L. latine 39.  >
À Christiaen Utenbogard,
le 23 juillet 1655

[Ms BIU Santé no 2007, fo 35 vo | LAT | IMG]

Salut et mes devoirs au très distingué M. Christiaen Utenbogard, très célèbre médecin d’Utrecht.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je vous écris de nouveau pour vous saluer et vous offrir tous mes services, puisque je conviens sans gêne et très volontiers vous devoir de l’argent depuis longtemps. J’ai demandé à l’excellent M. Vander Linden, [2] professeur de médecine à Leyde, qu’il ait soin de vous porter la présente ; et par le même intermédiaire, comme j’espère, vous recevrez enfin le paquet que je vous ai destiné, où vous découvrirez et ce que je vous ai promis, et d’autres nouveautés, principalement des livres que les nôtres ont consacrés à la nature vénéneuse de l’antimoine. [3] Divers livres d’un excellent théologien me sont tombés récemment entre les mains, il s’agit d’un certain Gisbertus Voetius, dont j’entends dire qu’il enseigne dans votre Université. Puisse-t-il être en vie et se bien porter. Saluez-le de ma part, s’il vous plaît, et si cela ne vous dérange pas, faites-lui savoir que je serai entièrement à son service en cette ville, qui est la capitale du royaume, s’il en désire quelque chose venant de nous. C’est un homme d’une culture sans limites ; il a vraiment écrit bien d’excellentes choses, parmi lesquelles j’ai la Desperata causa Papatus, les Dispuationes theologicæ, pars prima et secunda, la Bibliotheca theologica. Des autres, un seul me manque, savoir Thersites heautontimorumenos : [1][4] ne le trouve-t-on pas à vendre chez vous ? En ce cas, vous voudrez bien vous souvenir de moi. Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

Vôtre de toute mon âme, Guy Patin, docteur en médecine et professeur royal.

De Paris, ce vendredi 23e de juillet 1655.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Christiaen Utenbogard, ms BIU Santé no 2007, fo 35 vo ; écrite dans le sens de la longueur de la feuille, comme le verso de la précédente de même date à Johannes Antonides Vander Linden.

1.

V. note [8], lettre 534, pour Gisbertus Voetius et ses deux premiers tomes de « Discussions théologiques » (Utrecht, 1648 et 1655). En le portant au pinacle, mais sans apparemment le savoir, Guy Patin irritait profondément Christiaen Utenbogard ; il citait ici trois autres de ses livres :

  1. Desperata causa Papatus novissime prodita a Cornelio Jansenio ubi magna illa præjudicia de Reformatorum vocatione, successione et secessione funditus subruuntur…,

    [La Cause désespérée de la papauté tout dernièrement proférée par Cornelius Jansenius, {a} où sont renversés de fond en comble les grands préjudices qui touchent la vocation, l’héritage et la sécession des réformés…] ; {b}

  2. Exercitia et Bibliotheca, Studiosi Theologiæ… Editio secunda, Priore auctior et emendatior,

    [Les Exercices et la Bibliothèque de celui qui étudie la théologie… Seconde édition, plus ample et mieux corrigée que la première] ; {c}

  3. Thersites heautontimorumenos. Hoc est, Remonstrantium hyperaspistes, catechesi et liturgiæ Germanicæ, Gallicæ et Belgicæ denuo insultans, retusus ; idemque provocatus ad probationem mendaciorum ac calumniarum quæ in Illustr. DD. Ordd et ampliss. Magistratus Belgii, Religionem Reformatam, Ecclesias, Synodos, Pastores etc. sine ratione, sine modo effudit…

    [Thersite {d} qui se châtie lui-même, c’est-à-dire le protecteur des remontrants, bravant encore une fois le catéchisme et les liturgies allemande, française et flamande, réprimé, et provoqué de même à l’examen des mensonges et des calomnies qu’on répand sans raison ni mesure contre MM. les illustres ordinants et amplissimes magistrats flamands, la religion réformée, ses églises, ses synodes, ses pasteurs…] {e}


    1. Dans son article (note I) sur Jansenius (v. note [7], lettre 96), Pierre Bayle a résumé sa querelle avec Voetius, qui n’avait pas de lien avec le jansénisme :

      « MM. les États généraux {i} firent un édit en 1629, par lequel ils défendirent l’exercice public de la religion romaine dans Bois-le-Duc {ii} et destinèrent les revenus ecclésiastiques de la mairie de cette ville à l’usage de la religion réformée, qu’ils firent prêcher par quatre ministres. Ceux-ci ayant été avertis que l’on semait en cachette plusieurs calomnies atroces contre leur doctrine, publièrent un manifeste pour déclarer qu’ils n’enseignaient que l’Évangile tout pur et pour exhorter leurs adversaires à proposer en public tout ce qu’ils aurient à objecter. On ne répondit à cela que par un écrit dont Jansenius était auteur. {iii} Gisbert Voetius, l’un des quatre ministres qui prêchaient à Bois-le-Duc, fit des remarques {iv} sur cet ouvrage, lesquelles furent réfutées par un nouveau livre {v} de Jansenius. L’auteur des remarques ne demeura point sans repartie, il réfuta tout de nouveau son adversaire par un gros livre qu’il publia l’an 1635 et qui a pour titre desperata causa papatus. Jansenius ne répliqua point, mais un de ses amis répliqua pour lui, ce fut Libertus Fromondus. {vi} Son livre fut imprimé à Anvers l’an 1636, et réfuté par Martin Schoockius, professeur en histoire et en éloquence à Deventer, qui intitula sa réponse desperatissima causa papatus. Elle fut imprimée l’an 1638. Ce fut la fin de cette dispute […]. » {vii}

      1. Députés des États de Hollande et de Frise-Orientale, v. note [57], lettre d’Utenbogard, datée du 21 août 1656.

      2. Bolduc, dans le Brabant (v. note [14], lettre 76).

      3. « Intitulé Philonius Romanus correctus [Le Romain Philon corrigé] » (notule de Bayle).

      4. « Intitulées Alexipharmacum [L’Antipoison], imprimé l’an 1630 » (notule de Bayle).

      5. « Intitulé Notarum spongia [L’Éponge des remarques], imprimé l’an 1631 » (notule de Bayle).

      6. Libert Froidmont, v. note [6], lettre 198.

      7. La « cause absolument désespérée de la papauté » de Marten Schoock ne mit pas fin à la dispute, qui continua encore au moins deux ans : v. notules {c} et {d}, note [8], lettre latine 320.
    2. Amsterdam, Jan Jansson, 1635, in‑4o.

    3. Utrecht, Johannes a Waesberge [Jan Jansson], 1651, in‑12.

    4. V. note [10] de l’observation xi.

    5. Utrecht, Abrahamus ab Herwiick et Hermannus Ribbius, 1635, in‑4o, avec cette citation de Sénèque le Jeune en exergue du titre (Lettres à Lucilius, épître lxxix) :

      Quæ decipiunt, nihil habent solidi ; tenue est mendacium, perlucet, si diligenter inspexeris.

      [Les faux-semblants n’ont pas de consistance ; rien de plus mince que le mensonge car, avec un peu d’attention, on peut voir au travers].


Ces titres reflètent le calvinisme rigoriste de leur auteur, virulent partisan de la prédestination des calvinistes et des jansénistes, opposée au libre arbitre des catholiques romains et des remontrants protestants (arminiens, v. note [7], lettre 100). La querelle de la grâce divine (v. note [50], lettre 101) agitait autant les esprits dans les Provinces-Unies qu’en France (mais seulement après la publication de l’Augustinus de Jansenius en 1640, v. note [7], lettre 96). Disant aimer lire Voetius en 1655, Patin laissait une fois de plus affleurer ses inclinations jansénistes, voire calvinistes. Pour tenter de le désenchanter, Utenbogard, qui était lui-même arminien, a dressé un effrayant portrait de Voetius dans sa lettre datée du 21 août 1656.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 35 vo.

Clarissimo viro D.D. Christiano Utenbogardo, Medico Ultrajectino celeberrimo Salutem et officia.

Ecce iterum scribo, vir clarissime, ut Te salutem, et omnia officia mea Tibi offeram, cùm jamdudum me in ære tuo esse facilè et
lubens agnoscam. Eximium virum D. Vander Linden, Leidensem Medicinæ Professorem rogavi ut præsentes Tibi deferendas curaret : et
per eumdem ut spero, tandem accipies fasciculum Tibi destinatum, in quo deprehendes et ea quæ olim Tibi promisi, et alia nova, præsertim
libros à nostris confectos de venenata antimonij natura. Nuper in manus meas incidebunt varij libri Theologi cujusdam eximij, Gisb.
Voetij, quem audio in Academia vestra vivere docere : utinam vivat et valeat : nisi Tibi grave fuerit, eum si placet saluta, meo nomine, facque ut intelligat
me illi fore obsequentissimum in hac Urbe, regni domina, si quid à nobis inde requirat. Vir est infinitæ lectionis, et re vera multa
optima scripsit : ex quibus habeo Desperatam causam Papatus : Disput. Theol. Partem 1. et 2. Bibliothecam Theolog. Unus inter alios mihi deest, nempe
Thersites heautontimorumenos : vænalis ne prostat apud vos ? si ita sit, mei si placet memineris. Vale, vir clarissime, et me ama.

Tuus ex animo Guido Patin, Doctor Medicus
et Prof. Regius.

Parisijs, die Veneris, 23. Iulij, 1655.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Christiaen Utenbogard, le 23 juillet 1655

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(Consulté le 26/04/2024)

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