Note [9] | |
Utinam omnes Turcæ laborent febre Hungarica et pestilenti, a qua suffocentur omnes qui nos oderunt : cette courte phrase appelle un copieux commentaire historique et médical. Pour les avoir lui-même éditées (Paris, 1641, v. note [12], lettre 77), Guy Patin était un très fin connaisseur des œuvres de Daniel Sennert et n’employait pas les mots febris Hungarica et pestilens à la légère. Il renvoyait au livre iv (De Peste, Pestilentibusque ac malignis Febribus [La Peste et les Fièvres pestilentes et malignes]) du traité De Febribus [des Fièvres], dont le chapitre xiv est intitulé De Morbo Ungarico [La Maladie hongroise] (Danielis Sennerti… Operum Tomus secundus [Deuxième tome des Œuvres de Daniel Sennert…], Lyon, 1650, v. note [20], lettre 150, pages 202‑207) et commence par cette description (page 202) : Inter febres malignas, et quidem non raro petechiales, est febris illa, quæ vulgo morbus Ungaricus et lues Ungarica ac Pannonica dicitur. Quod quidem nomen inde accepit, quod lues hæc Anno 1566. in Hungaria maxime innotuisse videtur. Nam cum Maximilianus ii. Imperator contra Solimannum, Turcarum tyrannum, expeditionem suscepisset ad Camorram ; tum primo innotuit hic morbus ; ad laurinum incrementum sumpsit : postea diffluente exautorato milite, ad Germanos, Gallos, Italos, Blegas, hoc malum propagatum et pene per totam Europeam disseminatum est ; Et non solum milites ex Hungaria redeuntes, verum etiam per contagium plurimos eorum, qui expeditioni illi non interfuerant, interemit. Diversoria enim passim ægrotantibus repleta erant, viæ cadaveribus occupatæ ; unde labes illa in vicinas domus et villas translata, nulla aeris præcedente corruptione. Maxime tamen afflixit Viennam Austriæ, cum per illam fere omnes milites transirent, et recolligendarum virium causa ibi hærerent. Apallabatur tum vulgo, die Hauptkranckheit oder Kopffweh : item die Hertzbrenne ; quasi causus cordis. Usitassima appellatio fuit morbi Hungarici. Nonnulli morbum Ungaricum et febrem petechialem plane pro eodem morbo habent. Sed, ut mihi quidem videtur, non satis recte. Etsi enim petechiæ et maculæ illæ, quandoque etiam in morbo Ungarico conspiciantur, tamen non semper id accidit, et potest hic morbus esse sine maculis. Contra vero maculæ in febri petechiali omni inveniuntur ; unde et nomen hæc febris habet. Et si petechiæ non appareant, maligna quidem dicitur febris, sed non petechialis. Ego, si nominis imponendi penes me esset potestas, eum Militarem vel Castrensem appellarem ; cum in castris ex pravorum ciborum et aquarum usu et omnino prava diæta oriatur, et hinc in alios per contagium diffundatur. Febres vero petechiales ubique grassari possunt, et plerumque ubi sunt Epidemiæ, à cœli influxu et aeris constitutione communi ortum habent. Si quis tamen morbum Ungaricum pro peculiari febris petechialis differentia, quam a morboso apparatu accipiat, habere velit : cum eo non pugnarim. Aliæ enim febres petechiales ex humorum in venis vitio solum provenire possunt. Morbus vero Ungaricus semper humorum vitiosum apparatum circa ventriculum et primas vias coniunctum habet, et inde ortam cardialgiam, quæ non adest in omnibus petechialibus febribus, unde etiam curatio nonnihil variat, et vomitoria, quæ in hoc morbo cum commodo ægri exhibentur, non in omnibus febribus petechialibus locum habent. [Cette fièvre, qu’on appelle communément maladie ou épidémie hongroise, ou pannonique, {a} fait partie des fièvres malignes qui, j’en conviens, sont souvent pétéchiales. {b} Son nom lui est venu de ce que cette épidémie semble s’être surtout fait connaître en Hongrie, l’an 1566, quand l’empereur Maximilien ii entreprit une campagne vers Gömör contre le Grand Turc Sélim ; {c} la maladie survint alors pour la première fois et connut un essor digne des lauriers. {d} Ensuite, avec la dispersion des armées à qui on avait donné congé, ce mal s’est propagé aux Allemands, aux Français, aux Italiens, aux Flamands, et disséminé dans presque toute l’Europe ; et il a tué non seulement les soldats revenant de Hongrie, mais aussi, par contagion, quantité de gens qui n’avaient pas participé à cette campagne. Les auberges débordaient de malades et les routes étaient encombrées de cadavres. Cette ruine se communiquait de maison en maison et de ferme en ferme, sans être précédée de quelque corruption de l’air que ce fût. {e} Elle a cependant surtout frappé la ville de Vienne en Autriche, par où presque tous les soldats transitaient et où ils séjournaient le temps de reprendre des forces. On lui donnait alors les noms de die Hauptkrankheit ou Kopfweh, et aussi de die Hertzbrenne, qui veut dire causus du cœur ; {f} mais la dénomination la plus courante en fut celle de maladie hongroise. Quelques-uns tiennent la maladie hongroise et la fièvre pétéchiale pour une seule et même affection, mais il me semble que ce ne soit pas tout à fait exact. Pétéchies et macules s’observent certes parfois dans la maladie hongroise, mais tel n’est pas toujours le cas : elle peut ne présenter aucun exanthème, {g} contrairement aux pourpres où il est constant ; c’est d’ailleurs de là qu’elles tirent leur nom, tant et si bien que s’il n’apparaît pas de pétéchies, on dira que la fièvre est maligne, mais non pétéchiale. S’il m’appartenait de donner un nom à la maladie hongroise, je l’appellerais fièvre des soldats ou des camps, parce qu’elle provient de la consommation d’eau et de nourriture dépravées, et d’une alimentation fort défectueuse, pour ensuite atteindre les autres par contagion. Quant à elles, les fièvres authentiquement pétéchiales peuvent se répandre partout, et particulièrement là où se développent les épidémies ; elles proviennent des vents célestes et de la composition générale de l’air. Je n’irai néanmoins pas me battre avec qui veut considérer la fièvre hongroise comme une forme spéciale de pourpre, dont il accepterait seulement qu’elle ait une présentation morbide particulière. Les autres fièvres pétéchiales peuvent en effet provenir d’une dépravation des humeurs à l’intérieur des veines ; alors qu’en vérité, la maladie hongroise y associe toujours une disposition viciée des humeurs autour de l’estomac et des premières voies. {h} Il en découle la cardialgie, {i} qui n’est présente dans aucune fièvre pétéchiale, et aussi le fait que le traitement diffère sensiblement : les malades tirent profit des vomitifs, alors qu’ils n’ont pas lieu d’être prescrits dans l’ensemble des fièvres pétéchiales]. En suivant un raisonnement logique, fondé sur la description des signes et sur le contexte épidémique, mais sans pouvoir appuyer sa pathogénie (genèse des maladies) sur la notion de microbe (caractérisée au xixe s.), Sennert mettait la fièvre hongroise nettement à part des autres fièvres pourpres (typhus, v. note [28], lettre 172). Il en faisait une entité évoquant à coup sûr la typhoïde (v. note [1], lettre 717) : il s’agit d’une grave infection intestinale fébrile et douloureuse (cardialgie), facultativement accompagnée d’éruption cutanée (roséole), qui entraîne fréquemment la mort et se propage par l’eau de boisson que les déjections des malades atteints ont souillée. Dans la suite du chapitre apparaissent d’autres signes évocateurs du diagnostic : accroissement vespéral de la fièvre ; maux de tête intenses ; bourdonnements d’oreilles ; prostration allant jusqu’à la stupeur (tuphos qui a donné son nom au typhus et à la typhoïde, qui lui ressemble sur ce point) et au délire ; soif prononcée ; durée de deux semaines quand le malade survivait ; etc. Quant à l’épidémie qui sévissait dans les armées turques en 1665, et que Patin qualifiait de fièvre hongroise, il s’agissait probablement de la « peste » dont parle l’extraordinaire de la Gazette daté du 10 juillet 1665 et intitulé La suite des affaires des Vénitiens, en la lettre [datée du 6 juin] d’un gentilhomme de la République (no 81, pages 662‑663) : « Pendant cette petite guerre, la peste qui est encore de la partie, continue d’affliger les Ottomans dans les places qu’ils tiennent au Royaume, dans la Morée et à Napoli de Romanie ; {a} mais comme elle n’est plus si violente, en ayant repris un peu de courage, ils élevèrent naguère un terrain devant la Métropolitaine de Candie, {b} par le conseil d’un renégat, et essayèrent d’endommager cette place ; néanmoins avec aussi peu de succès que dans toutes les tentatives précédentes. Ainsi, ils sont toujours réduits au désespoir d’en pouvoir venir à bout, notamment tandis qu’outre le fléau de cette maladie contagieuse, qui les a mis dans la dernière faiblesse, ils attendent vainement l’assistance qu’ils demandent avec tant d’instance à la Porte, {c} et ont d’ailleurs sur les bras les Sfacchiotes {d} qui, s’étant mis au service de la République à condition qu’on les déchargerait des taxes ordinaires, ont promis de se porter courageusement à toutes les entreprises qu’on leur voudrait confier, même à l’attaque de Candie Neuve, {b} si on le jugeait à propos, afin de profiter du malheureux état où se trouve cette place. Quant aux nôtres, ils ont été, grâces à Dieu, exemptés jusques à présent de ce fléau qui les travaille, et ne manquent d’aucune<s> chose<s> qui leur sont nécessaires, par les soins que le Sénat prend continuellement d’y envoyer des hommes et des munitions. » |
Imprimer cette note |
Citer cette note
x
Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À Johann Georg Volckamer, le 13 février 1665, note 9.
Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1374&cln=9 (Consulté le 06/12/2024) |