L. latine 459.  >
À Johann Georg Volckamer,
le 27 octobre 1668

[Ms BIU Santé no 2007, fo 226 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johann Georg Volckamer, docteur en médecine, à Nuremberg.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Pardonnez-moi, je vous prie, de vous répondre avec tant de retard. La raison de mon long silence n’est pas un déclin de mon amour pour vous (car je reconnais sincèrement et de tout cœur vous être extrêmement lié à de nombreux titres), c’est le poids de mes diverses charges qui pourtant n’est pas accablant. J’écris donc pour vous faire savoir que je suis en vie et me porte bien, en vous étant entièrement dévoué, et pour vous demander, quand vous voudrez m’écrire, de me faire connaître le montant des dépenses que vous avez faites pour acheter ce que vous m’avez envoyé par ci-devant, de manière que j’honore ma dette envers vous. Je salue MM. les très distingués Richter, [2] Dilherr, [3] Fabricius, [4] Felwinger, [5] ainsi que les autres, s’il y en a, qui voient nos affaires d’un bon œil. Comment MM. Rolfinck [6] et Schenck, [7] professeurs à Iéna, se portent-ils ? Qu’avez-vous de nouveau en médecine ? Qu’a-t-on récemment publié à Leipzig sur le fragment de Pétrone ? [8] Avant de mourir, le très distingué Thomas Reinesius a-t-il écrit sur ce fœtus adultérin ? [1][9][10][11][12][13] J’ai ici l’Apologia pro Galeno du très distingué M. Caspar Hofmann, enfin publiée par mes soins ; [2][14][15] je vous en ai destiné un exemplaire [Ms BIU Santé no 2007, fo 226 vo | LAT | IMG] et l’ai remis à M. Nicolas Picques, [16] qui est désormais échevin de Paris. [3][17] Nous n’avons rien de nouveau dans les affaires publiques depuis la paix ratifiée avec l’Espagnol. [18][19] Les Turcs assiègent encore Candie, [20] ils ne font rien avancer, tant leur apathie est profonde. Ils n’ont encore ni décampé ni regagné leur Scythie, [21] d’où ils sont malencontreusement arrivés voici 216 ans, [4] tant sont grandes la stupidité et la nonchalance indolente des princes italiens et espagnols. La controverse sur la transfusion du sang s’est heureusement tout entière dissipée, elle est partie en fumée, non sans la plus grande honte de ses hérauts. [5][22][23][24] Nous jouissons ici d’une profonde paix, Dieu fasse qu’elle nous dure de nombreuses années ! Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, le 27e d’octobre 1668.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Georg Volckamer, ms BIU Santé no 2007, fo 226 ro et vo.

1.

Après un long préambule, poussif et désenchanté, sans doute obscurci par la rumination de ses soucis personnels, Guy Patin en venait au nouveau fragment de Pétrone sans cacher le mépris dans lequel il tenait ce texte, en l’appelant « ce fœtus adultérin » (adulterino isto fœtu).

Le dernier ouvrage auquel Thomas Reinesius (mort le 14 février 1667, v. note [10], lettre 117) avait mis la main était en effet le T. Petronii Arbitri in Dalmatia repertum Fragmentum cum epicrisi et scholiis Th. Reinesii. Ad Illustriss. et Excellentiss. Dn. Joh. Bapt. Colbert, Regi Christianissimo a Sanctioribus Consiliis, summique Galliarum Ærarii Moderatorem prudentissimum et integerrimum. Acesserunt ex Edit. Upsaliensi V.C. Joh. Schefferi Argentin. Notæ [Fragment de Pétrone trouvé en Dalmatie avec le jugement critique et les annotations de Thomas Reinesius. Au très célèbre et très brillant M. Jean-Baptiste Colbert, conseiller du roi très-chrétien, très sage et intègre contrôleur général des finances de France. Avec les notes du très distingué M. Johannes Schefferus, professeur royal, tirées de l’édition d’Uppsala] (Leipzig, Lorentz Sigismund Cörner, 1666, in‑4o).

Écrite dans un latin précieux et elliptique, l’épître dédicatoire à Colbert, Doctrinarum et Virtutum omnium confugium, patronus indulgentiss. [protecteur très bienveillant et refuge de toutes les sciences et vertus], datée du 25 avril 1666 vieux style (julien, soit le 5 mai grégorien), exprime la reconnaissance de Reinesius à l’égard du roi de France, de Colbert et de Jean Chapelain pour la généreuse rente (de montant non précisé) dont l’Académie française l’avait gratifié (tout comme elle avait fait pour Hermann Conring, v. note [3] de sa lettre datée du 14 mai 1666). En outre, elle complète utilement l’histoire du Fragmentum nouveau du Satyricon :

Debent hoc Eruditi Literatoribus Patavinis, qui e bibliotheca Cippicorum Dalmatarum (olim Cœpiones adpellabant) acceptum primum typis exscribi fecerunt ; in quod exemplum cum incidisset reconditioris literaturæ et amœnitatum omnium Consultus Nic. Heinsius, ne possideret solus, in Suediam transmisit ad V.C. Prof. Regium Joh. Schefferum, qui cura sua dignum habitum iterum vulgavit sed paulo comtius, et cum eruditis Notis ; ex hujus manu ad me pervenit, et quia rogabar sententiam de novo dubiæ præterea fidei scripto, Amico eam gratificari fas esse putavi ; inde natum mihi, quod hic exhibeo. Opinantur de eo, uti fieri amat, alii aliter ; magna manus Ineptorum, quod ad farinam nihil facere ejusmodi scitamenta putant, non contemnunt tantum, nim. quod non intelligunt ; verum calumniantur etiam, dum adsequi desperant, talium curiosos ; Doctorum plerique Petronio ævi Claudiani sine dispectu adscribunt ; alii eidem ob stili inæqualtatem, suspectam multis nominibus Latinitatem sermonis, et nonnulla Romanis moribus difformia abjudicant, et inter figmenta ludicra, quod genus hominum otiosorum festivorumque vanitas, et excessus Gratiarum solet extrudere, rejiciunt. Ipse neglectis fastuosis istis et indolatilibus, ab utrisque discedendum esse vidi, et medio incedendum.

[Le monde savant doit ce Fragment aux érudits de Padoue qui l’ont fait imprimer pour la première fois, après l’avoir tiré de la bibliothèque des Cipiko en Dalmatie (que jadis on appelait les Cepione). {a} Quand ce livre est parvenu dans les mains de Nicolaas Heinsius, expert en raretés littéraires et en beautés de toutes sortes, afin de n’en pas demeurer le seul détenteur, il l’a envoyé en Suède au très distingué Johannes Schefferus, professeur royal, {b} qui, fidèle à sa bonne habitude, s’appliqua à en procurer une nouvelle édition, mais plus soigneuse et enrichie de notes. {c} Il m’en a fait parvenir un exemplaire en me demandant mon avis sur ce nouveau texte dont l’authenticité lui paraissait fort douteuse, et j’ai cru bon de lui en savoir amicalement gré. De là vient le livre que voici. D’aucuns exprimeront à l’envi des opinions différentes de la mienne. La grande troupe des sots, parce qu’elle pense inutile d’améliorer sa pâte, ne se contente pas de mépriser ce qu’elle ne comprend pas, mais calomnie ceux qui sont curieux de faire autrement, car elle désespère de les pouvoir égaler. Quantité de doctes personnages brodent sur Pétrone sans égard pour ce qu’était la vie à l’époque de Claude. {d} D’autres le censurent et le spolient, sous prétexte d’irrégularités de style et de latinité suspecte liées à quantité de subtilités, de quelques incongruités avec les mœurs romaines, entre autres divertissantes inventions. Le fait est que ce genre d’hommes oiseux, la vanité des beaux esprits et les excès des gracieusetés ont pour habitude de châtrer. En laissant de côté ces dédaigneux enjoliveurs, il m’a semblé qu’il fallait me tenir loin de leurs excès respectifs et chercher le juste milieu]. {e}


  1. Cipiko ou Cepione est le nom d’une vieille famille noble de Croatie. Elle possédait un palais dans la ville de Trogir (Trau). Ce manuscrit était donc bien le même que celui employé pour préparer les éditions du Fragmentum parues en 1664 à Padoue et à Paris, par les soins de Pierre Petit, son inventeur (v. note [11], lettre 792).

  2. Nicolaas Heinsius a correspondu avec Guy Patin ; v. note [1], lettre latine 342, pour Johannes Schefferus, titulaire de la chaire royale d’éloquence à Uppsala.

  3. T. Petronii Arbitri Fragmentum nuper Tragurii Dalmatiæ repertum cum annotationibus Johannis Scheffero Argentoratensis. Accedit Dissertatio ejusdem de Fragmenti hujus vero auctore [Le Fragment de Pétrone récemment découvert à Trogir en Dalmatie, avec les annotations de Johannes Schefferus, natif de Strasbourg. Il y a ajouté une Dissertation sur le véritable auteur de ce Fragment] (Uppsala, Henricus Curio, 1665, in‑8o). Bien qu’il déplorât ne pas avoir eu accès au manuscrit original, Schefferus concluait que le Fragmentum n’était pas de Pétrone, mais devait probablement être attribué à Jean de Salisbury (Johannes Parvus Saresberiensis), philosophe et historien anglais du xiie s., qui fut évêque de Chartres (v. note [4], lettre 949).

  4. Claude et Néron, son successeur, furent les deux empereurs romains contemporains de Pétrone (v. note [6], lettre 215).

  5. En écrivant tout cela, Reinesius éreintait « amicalement » les procédés de Schefferus, qui riposta ; et toute l’Europe érudite s’embrasa entre les partisans de l’apocryphe et ceux de l’authentique (tel Reinesius), dont Pierre Petit fut en France le plus pugnace défenseur.

2.

V. note [1], lettre 929, pour les Apologiæ pro Galeno libri tres… [Trois livres d’Apologie pour Galien…] de Caspar Hofmann (Lyon, 1668), édités par Guy Patin.

3.

Ordonnance de Louis xiv, roi de France et de Navarre. Donnée à Paris au mois de mars 1669, concernant la juridiction des prévôts des marchands et échevins de la ville de Paris (Paris, Frédéric Léonard, 1676, in‑4o, page 746) :

« Le mercredi 16e d’août 1668, au lieu dudit sieur Voisin, a été élu prévôt des marchands messire Claude Le Pelletier, chevalier, conseiller du roi en ses Conseils, et en sa Cour de Parlement, président ès Enquêtes de ladite Cour, et pour échevins, Maître Claude Belin, {a} conseiller du roi au siège présidial du Châtelet, et Nicolas Picques, {b} marchand, bourgeois de Paris, et conseiller de Ville. »


  1. Ce Claude Belin n’était pas apparenté aux Belin de Troyes, correspondants de Guy Patin.

  2. V. note [2], lettre 152.

4.

V. note [3], lettre 929, pour la prise de Constantinople (Byzance) par les Turcs en 1453.

5.

V. note [5], lettre latine 452, pour les premiers pas de la transfusion sanguine à Paris et pour ses deux hérauts (champions), le médecin Claude Tardy et le chirurgien Paul Emmerez.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 226 ro.

Cl. Viro D. Io. Georgio Volcamero, Med. Doctori, Noribergam.

Ignosce quæso, Vir Cl. si tardius ad Te scribo : diuturni mei silentij
causa est non imminutus in Te amor meus, (plurib. enim nominibus me Tibi obstri-
ctissimum esse seriò et ex animo profiteor,) sed variorum negotiorum moles quib.
tamen non obruor : scribo igitur ut scias me vivere et valere, Tibi addictissimum :
rogóq. ut quum volueris ad me scribere, per Te sciam quid pro me feceris im-
pensarum in emendis ijs quæ antehac ad me misisti, ut Tibi satisfaciam. Cl.
viros saluto, D.D. Richterum, Dilherum, Fabricium, Felwingerum :
ut et alios si qui sint qui nobis faveant. Quî valent viri optimi D.D.
Rolfinkius et Schenkius, Prof. Ienenses ? Quid habetis novi de Medicina ?
quid nuper editum Lipsiæ de fragmento Petronij : quid de adulterino isto fœtu
scripsit ante obitum Cl. Thomas Reinesius ? Tandem curis meis editam hîc
habeo Apologiam pro Gal. viri Cl. D. Casp. Hofmanni, cujus exemplar Tibi

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 226 vo.

destinatam tradidi D. Nic. Picques, nunc Ædili Parisiensi. De rebus publicis
nihil habemus novi, à pace cum Hispano sancita. Turcæ adhuc hærent
in obsidione Candiana : nec quidquam promovent, tanta est eorum ignavia,
nec castra sua deserunt, aut in Scythiam suam recedunt, unde ante annos 16.
et 200. malum pedem attulerunt, tanta est Hispanorum et ac Italorum Princ.
socordia et supina oscitantia. Tota controversia de transfusione sanguinis
feliciter evanuit, et in fumos abijt, non sine summo suorum præconum opprobrio.
Hîc fruimur profunda pace, quæ utinam perennet in multos annos. Vale, Vir Cl. et
me ama. Parisijs, 27. Oct. 1668. Tuus ex animo, Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Georg Volckamer, le 27 octobre 1668

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(Consulté le 26/04/2024)

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