrirai les particularités qu’elle m’en apprendra. J’ai seulement appris que ce grand héros des belles et bonnes lettres mourut en deux jours. Je sais bien ce beau passage de Pline, [31] des eaux de Spa, [13] il y a longtemps : je le montrai à feu M. Piètre, [32] qui était un autre héros incomparable, l’an 1634 lorsqu’il fit une thèse [33] contre l’abus des eaux minérales. Ab eiusmodi metallicarum aquarum potu calculosi debent abstinere. [14] Pline s’est trompé là, aussi bien qu’ailleurs très souvent, quand il s’est mêlé du métier d’autrui : les eaux de Spa sont légèrement diurétiques propter λεπτομεριαν, [15][34] mais elles ne sont guère ordonnées que contra fervorem viscerum, [16] qui est fort souvent la vraie et première cause de la pierre ; [35] si bien que ces eaux métalliques peuvent être bonnes à la cause du mal, mais non pas au mal qu’elle a produit. Adde quod omnes et singulæ illæ aquæ plurimum calent : [17] voyez là-dessus la belle thèse de M. Piètre que je crois vous avoir autrefois envoyée. Je suis pourtant d’accord avec Pline, qui est un auteur que j’honore fort, lorsqu’il dit tertianas febres discutit, [18] vu que, sur la fin de telles maladies, ces eaux peuvent servir, postquam fuit corpus expurgatissimum et evacuatissimum ; [19] duquel néanmoins on trépasse très aisément. Aussi arrive-t-il que ce remède n’est qu’une amusette bien souvent, pour occuper les convalescents qui delectantur et capiuntur novitate et multiplicitate remediorum. [20] Pline l’a fort bien dit et entendu quand, en parlant des médecins qui charlatanent leurs malades, il a écrit d’eux qui diverticulis aquarum fallunt ægrotas. [21] Tout cela n’arrive que trop souvent, aussi ne voyons-nous point ici de guérisons de ces eaux ni de celles de Bourbon, [36] de Sainte-Reine [37] et Forges, [38] et autres. Ad populum phaleras, qui vult decipi, quia stultus est, nec per me decipietur. [22][39] Des eaux mal prises, les conséquences en sont fort mauvaises : ce sont de fortes lessives qui échauffent et dessèchent les entrailles au lieu de les nettoyer simplement et doucement. Faites-moi la faveur de m’indiquer l’endroit où Joseph Hall [40] parle des eaux minérales. J’aime cet auteur qui a été un excellent homme, et autrefois ai parcouru tout son livre qui abonde en fort bonnes pensées : vir fuit bene animatus, egregie doctus, nec publici saporis, qui olim mihi fuit in deliciis. [23] M. Gonsebac est un fort honnête homme, j’ai eu le bonheur de le voir céans et chez lui, et même nous avons bu ensemble chez un de nos voisins. J’eusse été bien aise que c’eût été céans dès le lendemain, mais il avait retenu place pour s’en retourner dans un carrosse. Cela fut cause que je n’eus point le bonheur de le traiter céans et d’y boire à votre santé, ce sera pour quelque autre rencontre. Je lui ai conseillé de laisser là ses pilules de Francfort [41][42] qui ne font que l’échauffer et qui, à cause de leur aloès, [43] lui donneront quelque jour des hémorroïdes. [44] Conseillez-lui plutôt de se purger [45] avec demi-once de séné [46] et une once de sirop de roses pâles, [47] ce remède-là est hors de tout soupçon, et est omnium optimum. [24] Je ne vois plus M. Du Prat, [48] je ne sais ce qu’il est devenu ; mais j’ai à lui dire et à vous aussi, par provision, que notre ancien ami M. de Sorbière, [49] directeur du Collège d’Orange, [50] a tourné sa jaquette en se faisant papiste (j’entends catholique romain, absit iniuria verbo) [25] à la sollicitation de l’évêque de Vaison, [26][51][52][53] des cardinaux de Bichi, [54] et Barberin [55] qui lui en a lui-même écrit de Rome. [27] C’est lui-même qui me l’a mandé, et qu’il s’en allait à Rome tout exprès, d’où il m’écrirait. Voilà des miracles de nos jours, mais qui sont plutôt politiques et économiques que métaphysiques. [56] Il est veuf et bien adroit, mais tout fin qu’il est, je ne sais si avec sa nouvelle chemise il pourra réussir à faire fortune à Rome in negotiosa illa otiosorum matre, [28][57] qui est un lieu plein d’altérés et d’affamés ; au moins suis-je bien assuré qu’il n’y deviendra jamais pape, étant trop homme de bien pour cela. [58] M. Garmers [59] me vient céans visiter souvent, je le mène quelquefois à nos Écoles et ailleurs, il est fort sage et fort civil. Pour M. Sorel, [60] je puis bien vous en dire des nouvelles, d’autant qu’il y a 35 ans qu’il est mon bon ami et que illum intus et in cute novi. [29] C’est un petit homme grasset, avec un grand nez aigu, qui regarde de près, âgé de 54 ans, qui paraît fort mélancolique [61] et ne l’est point. Il est fils d’un procureur en Parlement, sa mère est autrefois morte hydropique, [62] et son père d’une fièvre quarte [63] continue quæ ut plurimum est lethalis in senibus, [30] mais tous deux fort âgés. Il n’est point marié et demeure avec une sienne sœur unique, femme de M. Parmentier, [64] avocat en Parlement, excellent homme et substitut de M. le procureur général. Il a fait beaucoup de livres tous français, et entre autres, le Francion, le Berger extravagant, l’Orphize de Chrysante, l’Histoire de France, la Philosophie universelle en quatre volumes in‑4o, etc. Il a encore plus de 20 volumes à faire imprimer et voudrait bien que tout cela fût fait avant que de mourir ; mais il ne peut venir à bout des imprimeurs. [65] Je l’ai mainte fois traité malade ; il est délicat, mais il vit assez commodément, d’autant qu’il est fort sobre. Il me vient voir céans assez souvent. Il a un livre sur la presse, mais cela va fort lentement à son gré. Il a une Politique et une Morale à donner au public qui ne sont point marchandise commune. [31] Il est homme de fort bon sens et taciturne, il n’y a guère que moi qui le fasse parler et avec qui il aime à s’entretenir. Je ne suis point savant comme lui, mais nous sommes fort de même humeur et de même opinion presque en toutes choses : il n’est ni bigot, ni mazarin, ni condé, depuis le 4e de juillet de l’an passé que nous y perdîmes le bon M. Miron [66] qui était fort son ami ; [32] il ne m’en parle jamais que les larmes ne lui en viennent aux yeux, combien qu’il soit bien stoïque. Habes hominem, [33] si vous en voulez davantage, expliquez votre demande plus particulièrement. M. de Lesclache [67] est un autre honnête homme, un peu plus vieux, qui fait des répétitions [leçons] [34] en français de la philosophie d’Aristote, [68] où il est fort suivi et fort loué. On dit même qu’il y gagne beaucoup : les jeunes seigneurs de la cour le vont entendre, et quantité d’autres honnêtes gens qui illustrent fort son auditoire. Il court sous son nom une Logique et une Physique, qu’il désavoue et promet de faire imprimer quelque jour. J’enverrai demain chez M. Piget, [69] rue Saint-Jacques, [70] pour savoir s’il a reçu de M. Rigaud [71] quelque feuille pour moi. Pour le sieur Duhan, [72] je lui sais fort bon gré de se souvenir de ce livret de Gulielmus Puteanus [73] qui est un excellent auteur in quæstione difficilima. [35] Je voudrais qu’il fût déjà imprimé, je tâcherai d’en faire vendre de deçà et le recommanderai fort à mes auditeurs dans mes conférences, [74] lesquelles je recommencerai, Dieu aidant, ce carême, lorsque les jours commenceront à être grands et un peu plus longs. Pour l’épître, vous la ferez toute telle qu’il vous plaira et y direz ce que vous voudrez, mais je vous prie de mettre au titre Guidoni Patino, Doctori medico Parisiensi et Saluberrimæ Facultatis Decano, [36] et afin qu’il n’y ait point de fausseté, vous la daterez s’il vous plaît du 24e d’octobre 1652, d’autant que je l’étais encore alors. Je suis fort de votre avis pour l’addition des trois chapitres de la Pharmacie de feu M. Cousinot, [75] duquel vous ferez honorable mention, s’il vous plaît, à cause de son mérite. Cet appendice fera valoir le livre de M. Duhan ; lequel même ferait fort bien d’imprimer cette Pharmacie que vous avez, si elle est entière. Elle se pourrait fort bien débiter ici comme un livre nouveau et curieux, et qui vient de bonne main. Je vous supplie donc d’y ajouter ces trois chapitres et de ne pas oublier d’y mettre quelque avertissement au lecteur où soit contenu l’éloge de feu M. Cousinot. Je trouve les titres de ces trois chapitres fort beaux et curieux. [37] Je crois que le livre sera bon in‑8o et ne doute pas qu’il ne soit de bonne vente. Je ferai de deçà tout ce que je pourrai pour en avancer le débit [38] à nos écoliers. Je pense que vous avez raison d’être de mon avis touchant les traductions : [76] la plupart ne valent rien et la meilleure est toujours fort imparfaite au prix de son original. Nous avons ici depuis peu une nouvelle traduction du Juvénal en vers français, [39][77] je n’entends guère bien le latin, mais je vous jure, encore moins ce nouveau français. Je suis dans le même sentiment pour un auteur que je révère fort, qui est le Tacite : [78] il y en a diverses traductions, desquelles pas une n’exprime la moindre partie des nobles sentiments de ce maître homme qui a été un original des bons esprits. In eodem censu repono [40] toutes les autres versions et de Cicéron, [79] et de Sénèque [80] et de tant d’autres. Il y a plus de huit mille fautes dans le Plutarque [81] d’Amyot, [82] la version de Pline par Du Moulin [83] n’a jamais été bonne ni louée de personne, [41] non plus que celle de Matthiole par Du Pinet. [42][84][85] Quibus positis, [43] j’ai grand regret de n’avoir exactement appris la langue grecque [86] tandis que j’étais jeune et que j’en avais le loisir, cela me donnerait grande intelligence des textes d’Hippocrate [87] et de Galien, [88] lesquels seuls j’aimerais mieux entendre que de savoir toute la chimie des Allemands ou bien la théologie sophistique des jésuites. [44][89][44][90] Adieu donc les traductions, dont M. Naudé, [91] cuius memoria sit in benedictione, [45] ne voulait ouïr parler et n’en goûtait aucune. Le Dares Phrygius [92] vivait devant Homère, [93] il est infailliblement perdu et ce que nous avons de lui est sans doute supposé. Voyez ce qu’en a écrit Vossius [94] de Historicis Græcis, [46] que j’ai prêté à M. Sorel. [95] Pour mon procès, [96] c’est une infamie du siècle, mais elle n’est pas unique. Guénault [97] se vante d’en avoir fait lui-même l’arrêt avec son gendre [98] qu’il avait donné pour avocat à Chartier (en quoi il fait grand honneur aux juges, de la trop grande facilité desquels il a trop vilainement abusé). On m’a fort conseillé de prendre contre cet arrêt une requête civile ; quod absit, [47] je ne veux point d’autres procès, la sollicitation en est trop pénible, j’aime mieux me reposer, étudier céans ou aller voir des malades. Un de mes juges même m’a dit que j’eusse gagné mon procès en un autre tribunal, mais que la Tournelle [99] est trop déréglée, que le rapporteur était trop fort contre moi (c’est la recommandation qu’on lui a faite de la cour, à laquelle il a le bruit de ne manquer jamais ; [48] lui-même a dit que la reine [100] lui avait fait recommander le bon droit de Chartier, [101] etc.). Non est mihi tanti illa pecunia, [49] c’est Guénault qui l’a toute avancée et qui y a perdu trois fois autant que moi, ce sont de ces gens qui se brûlent pour échauder les autres. Chartier est plus gueux qu’un pauvre peintre, dix mille écus ne paieraient pas ses dettes pour ce que j’en connais, sans celles que je ne connais point. Le greffier m’a fait voir qu’il y a eu en cette affaire cinq rapporteurs nommés, que la corruption du siècle a fait changer l’un après l’autre pour enfin en avoir un qui fît ce que voudrait Guénault ; que la reine même en a parlé, laquelle n’a jamais su de l’affaire que ce que Guénault lui en a fait dire par l’organe des charlatans qui sont à la cour. Quatre juges ne vinrent point ce jour-là au Palais, a quibus sperabam plurimum : [50] l’un fut malade, l’autre alla aux champs, l’autre faisait donner de la question à un criminel, l’autre y vint trop tard. Il y en eut quatre pour moi et six contre, l’un desquels se montra fort passionné pour l’antimoine contre moi. Par là, vous voyez bien que tous les fous ne sont pas enfermés dans les Petites-Maisons. [102] Je parle au nom d’une Faculté de 112 hommes contre l’antimoine [103] pour le bien public, et ces Messieurs les juges me condamnent aux dépens, desquels je suis quitte ; sed stultus est labor tot ineptiarum, etc. [51][104] Dieu nous garde de procès, de chicane et d’affaires d’autrui. Alienis rebus neglectis, proprias curemus, [52] et venons à quelque chose de meilleur. L’antimoine [105] n’est pourtant point rentré en crédit, il est autant décrié que jamais. On n’en donna jamais si peu, il est misérablement décrié comme un dangereux poison, tant par ceux qui l’improuvent fort, in quibus nomen profiteor meum, [53] que par ceux-mêmes qui en ont abusé en le donnant par ci-devant à toute sorte des gens et en toute sorte de maladies. Le fils du Gazetier [106][107] s’y est cassé le nez, son livre est ici fort négligé et méprisé. Le libraire m’a avoué que Guénault en a payé l’impression, sans quoi il ne l’eût jamais imprimé. [54][108] Ne voilà pas de bonne marchandise, l’antimoine, Guénault et le Gazetier, avec tous les charlatans qui s’en servent ? O fœcunda culpæ sæcula ! [55][109] ce n’est plus la République de Platon [110] in qua versamur, [56] nous sommes trop embourbés in fæce Romuli ; [57][111][112] mais il faut attendre patiemment la réponse à ce libelle. Pour votre chirurgien Lombard, [113] il est vrai que M. Falconet [114] me l’a recommandé. Eoque nomine, [58] je voudrais bien le pouvoir servir ; mais je vous dirai, en secret et en ami, que je ne sais comment il pourra être reçu car je l’ai moi-même interrogé : il ne sait rien du tout, et m’étonne même comment cet homme a pu se résoudre d’entreprendre une telle affaire. Il est venu céans deux fois me voir, et une autre fois il y vint avec deux moines augustins [115][116] me proposer le dessein qu’il avait de gagner par argent ceux qui devaient l’interroger ; je leur fis voir à tous trois que cela ne se pouvait faire, et lui lavai fort la tête. Il y a des gens qui croient que l’argent fait tout, je sais bien le contraire : [117] on m’a voulu autrefois gagner ainsi, mais on n’en a pu venir à bout ; et je ne sais comment celui-ci sortira de ce labyrinthe. Je vous parle en ami et en secret, ménagez cela et en dites ce qu’il vous plaira à vos deux chirurgiens [118] si d’aventure ils retournent à vous. Du reste, je suis en cela de votre avis, comme nous nous rencontrons très souvent en d’autres occasions : j’aime mieux justice que toute chose, qu’elle se fasse ou que le monde périsse. [59] La justice et la vérité sont fort belles, mais aussi sont-elles fort haïes par l’iniquité du siècle auquel Dieu nous a réservés. J’ai pareillement regret que M. Falconet soit engagé dans cette controverse, de laquelle je ne puis voir comment il en aura bonne issue. Le dessein que vous avez donné pour la première page du livre de M. Duhan me semble fort beau. [36] Je vous prie de lui faire mes recommandations et qu’il fasse en sorte que le livre soit bien correct afin qu’il soit tant mieux reçu. J’en procurerai le débit tant qu’il me sera possible afin qu’il n’ait point de regret de m’avoir cru. Envoyez-moi une copie de cette taille-douce dès qu’elle sera faite, s’il vous plaît. Ce livre de la Chiromance de M. de La Chambre [119] est un piteux ouvrage, [60][120] je n’y entends rien que des faussetés. M. Riolan, tout vieux qu’il est, dit qu’il l’aurait réfuté s’il en valait la peine ; mais il le méprise fort, comme font pareillement tous ceux à qui j’en ai ouï parler. Cet auteur parle fort bien français, et après cela il n’y a guère que du babil. Vox, præterea nihil, [61][121] c’est la devise du rossignol, et là et ailleurs. Has tamen ineptias miratur sæculum nostrum insapiens et inficetum. [62][122] Pour la thèse en théologie de Zurich [123] de trois feuilles, je vous supplie très humblement de faire votre possible afin que j’en aie une, [63][124] achetez-la tout ce qu’on voudra, je le rendrai très volontiers. Ceux de Genève la devraient réimprimer et en envoyer ici quantité ; elle s’y vendrait fort bien, le parti des jansénistes est aussi fort que jamais. [125][126][127] Il y a longtemps que je n’ai point vu notre Maître Bourdelot, [128] il n’est venu à aucune assemblée de nos Écoles. Il est pourtant à Paris, il s’est vanté à un de mes amis en secret qu’il aurait l’abbaye qu’on lui a promise ; qu’il y avait entre nous et la Suède quelque grabuge ; quo composito, [64] il deviendrait abbé (mon Dieu, que le bien d’Église est mal employé !) ; mais que si ce grabuge ne s’accordait point et qu’il y fallait envoyer un homme de deçà, qu’il espérait d’avoir la commission de cette légation. Hé bien !, le compagnon n’a-t-il point bonne opinion de sa personne, pour le fils d’un barbier de Sens ? [129] N’est-ce point le bon esprit qui ennoblit les hommes ? Ne serez-vous point tout étonné, voire plutôt tout ravi de joie quand vous l’entendrez nommer Monsur de Bourdelot, [65] ambassadeur pour le roi très-chrétien vers la sérénissime reine de Suède ? [130] Voilà ce que vaut l’ambition d’un homme et un esprit mystique, relevé et métaphysique tel que celui-là. Quand M. Gonsebac est parti d’ici, je lui ai donné un petit mot de lettre pour vous et trois livres in‑8o du nouveau livre de M. Riolan, [2] dont l’un sera pour vous et les deux autres pour MM. Gras et Falconet. Depuis onze jours, j’ai délivré à M. Huguetan un autre paquet plus gros, délivré le 13e de novembre, [66] lequel vous sera rendu, dans lequel vous trouverez quelque chose pour M. Volckamer [131] de Nuremberg, [132] que je recommande à votre diligence pour lui faire tenir quand vous pourrez. Le reste est pour vous, contenant un paquet de M. Moreau, un Casaubonus in Baronium, [133][134] cum Horoscopo Anticotonis in‑4o, [67][135] Défense des ouvrages de Voiture in‑4o, [136][137] Actes concernant les droits et l’autorité de l’Université de Paris sur les libraires et imprimeurs, etc. in‑4o, [68][138] trois feuilles de thèses in‑4o, Favilla ridiculi muris de M. Bernier [139] in‑4ocum tractatu M. Io. de Launoy de varia Aristotelis fortuna in‑4o, [69][140][141][142][143][144][145] deux exemplaires du nouveau livre de M. Riolan contre Bartholin [146] in‑8o pour MM. Guillemin [147] et Garnier, [2][148] et que je vous prie de leur délivrer à mon nom. Voilà ce que j’ai eu de présent à vous envoyer. Une autre fois, je tâcherai de vous envoyer davantage, en récompense de tant d’obligations que je vous ai et en tant de façons. Je crois bien que je ne m’acquitterai jamais ; mais au moins, j’ai la reconnaissance tout entière, eoque nomine semper habebis memorem debitorem. [70] M. Dony d’Attichy, [149] neveu du garde des sceaux de Marillac, [150] 1. moine, de regula Minimorum, [71] 2. évêque de Riez [151] en Provence, 3. et aujourd’hui évêque d’Autun, est ici pour faire imprimer Elogia cardinalium pietate illustrium en deux volumes latins, in‑fo, il en doit traiter cette semaine avec M. Cramoisy. [152] Le cardinal de Richelieu [153] n’y sera point, par la haine que lui porte cette famille à cause de la mort du maréchal de Marillac. [72][154] Il y a ici un Lyonnais nommé l’abbé De Pure [155] qui y fait imprimer en latin la vie du feu cardinal de Lyon, [156] votre archevêque. [73] On y imprime aussi un catalogue des simples du jardin botanique de M. le duc d’Orléans [157] à Blois, [74][158][159][160] où ce bon prince demeure coiment, [75] sans parler de venir à la cour. Le prince de Condé est à Rocroi, [161] malade d’une double-quarte ; servari Medico debuit illa suo, [76][162] je voudrais qu’il eût la peste. On dit que les Hollandais < et les Anglais > traitent pour s’accorder ensemble. [163] Les rieurs ne sont plus du côté de Bourdelot : [77] j’apprends de bonne part que Bourdelot n’est point bien avec la reine de Suède et qu’il est en grand danger de n’être ni abbé, ni ambassadeur ; qu’elle a écrit contre lui à la cour. Et en ce cas-là, que deviendra ce Paladin de bonne fortune, [78] qui par ci-devant était barbier et fils de barbier ? [164]
Enfin, il est temps de cesser, ce que je ferai avec ma protestation ordinaire que je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, Guy Patin. De Paris, ce mardi 25e de novembre 1653. Du retour du roi et de la prise de Sainte-Menehould, omnia sunt incerta, [80] chacun en parle comme il le désire. Si cette ville eût pu être prise il y a trois semaines, delà le roi fût allé à Dijon [165] et delà à Lyon, magnis de rebus utrinque ; [81] la duchesse de Savoie [166] s’y fût rendue avec sa fille [167] et le duc son fils, [168] où l’on eût traité de plusieurs mariages. [82] Hic viget austrina constitutio, inæqualis, humida et tepida, quæ tussiculosos senes concutit atque prosternit. Cura ut valeas et me ama. [83] Après une si longue lettre, le porteur vous dira le reste. Je baise très humblement les mains à Mlle Spon. [169] | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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