L. 187.  >
À André Falconet,
le 13 juillet 1649

Monsieur, [a][1]

La mort est fort sur les gens de lettres de cette année : depuis que M. Hofmann [2] et M. Piètre [3] sont morts, nous avons aussi vu mourir ici M. des Yveteaux, [1][4] qui avait été précepteur du feu roi, M. Justel, [5] secrétaire du roi, savant homme qui avait été autrefois au maréchal de Bouillon. [2][6] Outre cela, sont décédés en Hollande MM. Vossius [7] et Spanheim, [8] et en Italie, Paganinus Gaudentius [3][9] et Gaspard Scioppius [10] qui a écrit il y a environ 43 ans un livre fort infâme contre l’incomparable Joseph Scaliger. Ce Scioppius était en sa jeunesse luthérien. [11] Il se fit catholique romain [12] par la lecture des Annales ecclésiastiques de Baronius, [13] à ce qu’il disait, et s’en alla à Rome où il fut fait domestique du cardinal Madruce. [4][14] Il se voulut alors faire jésuite, mais ceux-ci crurent qu’il valait mieux qu’il demeurât séculier et qu’il leur pourrait rendre de plus notables services, ce qu’il fit < en > écrivant contre Scaliger. Il fit quelques voyages pour eux en Allemagne et à Venise, déguisé, puis il fut fait pensionnaire de l’empereur ; [5][15] mais enfin, il se déclara ennemi du dit empereur et des jésuites, [16] et se retira pour la sûreté de sa personne à Padoue [17] où il a vécu en assurance de tant d’ennemis après avoir reçu de la République de Venise pardon de sa vie passée. Il est soupçonné d’être le plus grand auteur de plusieurs livrets faits depuis quinze ans contre les jésuites, et entre autres de Anatomia Societatis et de stratagematis iesuitarum[6] Il a dit autrefois à un de ses amis, qui est fort le mien, que le cardinal Baronius l’avait sollicité par lettres, lorsqu’il était en Allemagne, de se faire catholique et qu’en ce cas-là il lui promettait qu’il le ferait devenir cardinal, que Baronius lui-même espérait de devenir pape après Paul v[18] M. de La Mothe Le Vayer [19] a été depuis peu appelé à la cour et y a été installé précepteur de M. le duc d’Anjou, [20] frère du roi. Il est âgé d’environ 60 ans, de médiocre taille, autant stoïque qu’homme du monde, homme qui veut être loué et ne loue jamais personne, fantasque et capricieux, et soupçonné d’un vice d’esprit dont étaient atteints Diagoras [21] et Protagoras. [7][22][23] Dieu vous conserve et toute votre famille.

De Paris, ce 13e de juillet 1649.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no xv (pages 58‑60), dont la suite anachronique appartient à la lettre du 26 juillet 1650 (no 237) ; Bulderen, no xxii (tome i, pages 66‑67) ; Reveillé-Parise, no ccclxviii (tome ii, pages 522‑524).

1.

Nicolas Vauquelin des Yveteaux, poète français (1570-Paris 4 mars 1649), précepteur du duc César de Vendôme (fils légitimé de Henri iv et de Gabrielle d’Estrées), avait composé pour son élève l’Institution du prince. À Monseigneur le duc de Vendôme (Suivant l’exemplaire imprimé à Paris, 1604, in‑8o de 16 pages), poème qui fut sa seule œuvre sérieuse et morale. Vauquelin fut ensuite nommé précepteur du dauphin (futur Louis xiii), mais ses mœurs dissolues le firent bientôt congédier (1611). Il vécut dès lors dans la retraite, sans souci, au milieu des plaisirs que lui permettait sa fortune (G.D.U. xixe s.).

2.

V. note [2], lettre 98, pour Christophe Justel.

Henri de la Tour d’Auvergne (Clermont-Ferrand 1555-Sedan 1623), duc et maréchal de Bouillon, s’était converti au protestantisme et avait pris le parti de Henri de Navarre qui, devenu le roi Henri iv, récompensa sa fidélité en le mariant (1591) à Charlotte de La Marck, héritière du duché de Bouillon et de la principauté de Sedan, et en le nommant maréchal de France. Sans enfant de son premier mariage, le prince de Sedan épousa en secondes noces (1595) Élisabeth de Nassau, fille de Guillaume le Taciturne (v. notule {d}, note [2], lettre latine 452). Deux fils étaient nés de ce mariage : Frédéric-Maurice, duc de Bouillon, et Henri, le futur maréchal de Turenne.

3.

Paganino Gaudenzi (Paganinus Gaudentius ; Poschiavo, Pays des Grisons 1596-Sienne 1649) avait abandonné le protestantisme pour se convertir à la religion catholique, puis professé successivement les belles-lettres à Rome et à Pise (1627). Le grand-duc de Toscane, dont il s’était acquis la faveur, lui permit d’avoir une imprimerie dans sa maison. Gaudenzi fit montre de son érudition superficielle dans un grand nombre d’ouvrages sur les sujets les plus divers (G.D.U. xixe s.).

V. notes [24], [25], [26] et [27] du Naudæana 3 pour un copieux complément d’informations sur Gaudenzi, fourni par son ami Gabriel Naudé (qui avait sans doute fait connaître ses talents à Guy Patin).

4.

Carlo Gaudenzio Madruzzo (château d’Issogne, Val d’Aoste 1562-Rome 1629), évêque de Trente en 1600, était petit-neveu et neveu de deux cardinaux ; il reçut lui-même le chapeau rouge en 1604.

V. notes [10], lettre 104, pour le Scaliger hypobolimæus… [Scaliger le faussaire…] de Caspar Scioppius (Mayence, 1607), et [6], lettre 119, pour les Annales ecclesiastici de Cæsar Baronius.

5.

Ferdinand ii de Habsbourg (v. note [7], lettre 21), initiateur de la guerre de Trente Ans et fervent catholique, s’était placé sous l’influence des jésuites.

6.

Ouvrage anonyme de Caspar Schoppe : {a}

Anatomia Societatis Jesu : seu Probatio spiritus iesuitarum. Item, Arcana imperii iesuitici cum Instructione secretissima pro superioribus eiusdem. Et Deliciarum jesuiticarum specimina : tandem Divina oracula de Societatis exitu. Ad excitandam Regum et Principum Catholicorum attentionem utilissima.

[Anatomie de la Compagnie de Jésus, ou Examen de l’esprit des jésuites. Et aussi les Arcanes du pouvoir jésuite avec l’instruction très secrète réservée à leurs supérieurs et les échantillons des voluptés jésuitiques ; enfin les Oracles divinatoires sur la mort de la Société. Très utile pour éveiller l’attention des rois et des princes catholiques]. {b}


  1. Scioppius, jésuite défroque, v. note [14], lettre 79.

  2. Sans lieu ni nom, 1633, in‑4o de 103 pages.

7.

L’athéisme : v. note [28], lettre 186.

Dans les précédentes éditions (1715, Bulderen, et 1846, Reveillé-Parise), cette lettre se termine par un paragraphe supplémentaire, qu’il a paru légitime de supprimer, car il concerne entièrement le décès de Catherine Janson, la belle-mère de Guy Patin, survenu le 8 juillet 1650, ainsi qu’en atteste le manuscrit de la lettre du 26 juillet 1650 à Charles Spon. On a mainte fois surpris les premiers éditeurs, peu scrupuleux, des Lettres choisies en flagrant délit de fabriquer, en les empruntant ailleurs, certains passages des lettres à André Falconet (dont les manuscrits, on ne peut que le déplorer amèrement, ont été perdus).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 13 juillet 1649

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0187

(Consulté le 27/04/2024)

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